Heifara, Tahitien, mineur,
travesti et prostitué
Si
l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans, comment un adolescent mineur de moins
de 15 ans peut-il se prostituer sur le territoire de la République française ?
Bien
sûr Heifara n’est pas son vrai nom. Bien sûr aucune photo n’illustrera cet
entretien. Il n’a pas été facile de gagner sa confiance, et encore moins
d’obtenir qu’il ne dise que la vérité.
Par respect pour son choix, en parlant de lui je dirai elle. Et j’utiliserai le prénom qu’elle s’est choisi pour cette interview : Elisa.
D’autre part, Elisa sait à peine lire et écrire. Comme beaucoup de jeunes Polynésiens, elle parle un sabir tenant à la fois du Français, du Reo Tahiti et du Paumotu***, j’ai donc fait une transcription de ses propos.
En lisant ces lignes, n’oubliez jamais que Tahiti (le paradis de l’enfant roi) est en France, que les lois sont censées y être les mêmes et que tous les lieux de cultes y sont pleins.
Elisa, quand et
pourquoi as-tu décidé d’être une fille ?
Mes vrais parents vivent aux Tuamotu. Ils avaient six enfants et ne pouvaient pas en nourrir un de plus. Alors ils m’ont donné à un cousin de mon papa à Tahiti.
Mes parents faamu* avaient quatre fils plus âgés. Je me sentais en sécurité avec la maman et elle me demandait toujours de faire les choses de la maison. La vaisselle, le ménage, la lessive, la cuisine, tout ça… J’aimais bien comme ça.
En plus, je n’avais vraiment pas envie d’aller jouer avec les garçons. Ça ne m’intéressait pas, et même ça me faisait peur. Alors je restais avec ma maman faamu et les filles de ses copines. Mon papa faamu, lui, il ne me voyait même pas. Il savait juste me dire fais-ci ou fais ça, et me battre quand il était en colère ou qu’il avait bu.
A l’école c’était pareil : je préférais rester jouer et parler avec les filles.
Quand as-tu
commencé la prostitution, et pourquoi ?
Un jour, quand j’avais douze ans, il y a eu un grand tamara** à la maison. Il y avait toute la famille et plein de voisins. On était au moins cent personnes. Moi j’étais avec les femmes pour la cuisine et tout ça. Chez nous, les femmes et les hommes ne se mélangent pas. À la fin tout le monde était bourré. L’aîné de mes frères faamu m’a appelée pour l’aider : je suis allée. Là, il m’a obligée à lui faire des choses. Il m’a dit que c’était normal et qu’il ne fallait rien dire. J’ai pleuré longtemps cette nuit là.
Après, il a recommencé plusieurs fois par semaine. Chaque fois il me demandait un peu plus. Pour que je me taise, il me faisait des petits cadeaux. Un jour, il est venu avec un copain à lui et il m’a dit : « Si tu lui fais comme à moi, je te donne 500xpf ». J’étais obligée de dire oui, sinon il m’aurait frappée. Et puis, moi, je n’avais jamais eu d’argent à moi. C’est comme ça que j’ai commencé la prostitution. Pour pouvoir acheter des choses. Des habits, du maquillage… Des trucs de filles quoi.
Comment es-tu
arrivée sur le trottoir ?
Au début, il n’amenait que des copains du quartier ou des fetii****. Et puis il a fait venir des hommes que je ne connaissais pas, de plus en plus vieux, même des popaa*****. C’est là que j’ai vu qu’il gardait beaucoup d’argent pour lui et ne me donnait presque rien. Quand je lui ai dit que ce n’était pas juste, il m’a battue très fort. J’avais du sang partout, j’avais mal et j’avais peur. Alors je suis allée chez une copine raerae******.
Elle et ses amies ont été très gentilles avec moi. Elles m’ont soignée, donné des habits de filles, coiffée, maquillée, tout ça quoi.
Elles m’ont expliqué que si j’allais faire l’amour avec quelqu’un, je devais garder tout l’argent pour moi, pas le donner à un homme, même si c’est mon frère. C’est comme ça que j’ai commencé à faire le trottoir. J’avais treize ans.
Aujourd’hui,
comment vis-tu ?
Je fais le trottoir la nuit. J’ai même des clients habituels. Des gendarmes et des militaires. Le weekend je sors en boite de nuit. J’habite en ville avec trois autres copines raerae. Je ne vais plus à l’école et personne ne me dit ce que je dois faire. Quand j’aurais gagné assez d’argent, j’irais en France me faire opérer. Comme ça je pourrais trouver un mari.
Combien
de jeunes Polynésiens mineurs se prostituent et cessent leur scolarité bien
avant seize ans ? Il n’existe aucun chiffre fiable. Dans la patrie des
droits de l’homme et des droits de l’enfant, la question a de quoi déranger, non ?…
Lexique :
Un article de Julien Gué
Lexique :
*Faamu :
adoptif
**Tamara :
repas de fête
***Paumotu :
qui vient des îles Tuamotu
****Fetii :
membre plus ou moins éloigné de la famille
*****Popaa : occidental
******Raerae :
travesti homme
Émouvant comme reportage, un sujet que je découvre.
RépondreSupprimerVous pouvez me contacter (julie at txy dot fr), je voudrais vous donner plus largement la parole sur notre site d'information dédié à la transidentité.
bises!
Très intéressant et très vrai !
RépondreSupprimerPersonnellement, j'ai toujours vu des raerae à Tahiti et bien qu'ils aient l'air "intégrés" on sent une douleur, une douleur de ne pas être M ou F... ou de souffrir de cette différence.
Considérés comme un "troisième sexe" par les premeirs colons, ils font partie intégrante de notre culture, et inévitablement certains sans moyens se prostituent et cela ne fait pas de vagues... Mais parlons-en !
Sujet apparemment non tapu chez nous, quels sont les signes de détresses de ces jeunes..?
La réponse à cette question reviendrais au chômage, mais ils sont Bi pour la plupart de ma connaissance...!