Vous avez dit ordre et morale ?
C'est le 16 novembre 2011 que le
film de Mathieu Kassovitz, "L'ordre et la morale" sortira sur les
écrans français.
Outre que chacun des films de
l'enfant terrible du cinéma français est toujours un événement porteur de
polémique, cet opus-là provoque la tempête bien avant sa sortie sur les écrans.
En effet, ce jour là tous les
français pourront se faire leur propre avis sur la valeur artistique,
historique et politique du film. Tous ?... Non : Les Néo-Calédoniens eux seront
interdits de projection !
Que le réalisateur ait été obligé
d'aller tourner son film en Polynésie française pour ne pas provoquer d'émeutes
sur le caillou était déjà choquant en soi. Que toute la population calédonienne
se voit interdire le film alors qu'elle est la première concernée l'est encore
plus.
Petit rappel des faits
En avril 1988, quatre gendarmes sont
tués dans la gendarmerie de l'île d'Ouvéa puis une trentaine d'autres sont
retenus en otages dans la grotte de Gossanah par un comando d'indépendantistes
Kanaks.
Le film retrace la tentative de
médiation avortée d'un capitaine de gendarmerie, Philippe Legorjus. Le 5 mai,
soit trois jours avant le second tour de l'élection présidentielle française,
l'armée donne l'assaut à la grotte, y laissant deux soldats et tuant dix neufs
Kanaks dont cinq, au moins, sont décédés après l'assaut lui-même…
Le
26 juin, Jacques Lafleur (droite anti-indépendantiste) et Jean-Marie Djibaou,
leader charismatique du mouvement indépendantiste FLNKS (Front de Libération
Nationale Kanak Socialiste) signent les fameux "accords de Matignon"
grâce au travail de Michel Rocard. Mais tous les indépendantistes n'étaient pas
favorables à ces accords, et un an plus tard, le 4 mai 1989, Jean-Marie Djibaou
et son bras droit Yeweiné Yeweiné était assassinés à Ouvéa par un Kanak
radical.
"L'ordre et la morale" censuré !
Dans mon article "Le film de
Kassovitz tourné en Polynésie", je vous narrais les difficultés
et péripéties qui avaient obligé le réalisateur à tourner en Polynésie
française. Les raisons en étaient assez claires et, toutes proportions gardées,
relativement compréhensibles.
Le problème qui se pose aujourd'hui
est beaucoup moins clair et laisse remonter des odeurs bien nauséabondes de
censure, de pression morale et de chantage particulièrement odieuses.
Si l'on s'en tient aux faits, voici
ce que l'on peut, en résumé, dire de cette affaire : En Nouvelle-Calédonie, il
n'y a qu'un seul exploitant de salles de cinéma. La société Cinécity dirigée
par un certain Douglas Hickson. C'est ce dernier qui aurait décidé, seul
affirme-t-il, de ne pas programmer le film par souci de "préserver la paix
sociale sur le territoire" (sic) !
Voici un court extrait de la manière
dont il justifie sa décision : "(...) Ce film très caricatural rouvre des
plaies qui s'étaient cicatrisées (...) Nous sommes une entreprise de
divertissement alors que ce film est un film polémique. Nos salles ne sont pas
le lieu approprié pour le présenter (...)"
Face à de telles déclarations, on
est en droit de se poser un certain nombre de questions. Par exemple : Si les
cinémas ne sont pas les bons endroits pour projeter des films de qualité et
porteurs de sens, qu'est-ce qu'un cinéma ? Où et comment doit-on projeter ces
films-là ? Et, enfin et surtout : Qui est habilité à décider quels films
sont projetables et lesquels ne le sont pas ?
Nous
sommes un certain nombre à nous demander : la censure n'avait-elle pas été
abolie dans la République française ?
Qui sont les censeurs ?
Officiellement, Douglas Hickson
aurait pris seul, en son âme et conscience, cette délicate et pour le moins
discutable décision. Il semble bien pourtant que les choses ne soient pas aussi
simples que cela.
En effet, lors des longs séjours que
Mathieu Kassovitz fit en Nouvelle Calédonie, un groupe de personnes réunies
autour de l'un des descendants des acteurs du drame d'Ouvéa avait exprimé
(parfois violemment) leur refus de voir ce film se faire. Arguant que le
réalisateur français ne saurait en aucun être objectif, voire serait incapable
de comprendre les tenants et aboutissants de ce douloureux dossier.
Il faut également se souvenir qu'en
Aout 2010, le député UMP calédonien Pierre Frogier avait écrit en personne au
Président de la République pour protester contre l'aide financière apportée par
l'Etat à ce projet cinématographique.
On pourrait multiplier le rapport
des pressions et menaces effectuées sur les uns ou les autres par les uns et
les autres pour que ce film ne voie pas le jour. Mais il y a eu aussi, en
Nouvelle Calédonie, beaucoup de gens pour se battre aux côtés de Kassovitz afin
que le film voie le jour.
La démocratie en danger ?
Dans la presse
calédonienne, comme polynésienne d'ailleurs, l'affaire fait grand bruit et
soulève l'indignation. Mais c'est sur les réseaux sociaux que les réactions
sont les plus virulentes. Ainsi, on peut voir passer en très grand nombre des
réflexions comme : "Censure au pays des non-dits" ou "gravissime
atteinte à la liberté d'expression", cette dernière étant en général
accompagnée de qualificatifs du genre : "consternante, scandaleuse,
atterrante, dictatoriale…"
Pour l'heure, le
FLNKS n'a pas encore réagi officiellement, même si l'un de ses responsables a
déclaré à l'AFP : "On souhaite que le film soit vu, même si c'est
douloureux. Bien sûr, on peut craindre la réaction de jeunes se sentant
marginalisés…" Dans cette affaire, sont-ce vraiment les jeunes qui sont le
plus à craindre, eux qui n'ont pas vécu ces évènements ?
Alors, y a-t-il eu
des pressions politiques sur le gérant des salles ? Si oui, de qui sont-elles
le fait ? Et, dans tous les cas de figure, quand bien même il s'agirait
réellement d'une décision personnelle dictée par la peur ou une pseudo morale
(on y revient) de Douglas Hickson, qu'en est-il du droit du public de se
faire son propre avis ?
Pendant
que les médias nationaux se posent en témoins impartiaux et défenseurs de la
démocratie dans les pays qui se battent pour retrouver leur liberté, on est en
droit de se demander pourquoi ils ne disent rien face à un évident recul de la
démocratie et de la liberté d'expression en France.
Car,
ne l'oublions pas, la Nouvelle-Calédonie (comme la Polynésie) est encore un
territoire français protégé par notre constitution. Alors, plutôt que de
stigmatiser à longueur de pages les extrémistes de tous bords qui ensanglantent
nombre de pays dans le monde, on ferait bien de s'inquiéter aussi de ces
pressions inadmissibles qui rognent lentement mais sûrement nos libertés à
nous…
Allons-nous
accepter que quelques individus aux idées et aux comportements fascisants
interdisent à toute une population de voir un film qui la concerne au premier
chef ?
Et Tahiti dans tout ça ?
Bien que l'exploitant des salles en
Polynésie française, la société Pacific Films, soit une filiale de Cinécity,
elle s'est désolidarisée de sa maison mère dans cette affaire et son gérant à
Tahiti, M.
Frédéric
Mourgeon déclare à nos confrères de Tahiti Infos : « Le film doit sortir en salle au
Fenua le 30 novembre, soit deux semaines après la métropole, un délai normal ici ».
Ainsi,
seuls les premiers concernés par le film, les seuls aussi qui auraient pu le
critiquer de manière objective, seront privés de projection à cause de la
volonté d'un seul (?) homme : les Calédoniens !
En
réalité, la résistance s'organise et il semble bien que certains défenseurs de
la liberté d'expression en Nouvelle-Calédonie s'organisent pour
que le film soit quand même projeté. Et parmi ceux-là, l'équipe de
l'irremplaçable et très remarquable Centre Culturel Jean-Marie Djibaou.
Toutes les photos qui illustrent cet article sont des pictogrammes du film "L'ordre et la morale" de Mathieu Kassovitz.
Pour en savoir plus sur l'aventure de ce film : cliquez ici !
Toutes les photos qui illustrent cet article sont des pictogrammes du film "L'ordre et la morale" de Mathieu Kassovitz.
Pour en savoir plus sur l'aventure de ce film : cliquez ici !
Un article de Julien Gué
Sur la censure au cinéma voir l'entretien avec René Vautier, que j'ai réalisé pour Alternative Libertaire de juin et juillet-août 2004 sur mon blog.
RépondreSupprimer1° partie :
http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article216
2° partie :
http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article216
Bonjour,
RépondreSupprimerTout d'abord merci pour cet article prenant qui me fait une fois de plus comprendre que je ne connais rien à la vie et que j'essaie de toutes mes forces d'apprendre des autres même face à un autre monde " la Polynésie Française " qui pour moi reste inconnu !
Je ferai pour cela, et en vu de remédier à cette situation la démarche d'aller voir une des projections de ce film qui pour moi, comme tous les films qui traite de ses problèmes là, mondiaux, sont à voir absolument et sans aucunes censures !!!
Je cherche depuis longtemps déjà, à comprendre mes frères qui sont de l'autre côté du monde " ou plutôt de mon monde " des gens qui vivent dans le pacifique et qui n'ont pas : " que des bouts de paradis " comme la plupart des métropolitains et d'autres nationalités pensent, il est bon de savoir se qui se passe dans des endroits éloignés de sois et de comprendre le malheur des autres pour avoir les bons réflexes et peut être les bons jugements.
Tout le monde sait ce que la censure fait aux âmes et aux hommes, ne pas savoir c'est ne pas comprendre et du fait se faire manipuler par des tirants ou des dictateurs !
Alors, oui moi personnellement j'invite toutes les personnes qui le peuvent à voir ce film et à en tirer sa propre idée de se qu'il en verra.
Lionel.
Merci Lionel pour ce jugement très honnête. J'aimerais voir ce film autant que vous.
SupprimerCher Lionel, cher Anonyme, et chers lecteurs : vous pouvez voir (gratuitement) le film de Mathieu Kassovitz "L'ordre et la morale" en suivant ce lien :
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=hkIs3zMNiPY
Merci de nous lire et n'hésitez pas à nous faire partager vos réactions et critiques après avoir vu le film...
Julien Gué