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Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

dimanche 23 février 2020

Films d’impact au FIFO


Destins maori et aborigène...


             L’actualité des peuples colonisés d’Océanie s’avère toujours aussi scandaleuse. Qu’ils soient Mélanésiens, comme dans "Ophir", Māori ou aborigènes, leur sort reste précaire, voire insoutenable. Les réalisateurs de documentaires, eux, font œuvre salutaire et tentent de désenclaver les populations en danger : tablant sur la visibilité du FIFO dont l’audience ne cesse d’augmenter dans le monde. Parviendront-ils à impacter sur l’irresponsabilité ou la surdité des pays ou des monopoles économiques dominants ?


            Salué au 17ème FIFO par le 1er Prix Spécial du jury, "Merata : How Mum Decolonized the screen", de Heperi Mita, reprend dans son titre les paroles mêmes de la réalisatrice Māori néo-zélandaise : « décoloniser l’écran ». Dans le dernier quart du XXème siècle Merata Mita exerça en pionnière le métier, en actrice aussi, dans une société qui écarte et se désintéresse de ses autochtones.

Mère cinéaste et fils
           Mais ce n’est pas seulement le cinéma māori qu’elle libère de l’exclusif de ses prédateurs, c’est la planète-Femme qu’elle affranchit des pratiques archaïques qui la domestiquent et la ligotent. Tout comme une pléthore de pays océaniens, issus de différentes colonisations venues de l’Occident, la situation discriminatoire de l’époque, évoquée dans ce long-métrage documentaire, ne semble pas vraiment résolue.  La question du racisme « se manifeste de façon moins dangereuse ; elle est plus larvée, plus insidieuse. Elle se matérialise dans les institutions, au niveau des capitaux, des fonds qui pourraient appuyer la création culturelle et être attribués à la création Māori. Une sorte de racisme économique en quelque sorte… » nous expliquera le réalisateur Heperi Mita.

Les entendre pour les comprendre
Construit à partir des bobines tournées par Merata, à la fois sur  les mouvements de libération des femmes et les inégalités sociales : leur engagement résolument politique n’a pas toujours bonne presse et lui valent quelques menaces… musclées de la part des services d’ordre. Innovatrice en la matière, elle a été soutenue par le milieu du cinéma Māori « qui l’a aidée à révéler son talent ». Notamment dans le film de fiction (Mauri, 1988). Elle reste, à ce jour, la seule cinéaste māori à avoir réussi à en produire un.

C’est que le racisme institutionnel de la Nouvelle-Zélande, le sexisme qui touche toutes les communautés, elle les combat au corps à corps, dans des documentaires résolument militants.

Femme et mère : une antinomie ?

Où que vous soyez, la mentalité patriarcale ou populaire désigne la femme comme figure nuisible de la mère. D’un côté la mère, couverte d’enfants. De l’autre la femme couverte de chaînes. Merata, elle, est femme accomplie dans son travail et dans sa fonction de mère. En témoignent ses enfants et « l’équilibre familial, le surplus affectif, l’attention dont elle a su nous combler. »

« Bien sûr, nous sentions que son métier lui causait quelques soucis. Mais elle nous prenait avec elle. Pour nous c’était un jeu… et surtout l’occasion de passer plus de temps avec elle. » Le réalisateur parle surtout pour ses frères aînés qui ont subi la pression sociale la plus forte, alors qu’elle élevait seule ses enfants. 

Heperi Mita… l’intime fait le buzz
« Petits, nous n’avons pas compris les enjeux qu’elle défendait. C’est en recherchant, en analysant ses films, que j’ai décidé de lui rendre hommage. Elle est partie si soudainement… Elle nous a appris qui nous étions, notre identité fortement niée par le pays. et puis moi, je n’ai pas subi ce qu’ont enduré mes frères. » En enquêtant auprès de sa fratrie, le réalisateur peut mettre en avant la personnalité chaleureuse de sa mère. «  Elle a su privilégier aussi ce cocon familial qui les a rendus heureux… et solidaires ». Mère et cinéaste, une dualité compatible, quoi qu’en pensent les esprits chagrins, moralisateurs ou sexistes. Un destin riche et enrichissant pour ses enfants et le cinéma.

Ce n’est pas seulement un devoir de mémoire auquel répond Heperi Mita. Il montre l’impact de Merata dans l’histoire du cinéma néo-zélandais. Elle provoque une réelle révolution dans l’image cinématographique du pays : elle arrache la place due aux réalisateurs autochtones… Le cinéma māori ne cesse de se développer depuis, avec plusieurs festivals autochtones. « C’est elle qui les avait lancés ! »

"Je veux juste être moi, un aborigène"

Dans la même veine intimiste, c’est-à-dire autour des liens affectifs familiaux, mais surtout à travers une situation vécue de l’intérieur où les institutions font office de décor, le FIFO programme en compétition "In My Blood it runs", de Maya Newell. Encore une de ces réalisatrices étonnantes (tout comme certains réalisateurs d’ailleurs) que le FIFO a conviées. Dans les deux films de cet article, ce qui est présenté, c’est le point de vue des enfants : Dujuan, Aborigène de dix ans. Motivée par « le désir de changement social », la réalisatrice a montré « ce que c’est qu’être enfant dont la sombre histoire coloniale de l’Australie pèse sur les épaules et qui navigue dans un monde bi-culturel complexe »

Une communauté, un enfant....

« Au moment du tournage, 100% des enfants en détention juvénile dans le Territoire du Nord étaient autochtones. En Australie, de jeunes enfants de dix ans, comme Dujuan, peuvent être incarcérés. Ainsi, le plus grand défi de ce film était de soutenir la famille par crainte que leur enfant se retrouve dans ce système de détention. À plusieurs reprises, nous avons pensé que nous ne pourrions pas terminer le film en raison de l'issue horrible possible. », explique Maya Newell. Encore un documentaire qui s’inscrit dans le genre film d’impact, avec campagne de sensibilisation. Car c’est toute une éducation à refaire, au niveau des institutions !

L’aberrante réalité est la suivante : nous suivons Dujuan « à travers un système éducatif à l’occidentale qui n’est pas conçu pour lui, un système de protection de l’enfance menaçant de l’éloigner de sa famille, un système de police et de justice pour mineurs qui piège et torture les jeunes. » Est-ce la raison pour laquelle Maya Newell forge ainsi la forme de son discours cinématographique de manière originale ?

« Combattre les stéréotypes négatifs enracinés » qui réduisent les enfants aborigènes à « des échecs scolaires », alors que leur culture  est occultée ou dénigrée, n’est pas tâche facile. Dujuan « veut récupérer l’espace intérieur qui a été et est toujours colonisé et qui lui revient de droit – dans sa terre, dans son corps et dans son esprit »

Des voix aborigènes
Est-ce la dure réalité que vit l’ensemble des peuples autochtones d’Océanie qui pousse les réalisateurs à développer une éthique qui prône l’altérité dans leur travail et « à servir de pont à ces voix pour atteindre les spectateurs » ?  À quand un biculturalisme à part entière ?


Un article de   Monak et  Julien Gué

Tous droits réservés aux auteurs. Demandez leur l’autorisation avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.




vendredi 14 février 2020

avant-1ère fiction 17ème FIFO


"Oiseau de Paradis"à Tahiti


           En clôture du festival, tandis que se projetaient au Petit Théâtre et Salle Muriavai les "Coups de cœur"  du 17ème FIFO, le Grand Théâtre recevait les avant-premières, "Vaiora" en short-fiction et "Oiseau de Paradis" de Paul Manate. Le public tahitien a répondu présent et la Salle était pleine.
 

Après une présentation par Heirani Soter, animateur du staff FIFO, Laurent Jacquemin de la production locale Filmin et le réalisateur Paul Manate ont tenté avec diplomatie de faire parler la jeune tahitienne Blanche-Neige Huri, actrice principale du film. Que dire, en fait, tant qu’on n’a pu se découvrir à l’écran ? Et qu’alléguer sur son œuvre, quand la démarche du réalisateur s’en tient fort justement à accueillir l’impression du public ! 


… avec l’équipe Filmin Tahiti
Favorablement perçue par les spectacteurs, le soulignent les applaudissements finaux du public, cette soirée du 8 février 2020 s’est trop brusquement achevée, déplore la plupart des spectateurs apostrophés ensuite. En effet, beaucoup auraient voulu un débat. Mais le FIFO remballait.

Les fans de "Vaiora", eux aussi, prolongeaient leurs réactions sur le parking : la lauréate du Marathon d’écriture FIFO 2019, Itia Prillard, accompagnée du réalisateur Emmanuel Jean. Le film, s’inscrivant lui aussi dans la pure tradition culturelle polynésienne actuelle, s’attache au mode de transmission des pratiques : montrer exclusivement par le geste, regarder et… faire.


Un film aux parfums du pays

"Oiseau de Paradis", long métrage de fiction, soulève nombre questions dans la société polynésienne d’aujourd’hui. Écrit et réalisé par « un enfant du pays »,  il s’en dégage une atmosphère authentique. Tout autochtone y reconnaît - enfin ! - les images de sa Polynésie, la vraie : les couleurs, la façon de vivre, l’image qui associe sans transition beaux quartiers et bidonvilles, surpeuplement des logements kaina, ou populaires, et luxe des nantis et des parvenus. Pas de grands brassages superficiels, tels qu’ils nous sont donnés par les réalisateurs de fictions ou de séries originaires d’ailleurs et tournées ici. La touche typique polynésienne est vraie, parce que profondément ancrée dans le vécu du réalisateur.

Ce film, traité de façon mosaïste, balaye sans fioriture les différentes couches sociales qui y interviennent. Il pose des instantanés, une succession  d’images ou de séquences clés dont les intrigues sont résolues au fur et à mesure, à la manière des milieux tahitiens fortement cloisonnés. On n’explique pas ici, c’est culturel : on apprend en voyant l’autre travailler. Pour faire une parenthèse : ainsi le montre précisément "Vaiora" ; la jeune génération des cinéastes polynésiens étant d’accord sur ce point. Rythmiquement, la mosaïque active cette mise en suspense qui mobilise l’intérêt du spectateur et lui permet de se poser des questions… du moins, l’interpelle.


L'un des plateaux intérieurs...

C’est que l’"Oiseau de Paradis", n’est pas un film didactique, il ne nous impose pas une perception unique. Il n’y a pas que la technique des champs / contre-champs qui nous en avertisse.  Et si le film risque d’être diffusé dans le circuit "Art et essais", c’est à la fois pour le degré de réflexion vers lequel nous mène le scénario, que pour sa conception cinématographique. La lecture sémiotique de l’image même nous y invite : le film fonctionne sur une architecture complexe. Dans la même fiction globale s’insèrent d’autres histoires complémentaires, d’autres fils conducteurs qui au final se rejoignent.

Le pitch est des plus simples : mais il faut s’en méfier, sachons-le ! « Un jeune assistant parlementaire métis, amoral, Teivi… revoit un jour une lointaine cousine aux pouvoirs mystiques… qui peut le guérir » affirme-t-elle. Au-delà, c’est le monde du "piston " politique, des pots-de-vin et du clientélisme, de la corruption administrative, foncière et immobilière, des vigiles musclés à la solde des profiteurs, et la Polynésie en tient une liste des plus florissantes depuis la fin des phosphates (1966), le début des exploitations nucléaires et le boum de la défiscalisation immobilière…  Ce qui implique de la part du réalisateur un positionnement engagé loin d’être négligeable. 

Un peu d’image…
Le film, à travers les portraits antinomiques de Teivi et de Yasmine, leur interaction aussi, révèle l’influence de cette nature insulaire qui ne laisse insensible aucun résident. Il met en exergue la contiguïté de ces deux univers parallèles, le monde du jour et de la nuit :  du caché et du paraître, de la faune des malfrats qui installe ses usages en marge des asphalteuses… Vient s’y adjoindre l’image de l’inceste, fléau social bien tabou de notre société… 

Parti pris esthétique

Le traitement de la lumière est peaufiné à l’excès… Nous suivons le parcours des personnages en suivant le pointillé des lampadaires de la grande route, les réverbères des espaces boisés, les phares, les loupiotes qui décèlent casques d’écoute, lampe de chantier, bougies, lampes d’appoint, feux nocturnes,  néons des boîtes de nuit… et astre lunaire. Tout un jeu de clairs-obscurs signifiants de la situation particulière ou de son insertion dans la continuité du film.

L’action y progresse par éclipses. Le duo Teivi-Yasmina laisse sourdre, chacun dans son espace, sa part d’ombre… 


Teivi, alias Sebastian Urzendoxski et le réalisateur
L’aspect symbolique est omniprésent. L’image initiale du dancing avec Teivi se clôt sur la même chorégraphie interprétée par Yasmina : alors, qui est-elle, qu’elle vienne se fondre sur son image ?  Quelle est sa réelle filiation ? Une zone d’ombre que laisse ouverte le scénario. La tombe du père de Teivi laisse déchiffrer le nom très proche d’un certain Pouvanaa, le metua, le père du peuple polynésien, l’homme intègre… Teivi peut-il guérir ? …Et l’oiseau de paradis, figure mythique de l’être ailé qui se libère de ses soucis et entame une autre vie… Yasmina ?

Un certain mysticisme

La légende de Hina, la mangeuse d’hommes de Rurutu… apparaît au générique initial… Quelle symbolique lui accorder quand on sait que la légende de Hina surgit après l’arrivée des missionnaires sur cette île des Australes ? Celle de l’étranger, de la modernité qui dévore ses enfants ? Celle de la réincarnation du mal, dans la mentalité populaire, sous la forme des spectres de la nuit, de revenants.

Celle de la simple relation entre les insulaires avec la nature ? Celle de l’existence, attestée dans la population, des dons de clairvoyance ? Et qu’en est-il de ce don, s’il n’a plus aucune prise sur la réalité ? Bien des événements étranges se produisent dans le film : entre hallucinations, accidents de chantier, et surtout télépathie qui s’instaure entre Teivi et Yasmina… Est-ce une image de la justice, bien connue dans les dictons populaires ? Teivi a mis en danger la vie des riverains, il doit payer de sa vie… La symbolique de l’eau étant tellement prégnante ! Purificatrice, régénératrice, élément de permanence, de transmission, l’eau est aussi le lien qui enchaîne les héros à leur île, les relie l’un à l’autre.


… une salle pas vraiment noire !
Oui, Teivi est en train de changer… Est-ce un pur hasard qu’il se trouve, le même jour, dans l’hôpital où vient d’être admis sa jeune victime ? Teivi est amené à faire le point sur sa vie, à la suite des événements étranges dont le hasard n’est pas toujours absent. C’est intérieurement qu’il semble se remettre en question. Le paranormal est induit, même

La facture Manate 

Le film de Paul Manate n’est pas un divertissement grand public, ni un film de genre, mais un cinéma d’auteur. Un cinéma qui ne pourrait se soumettre à la pression des producteurs et des séries… « …Parce que tout n’est pas dit, tout n’est pas explicité, la perception n’est pas immédiate ». L’image est belle, évocatrice, dégage une atmosphère. Certains y voient une facture fantastique…

Effectivement, son image est resserrée, se débarrasse du superflu ; son scénario, des épisodes annexes. Les acteurs ou figurants présents lors de l’avant-première à Tahiti remarquent combien le montage a coupé dans la matière du tournage. L’œil du cameraman est prépondérant, pour une image forte qui tranche mais en même temps est nuancée.


Blanche-Neige Huri, alias Yasmina en action
Les deux rôles principaux, Sebastian Urzendowski, Teivi et Blanche-Neige Huri, Yasmina, sont tout en finesse. La marque Manate c’est de faire passer à l’écran l’étrangeté, sans caricaturer, tout en laissant aux personnages le champ large du naturel. Impressionnante, la jeune Blanche-Neige Huri pour sa première prestation à l’écran. Et chapeau à Sebastian, vu l’enjeu qu’il représentait dans cette fiction polynésienne !

Encore bien des choses positives à dire sur "Oiseau de Paradis"… dont les dialogues en catimini me renvoient, mutatis mutandis, à l’atmosphère nordique de Cris et chuchotements d’un certain Bergman… Il sort le 15 avril en métropole dans 10 salles…  



Un article de   Monak et  Julien Gué

         Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation des auteurs avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.





jeudi 13 février 2020

17ème FIFO et distorsions


Ô Papouasie Nouvelle-Guinée !


          Ophir, qui vient de remporter le Grand Prix FIFO 2020, se situe à l’est de la Papouasie Nouvelle-Guinée (PNG)… mais son autonomie annoncée n’est pas encore effective. En fait l’ensemble du pays est une véritable poudrière… multiplicité des ethnies, ingérences externes, pauvreté, tensions sociales, exode sylvestre…


           Pour faire simple, la violence est permanente, soit orchestrée par le gouvernement, soit par les tribus elles-mêmes. Après des années de conflit belliqueux, instrumentisées par les Grandes Puissances Océaniennes, le pays, à feu et à sang, subit encore les contre-coups de colonisations multiformes. Il n’est donc pas étonnant que les documentaires qui y sont réalisés proviennent d’initiatives étrangères, Australiennes en particulier… 

Sean Dorney, un journaliste engagé
Les deux documentaires suivants sur le sujet, tout comme Ophir, font appel à des journalistes dont le travail d’investigation n’est pas anodin, mais risqué, quand ils se trouvent sur le territoire de la PNG. Sean Dorney, Port Moresby, dans la section Hors-compétition, occulte le parcours dangereux de ce journaliste, pour se consacrer à ce moment très particulier de sa vie où il se replonge, à la retraite et diminué, sur les lieux qui lui ont été interdits aux moments forts de sa carrière…

Le second, Lost Rambos, entre format court et moyen-métrage, pourtant inscrit dans la section en compétition, semble correspondre à une sorte d’OVNI documentaire, passe la barre de l’incroyable et rend compte du summum de l’absurdité. On pourrait en rire, tant il est aberrant, on est glacé, tant il est trash…


Un humain parmi les humains

Sean Dorney dans le documentaire de Ben Hawke, en proie à une maladie dégénérative qui le laisse presque impotent, effectue son voyage de retour sur la Terre de sa jeunesse et de sa maturité… Mais, aléas de la censure journalistique imposant, il en a été expulsé en 84, par l’État de PNG, pour l’interview d’un chef rebelle papou, combattant le gouvernement indonésien… Tout comme plus tard, en 2009, il a été banni des Fidji.

Mais le propos de Ben Hawke, étant de nous montrer son intégration dans la communauté de son épouse, papou, journaliste radio de l’Île de Manus (encore !)… nous le voyons revivre par procuration les matchs de rugby dont il était capitaine en 1976, dans la ligue nationale.


Un beau parcours
L’important étant de nous faire percevoir, combien il fait partie de la communauté autochtone, accueilli, au centre des festivités, des rituels de transe destinés à l’accompagner en vue d’une guérison souhaitée. L’image inverse du colonisateur : un Blanc, résidant en PNG, engagé journalistiquement dans le démontage du système dominant. Ce qui n’est pas coutume…

Une tranche de vie où sont tues aussi, ses récompenses officielles… Un film dont l’impact du film sorti en 2018 induit le gouvernement de PNG à le décorer de l’étoile de Mélanésie en 2019 : ce qui nous laisse espérer en des jours meilleurs…


Le comble de l'irrationnel

Le documentaire Lost Rambos de Chris Phillips, s’il fallait le démontrer, expose, en passant d’une tribu à l’autre, l’ineptie de la guerre. Revancharde, elle ne prend en compte que les termes de l’hécatombe, du combat avec pour seule issue l’extermination.

À l’échelle tribale, elle ne conçoit la victoire que sans merci, qui efface l’attaque précédente par la disparition totale de l’autre. Les négociations de paix ne sont envisagées que par des compensations. Un sens de l’honneur exacerbé qui prend pour modèle, l’extrémisme du héros de film Rambo. La modernité ne sert qu’à radicaliser des armes à feu, récoltées sur d’autres champs de bataille et vendues par des forces de l’ordre peu regardantes.

Sans issue ?
Que la région soit ravagée ensuite, importe peu… En quelques images, la situation reste inextricable. Au passage, les femmes dénoncent le système patriarcal. Une situation qui semble hors du temps, hors de toute société, renie toute cohabitation… Des guerriers anachroniques qui semblent avoir déchanté depuis longtemps de toute réalité…

Un bizarre point final qui nous renvoie à notre manque d’humanité.


Un article de   Monak et  Julien Gué

Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation des auteurs avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.


Les Staffs du 17ème Fifo


Atmosphère au beau fixe


              Le FIFO, ce n’est pas seulement le tête-à-tête exclusif avec l’écran, le dialogue avec les professionnels du cinéma documentaire, l’écoute ou la participation aux tables rondes ou aux rencontres avec les réalisateurs… c’est aussi un vécu quotidien avec des équipes interactives. 


Elles ne sont pas mises en pleine lumière comme les têtes organisatrices. Elles varient d’une année sur l’autre au bas de la hiérarchie ; quelques référents sont inchangés ; elles courent partout et assurent la permanence. Elles font le lien entre la dynamique du Festival et les attentes de ceux qui, en quête de données indispensables, en fonction de l’intérêt que suscitent certaines réalisations, vont alimenter leurs "papiers", même s’ils sont informatisés.

Faatauira Tainanuarii, chargée des relations presse
Pour nous, minuscules journalistes indépendants d’un organe qui n’est pas médiatisé à coups de publicité, l’accueil est toujours surprenant : et la surprise est bonne. Tahiti, ses îles et autres bouts du monde, Webmagazine qui couvre le FIFO depuis 2011, lu dans 87 pays, parcouru par 5000 lecteurs/ jour… et visité par 7 millions 7 clics sur la toile… l’épisode 2020 est copieux et délectable. Les fenêtres facebook font le reste avec les "like"…

Au village FIFO, les équipes au T-shirt rouge, balisent agréablement le chemin qui mène à la salle de presse… ce qui n’est pas toujours évident.

Le bureau de presse

Le FIFO, ça commence toujours en amont, par des échanges courriel incognito. Très protocolaires, rigoureux, précis, accélérés. La dimension virtuelle où besogne le service fifo-tahiti-medias. Puis vient enfin le jour de l’ouverture et la découverte bien concrète du bureau de presse. Tout au bout du labyrinthe de la Maison de la Culture, Te fare Tauhiti Nui.

Derrière la porte sourde, à cause du bruit de l’avenue, la ruche industrieuse attablée parcimonieusement autour de la responsable, Heimanu Wallart, s’active. Nous pouvons enfin mettre des visages derrière les messages. Délicate, accueillante, performante et empressée, Heimanu clarifie en douceur la moindre équivoque.

Vatina Doom, le cœur sur la main…
Que distribuer d’autre que des compliments ! Le bureau de presse est un vrai guide, il vous prend par la main et apaise votre inquiétude. Il effectue une dose de tâches monstrueuses, connaît son sujet sur le bout des doigts et aménage un planning qu’il domine, prévoit, réaménage. Une bonne mesure d’accueil souriant, de prévenance. Un vrai bonheur… 

L'équipe chargée des relations de presse

Entre chroniqueurs et interviewés, l’abord n’est pas des plus faciles : la salle de presse sournoisement cachée au pied d’un escalier. Elle s’ouvre sur un coin de verdure chaleureux. Mais en cette saison des pluies, l’acoustique peut devenir infernale sous le chapiteau.

L’équipe fait l’intermédiaire entre les services de presse et les invités du FIFO.  Parmi les membres, Faatauira Tainanuarii, stagiaire, devient mon interlocutrice privilégiée. À  l’ISEPP, en 2nde année de "licence en information et communication", elle semble s’affirmer dans son rôle de corrélation. Elle adopte même un style de plus en plus racé.

Heirani Soter, un animateur top niveau…
Chargée des relations de presse, ce n’est pas une sinécure… débusquer les festivaliers égarés, une activité qui additionne les kilomètres. De 8 heures à 16h 30 sur le terrain, sa mission est multiple…  fait le va-et-vient entre bureaux et accompagnement des festivaliers, leur mise en relation avec la presse, les modifications de dernière minute, suivant les nouvelles donnes et les imprévisibles… « chercher ceux qui passent sur le plateau » de télévision ou à Inside the Doc, aux colloques… Renseignant au passage quelque spectateur ou participant aux Ateliers… toujours avec la même « bienveillance ». Intense en début de journée, l’accalmie s’annonce dans l’après-midi avec les rappels ou les modifications courriels...

Car l’équipe de presse s’est retrouvée aussi, les bras chargés de colliers de fleurs, à accueillir les arrivants, cinéastes, producteurs et représentants culturels. Elle s’est passionnée sur le champ pour le milieu du cinéma. Nous ne savons pas vers quel Master, Faatauira poursuivra ses études prévues à l’étranger… mais nous avons rencontré une jeune personnalité qui s’est affirmée en très peu de temps, de plus en plus efficace, prévenante et capable aussi de faire l’interprète au pied levé dans les interviews… Une disponibilité mentale à toute épreuve.


Un personnel bien rôdé au FIFO

Donc, nous nous sommes sentis entourés par des équipes efficaces,  sympathiques et je dirais même "dévouées" : ce qui est un plus ! Partout, dans les moindres prises de parole, nous avons ressenti cette prévenance qui fait du Village FIFO un lieu convivial : Heirani Soter, animateur de Inside the Doc… et bien d’autres…

Chacun multipliant les initiatives pour vous mettre à l’aise, se proposant de régler les petits incidents de parcours, comme l’oubli d’un cellulaire, la perte momentanée d’un document… je ne nomme que Vatina Doom qui n’hésite pas à interrompre sa pose-déjeuner pour venir en aide ! Il y a plusieurs années, j’avais découvert cette attention hospitalière parmi les préposées au nettoyage… qui, au service de l’institution, n’osaient pas répondre aux questions qui les auraient mises en valeur. Combien leur importance s’est affirmée au cours du temps, jusqu’à maintenant, se produire sur scène pour entamer l’hymne du FIFO.

Le staff Te Fare Tauhiti Nui aux cordes vocales…
Cet article pourrait être perçu comme un remplissage superflu… les conditions matérielles n’étant pas toujours des meilleures… Une salle de presse trop sonore… froide – et je ne mentionne pas que la climatisation –, triste, sans couleur, stricte et étroite.

Mais comment rendre compte de l’aménité, du charme de l’atmosphère d’un festival « sans nul autre pareil » ! Le FIFO bouillonne d’intensité innovatrice : tribune d’une Océanie malmenée dont il est le porte-parole, il le fait avec tant de noblesse et de chaleur humaine, qu’il nous revient, par honnêteté de le mentionner.


Un article de   Monak et  Julien Gué

            Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation des auteurs avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.



mercredi 12 février 2020

Off FIFO 2020


Ô Terres de détresse...


            Encore une page noire pour l’Océanie, dans cette sélection "Hors Compétition" du 17ème FIFO. Spoliation à outrance en Polynésie française, dans le documentaire réalisé par Benoît Tarahu  Mā’ohi Nui, terre de marchandises (2019) ; évanescence d’une communauté calédonienne exilée en Indonésie dans Blok Calédonie (2019) de Dominique Roberjot et  Christine Della-Maggiora. L’Océanie, encore mise à mal ! 


             Le pessimisme encore et toujours, à travers des témoignages qui maintiennent parfois une touche d’humour. Mais ne nous y trompons pas, la sensation de l’exil dans son propre pays prédomine dans cette édition 2020 du FIFO.

L’équipe gagnante de "Ma’ohi Nui, Terre de marchandises"
Que les communautés autochtones soient minoritaires ou majoritaires, le problème de la cohabitation ethnique se pose avec force, surtout quand le dominant, l’État, édicte des lois qui vont a contrario des pratiques coutumières pourtant fondamentales et d’une logique implacable. Conséquences de la colonisation, deux siècles plus tard, les habitants n’ont plus droit de cité sur leurs propres terres originelles ! Ils ne sont jamais partis de chez eux… et pourtant ils n’ont plus de "chez eux". 

Un bout de papier qui garantit la propriété des colonisateurs face au droit coutumier qu’on refuse de reconnaître… et voilà l’imbroglio du foncier. Pourtant, une véritable volonté politique d’équité pourrait se mettre en place, elle est encore possible. Sauf que les intérêts de profiteurs ne s’embarrasse pas des droits de l’homme.


L'imbroglio du foncier en Polynésie

La mise en place du tribunal foncier depuis 2 ans, décrétant pouvoir « traiter plus rapidement les affaires de terre en instance à cause du problème de l’indivision» est un véritable leurre. Le «problème de l’indivision » étant un euphémisme, pour ne pas rendre compte de « la spoliation des terres familiales et claniques par les grandes institutions métropolitaines, religieuses, et les investisseurs immobiliers et économiques ».

Quand  régulation coutumière s'oppose à autorité

« Indivision », un terme falsifié qui voudrait faire croire que l’affaire est purement intra-familiale, qu’elle ne se situe qu’au niveau héritage et ne concerne que les Polynésiens de souche… et leurs conflits de jalousie fraternelle. Le terme est insultant, dans la mesure où se réduit, dans la bouche des administratifs, à des querelles intestines entre héritiers du même clan ! Le terme devient péjoratif, méprise et humilie des familles entières qui se sont vu « dépossédées de leur bout de terrain par des exploitants de canne à sucre ou autres activités de loisir ou de tourisme… » 

Le terme devient radicalement injurieux et outrageant, quand la « volonté des dirigeants réduit un peuple à être l’usufruitier de sa terre ». Cela pourrait paraître surréaliste, mais c’est la réalité. « Les Polynésiens doivent racheter leur terre à ceux qui les en ont évincés »

L’état de fait est le suivant : « les propriétaires fonciers de la République, munis d’actes officiels et inscrits au plan cadastral ne sont pour la plupart que des voleurs de terre, qui ont décrété jadis que la parcelle incriminée était vierge ! Dans ces conditions, les tribunaux ne feront qu’entériner la loi du plus fort ». Tribunal signifiant frais, l’individu ne peut en assumer le coût. D’où ce sursaut Associatif appuyant le Polynésien lambda qui ne possède pas les moyens d’une procédure…

Une écoute mobilisatrice au FIFO
« Procédure pourquoi ? Quand 80% des terres appartiennent à l’Église… aux banques, aux hôtels, à l’armée, à l’administration… à l’époque où les habitants ne disposaient pas de l’écriture, ni de la langue pour faire reconnaître leurs droits ! Procédure aberrante quand chacun sait qu’à l’arrivée des colons, les Polynésiens ne possédaient aucun titre de propriété. » Ce qui paraît normal, puisque le Conseil des Anciens gérait au fur et à mesure l’utilisation des terres. Oralité contre administration française, « la société autochtone, se retrouve sans identité ! », parce qu’elle n’est pas écrite. « Procédure abusive, quand brusquement  des familles sont expulsées de l’endroit où elles ont toujours habité depuis des millénaires. »

Une revendication identitaire

            Le sursaut alors ? Un sursaut associatif qui prône le respect face à une escroquerie coloniale », qui se retrouve aussi en Australie, terre déclarée vierge d’Aborigènes, à l’arrivée des colons. « Que demande-t-on aux natifs d’ici : de prouver qu’ils ont été désappropriés, évincés de leur lopin de terre par les gouvernants des EFO ? de racheter leurs propres terres aux spoliateurs ? »

         « L’administration française a commis bien des erreurs, en jouant la carte des « terres cadastrées à la française, comme en métropole ». Encore faudrait-il qu’elle le reconnaisse ! Officiellement, circule ce genre de constat : qu’en matière «  de titre de propriété et d’occupation des terrains, les situations étaient très complexes, voire inextricables. » À qui la faute ? « Le tribunal foncier se devrait d’apaiser la situation. En fait, il colmate, sans revenir à la source de ces complexités : il parvient à des accords, pour des cas faciles. »

Mais le fond du problème se situe ailleurs. « Le foncier est une question de tampons ? Alors que les notaires, peuvent agir sous seing privé ? Quand les grands propriétaires terriens fricotent avec le pouvoir ». « Le pays a été vendu comme une marchandise, comme un bien matériel dont on a effacé la gestion collective, son âme culturelle »

Entre culture et immobilier
« La question fondamentale est une question culturelle, identitaire. Le fonctionnement de la Terre, culturellement, se pose autrement dans la société insulaire de Polynésie. Elle était propriété communautaire. Ce système d’ailleurs continue à fonctionner dans certains archipels, sans justement que ne se posent de problèmes de propriété. » On l’éradique au nom du profit.

« L’idée serait de réunir anthropologues, historiens et juristes pour que ne soit pas dénaturé le fonctionnement foncier d’une culture. Il faudrait qu’il soit repris à la base. Le ministère du logement, l’un des plus grands propriétaires foncier, ne verse que de l’huile sur le feu. »

Le film, comme les voix qui y témoignent, lance un cri d’alarme. « Avant 2004, la population refusait le cadastre. Moyennant quoi le gouvernement français, avec ses géomètres, s’est approprié les terres. » L’impact sur le public a été immédiat, en salle, comme sur la page du réalisateur, de l’auteure Jeanne Peckett-Pouira Phanariotis et de leur supporter Maki Rote, présents à tous les débats au FIFO.  « La régulation coutumière est en exercice aux Australes ». « ...alors, c’est bon pour le reste de la Polynésie ! » « Les consciences se réveilleront-elles pour ménager le cadre culturel d’origine dans le tissage administratif du foncier ? »

Exister, un mirage ?

À l’inverse, le documentaire Blok Calédonie (2019) de Dominique Roberjot et  Christine Della-Maggiora qui dévide comme un rituel de survie, l’attachement du cénacle des aïeules calédoniennes en terre indonésienne se perçoit comme l’agonie d’une culture. Bien sûr, on y rit, on s’y réjouit. Mais l’atmosphère est poignante…

La communauté est isolée dans le cadre d’une  cité qui les absorbe… Ne reste que le chagrin du départ, des circonstances de l’exil… « Un mirage » ? ou un requiem ?

Quand s’évanouit la culture
  Le FIFO, dans son rôle de plateforme qui divulgue les aspects les plus divers de la réalité océanienne, sur son propre continent comme en marge, permet de déceler combien la culture est fragilisée par les dangers d’une assimilation à outrance.

« Quel avenir pour l’Océanie ? », se pose donc, durant cette 17ème édition, comme une problématique d’urgence. Les documentaires le démontrent haut la main… En conséquence, la mobilisation des instances de décision attendue, comme une issue de secours…si elle ne répond pas aux désirs légitimes des peuples, la solution surgira de façon plus violente et irrémédiable. Les exemples sont là, aussi… omniprésents. Pour que les Peuples et les Terres ne deviennent pas des marchandises…



Un article de Monak et Julien Gué

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