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jeudi 15 janvier 2015

Te 'uru : l’arbre à pain




Apologie d'un fruit

Originaire d’Océanie, l’arbre à pain est, bien avant le cocotier, l’élément clé de la survie alimentaire des populations insulaires du Pacifique Sud. Mais aussi, plus récemment, d’une grande partie de la ceinture tropicale.

La présence de cet arbre nourricier en Océanie remonte à plusieurs millénaires et c’est dans cette région du monde que l’on en trouve le plus grand nombre de variétés. Il en existe plusieurs dizaines très différentes, chacune étant adaptée à un écosystème particulier.

Le uru, un arbre majestueux
Ainsi, pour la seule Polynésie française, on en identifie plus d’une cinquantaine de variétés sous le nom de 'Uru ou Maiore.

Un arbre colonisateur
C’est très certainement et essentiellement grâce au fruit de ce végétal exceptionnel que les peuples insulaires océaniens ont pu survivre et se développer dans cet univers maritime si rude depuis plusieurs milliers d’années.

Le 'uru ou garde-manger végétal
Il faudra attendre la fin du XVIIIème siècle et les voyages de retour du Pacifique Sud pour que l’arbre à pain débarque aux Antilles, devenant ainsi la base alimentaire des populations d’esclaves.

C’est en tentant de le ramener aux Antilles, en 1789, que le Bounty de William Bligh subit la mutinerie aujourd’hui devenue légendaire.

Ensuite, les Européens en introduisirent, au compte-gouttes, quelques variétés (cultivars) dans la plupart des régions tropicales : Madagascar, Afrique, Amérique Centrale et du Sud…

La cueillette du 'uru à Mayotte
Aujourd’hui, il est omniprésent dans toutes les régions tropicales humides, tant pour son intérêt alimentaire qu’esthétique.

Attention toutefois, il en va de l’arbre à pain comme du cocotier : si la fraîcheur de son ombre est particulièrement attirante, il vaut mieux éviter de s’y prélasser. En effet, la chute de ses fruits de plusieurs kilos peut s’avérer extrêmement dangereuse pour les crânes fragiles…

Te 'uru : l’arbre aux mille noms
C’est, sans aucun doute, en grande partie grâce au fruit de ce végétal exceptionnel que les populations insulaires du Pacifique Sud ont pu survivre et se maintenir à travers les siècles sur ces terres pas toujours si paradisiaques que cela.

L’Astocarpus rima incisus blanco
En Mélanésie, ce sont les espèces à graines qui sont les plus répandues, alors qu’en Polynésie, ce sont les formes sans graines qui prédominent. Dans ce cas, l’arbre se propage par drageons.

Pouvant atteindre jusqu’à une trentaine de mètres de hauteur, il dispense une ombre dense et fraîche. Ces caractéristiques ajoutées à l’intérêt de ses fruits expliquent qu’il ait été adopté aussi facilement et unanimement en autant d’endroits différents autour de la planète.

 Ainsi, si le patronyme officiel de l’arbre à pain est Artocarpus altilis (de la famille des Moracées), 'Uru ou Maiore en Polynésie française désigne l’arbre et le fruit.


Une vie de 'uru…
S’il est appelé 'uru dans la majorité des langues polynésiennes, il répond aux doux noms de fouyapen ou fwiyapen en créole martiniquais et guadeloupéen, vouryapin en comorien, momboya en lingala, friyapin en créole réunionnais et mauricien et lamveritab (arbre véritable) en créole haïtien. Et j’allais oublier buju en langage marron de Jamaïque et beta au Vanuatu.


Te ‘a’ai ‘o te tumu ‘uru ou la légende du 'uru
En ce temps là, Nohoari’i était le roi d’une île ignorée du monde.

Le père du 'uru s’appelait Ruata’ata. Originaire de Ra’iatea, Son marae était Toapuhi et son épouse, Rumauarii, était du marae Ahunoa. Quatre enfants naquirent de cette union.

Vint une époque où l’île fut touchée par une terrible famine. On ne mangeait plus que de la terre rouge. Voyant leurs enfants mourir de faim, Ruata’ata et sa femme les emmenèrent à l’intérieur des terres, dans une petite grotte où ils survécurent en mangeant des fougères.

L’arbre nourricier des îles polynésiennes
Un soir, Ruata’ata dit à sa femme : « Rumauarii ! Demain, lorsque tu te réveilleras, tu seras seule avec les enfants. Alors tu sortiras de la grotte et tu découvriras un arbre. Tu chercheras mes mains, ce seront les feuilles de ce uru. Tu regarderas le tronc et la fourche de l’arbre, ce seront mon corps et mes jambes. Enfin, tu regarderas les beaux fruits ronds, ce sera du uru, issu de ma tête. Le cœur du fruit sera ma langue : Tu le prendras et le cuiras. Tu le pèleras, tu le battras pour rendre la chair compacte, tu en retireras le cœur, et tu en nourriras nos enfants jusqu’à ce qu’ils soient bien repus ».

Sur ces mots, Ruata’ata quitta l’abri la grotte, creusa un trou profond à quelques mètres de là et s’y enterra, ne laissant hors de terre que sa tête et ses bras. Son épouse demeura perplexe auprès des enfants.

Au petit jour, Rumauarii se leva, sortit, et vit que l’endroit était ombragé par un arbre somptueux. Tout ce que son mari avait annoncé était là. Des fruits bien mûrs reposaient même au pied de l’arbre.

Elle comprit alors le sens des paroles de son mari. Avec chagrin, elle prit délicatement ces fruits, les cuisit au feu de bois, et lorsqu’ils furent à point, les porta au bord de la rivière et suivit les instructions données par son mari. Ainsi fut-elle sauvée avec ses enfants.

Un jour des serviteurs du roi, partis le long de la rivière pour pêcher l’anguille et la chevrette, virent le cœur et la peau du 'uru qui avaient dérivé dans les flots. Ils les prirent et mangèrent les restes de chair qui étaient dessus. « C’est une nourriture délicieuse ! Mais d’où provient-elle ? »

Un 'uru tout juste cueilli
Ils remontèrent alors tout au fond de la vallée, parvinrent dans cette gorge, et là, le port majestueux d’un arbre inconnu leur apparut.

Une femme se tenait à côté. Ils lui demandèrent : « Quel est cet arbre ? » Rumauarii, car c’était elle, répondit : « C’est le 'uru ». « Où te l’es-tu procuré ? » « Il vient de mon époux, Ruata’ata. Il s’est transformé en arbre fruitier pour faire cesser les pleurs de nos enfants affamés. ».

C’est ce jour là que la petite vallée reçut le nom de Tua'uru.

Le 'uru en cuisine
Si le fruit du 'uru cru est immangeable, Il existe une multitude de façons de le préparer.

'Uru en pleine cuisson pour un grand ma’a Tahiti
            Il peut être réduit en farine mais, le plus souvent, il est cuit au feu de bois. Même si c’est dans un four tahitien (ou ahi ma’a) qu’il offre les saveurs les plus goûteuses.

            La méthode de cuisson la plus fréquemment utilisée en Polynésie est le feu de bois. Bien que, de nos jours, il arrive de plus en plus souvent qu’il soit posé directement sur les brûleurs d’une gazinière pour gagner du temps.

Un 'uru à la sortie du feu
            Le 'uru est prêt à être cueilli et consommé lorsque des traces de sève blanche apparaissent sur sa peau verte. Il faut alors lui retirer sa queue et le laisser reposer une nuit au moins, à l’envers, pour qu’il se vide de sa sève. Certaines variétés toutefois sont à cuire immédiatement après la cueillette.

            Faire, au couteau, quelques entailles sur chaque pôle du fruit afin d’en empêcher l’éclatement au cours de la cuisson. Ceci fait, déposer directement votre 'uru sur le feu et laisser cuire environ trente minutes de chaque côté en le retournant de temps en temps. Il est cuit lorsqu’une fine couche de cendre grise se forme sur la peau. Avant de le déguster, lui retirer sa peau dure maintenant transformée en charbon.

A table !
            Une fois cuit ainsi, le 'uru peut être servi sans plus de préparation en accompagnement, arrosé de lait de coco par exemple. Mais on peut également le découper en fines lamelles pour en faire des frites, ou l’écraser pour obtenir une purée.

Le pōpoi
            Il serait impossible de conclure l’inépuisable chapitre culinaire du 'uru sans parler du pōpoi.
Il s’agit d’une pâte réalisée à partir de la chair cuite du fruit qui était stockée, parfois durant plusieurs années, pour être consommée lors des périodes de disette pas si rares que cela sur ces îles paradisiaques.

Garde-manger à popoi aux Marquises
            Pour conserver le pōpoi, on enrobait la pâte dans des feuilles de bananier et l’on ensevelissait le tout dans des cavités taillées dans la roche que l’on refermait le plus hermétiquement possible avec une dalle en pierre.

Voici ce qu’en disait le navigateur Alain Gerbault : « La pōpoi est la pâte fermentée du fruit de l'arbre à pain conservée sous terre, enveloppée dans des feuilles. Elle répand une forte odeur comparable à celle de nos fromages les plus fermentés et peu d'Européens peuvent s'y habituer. Elle constitue la principale nourriture des indigènes ». De nos jours, le popoi n’est plus conservé. Et si l’on en prépare, ce qui arrive de plus en plus rarement, il est consommé dans les jours qui suivent sa confection, en général lors de grands tāmā'ara'a.

En guise de conclusion
            De cet arbre aussi beau que généreux pouvant vivre plusieurs centaines d’années, il eut également fallu parler de la qualité de son bois très dense aux nombreuses utilisations (des ustensiles de cuisine aux pirogues en passant par les armes et les outils araires). Mais il faudra y consacrer un article complet !

Une assiette de popoi au lait de coco… Bon appétit !
            Par contre, il n’est pas possible de conclure cet article sans déplorer que ce fruit, merveilleux et accessible à tous sans travail agricole particulier, ait été remplacé dans les assiettes polynésiennes par des produits d’importation surtaxés et très onéreux. Au point qu’il a totalement disparu des étals sur les marchés. Seuls le vendent encore quelques marchands à la sauvette au bord des routes.

            Pourtant, il ne serait pas si compliqué, par exemple, de le mettre au menu des cantines scolaires afin de rendre à nos enfants le plaisir des saveurs polynésiennes…


Un article de  Julien Gué

Tous droits réservés à Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou quel qu’autre support que ce soit.