Ornement ou signe identitaire ?
Réprouvé
pendant plus de 160 ans, le tatau a failli disparaître à jamais. Aujourd'hui,
il a retrouvé sa place dans la société polynésienne. Histoire d'une
renaissance.
Des dos Tatoués au Festival Tatoonesia,
|
Dans la société polynésienne,
avant l’évangélisation, le tatouage avait atteint une complexité et une
richesse inégalée. Bien au delà d’un simple ornement il constituait un repère
social, indiquant l’appartenance à un territoire, une tribu, une famille et le
rang dans l’échelle sociale. Il marquait l’accomplissement de rites sociaux
tels le passage de l’enfance à la puberté, le mariage, etc. Il représentait des
faits remarquables de la vie de celui qui le portait : actes de bravoures à la
guerre, prouesses de chasseur ou de pêcheur…
Rôle et signification du tatau
Dans la vaste étendue de ses possibles significations se trouvait aussi la représentation de marques de type « symbole - gardien » ou «taura» propre à une famille donnée. Enfin, il pouvait être purement décoratif.
Un tatouage traditionnel marquisien complet reproduit par Karl Von den Steinen |
Si la presque
totalité des Polynésiens étaient tatoués, cette pratique rituelle coûtait très
cher, essentiellement en raison des festivités accompagnant sa réalisation.
Plus la famille avait de biens, plus les tatouages de ses membres étaient
nombreux et importants.
Disparition de l’art du tatouage polynésien
Par un brutal retournement le tatouage va passer, en quelques dizaines d’années, du statut de pratique indispensable à celui d’habitude honteuse. Dans le sillage des tous premiers «découvreurs» des îles polynésiennes débarquent, dès la fin du 18ème siècle, les premiers missionnaires venus lutter contre le «paganisme» des Polynésiens. Converti au catholicisme en 1812, le roi Pomare II n’hésite pas à établir un code très sévère directement inspiré des préceptes de la religion qu’il vient d’embrasser.
L’arrêt de mort du tatouage est signé dès 1823 par
l’instauration de ce code qui explique : « Personne ne devra se faire
tatouer, cette pratique doit être abolie entièrement (…) L’homme ou la femme
qui se fait graver des tatouages, si la chose est manifeste, sera jugé et puni.
(…) La punition de l’homme sera la suivante : il devra travailler sur une
portion de route de dix toises pour le premier tatouage, vingt toises pour le
second. (…) La punition de la femme sera la suivante : elle devra faire deux
grands manteaux, l’un pour le roi et l’autre pour le gouverneur.»
Le dessin du tatouage...
|
Ce n’est pas
tant la pratique du tatouage que les missionnaires veulent supprimer mais les
festivités qui en accompagnent la réalisation et qui donnent lieu à tous les
débordements, Notamment des débauches de rapports sexuels.
Il y a bien
quelques nobles qui refusent ce diktat. Si le fait de se marquer la peau n’est
pas considéré comme un acte de rébellion en soi, ils sont sévèrement condamnés.
C’est ainsi qu’a disparue totalement la pratique du tatau dans l’espace
qui deviendra la Polynésie française.
Le travail salvateur de Karl Von den Steinen et la renaissance
En 1897 aux Marquises, l’anthropologue allemand ne dénombre plus qu’une trentaine d’individus tatoués, tous très âgés, mais surtout plus un seul tatoueur. Il réalise alors un méticuleux relevé des tatouages marquisiens. Sans ce travail, tout le savoir lié à cet art aurait sans doute disparu à jamais.
Dans les années
1970, les seuls tatouages visibles en Polynésie étaient ceux portés par les
militaires et les anciens détenus. Les motifs n’avaient rien à voir avec les tatau
traditionnels et le tatouage était souvent l’apanage de «marginaux» voulant
afficher leur rupture avec l’ordre établi.
... puis l'encrage du tatouage |
A la fin des
années 70, un festival des arts océaniens se tient à Tahiti. Pour la majorité
de la population, le choc est énorme : dans les rues de Papeete, des hommes se
promènent dans leurs vêtements traditionnels, et ils sont tatoués. Leur peau ne
porte pas de cœurs transpercés d’une flèche mais d’étranges dessins en noir et
blanc… Ces hommes sont essentiellement Samoans. Aux îles Samoa, la tradition du
tatouage ne s’est jamais éteinte.
Tout de suite,
quelques rares Polynésiens vont comprendre toute l’importance de ce qu’ils ont
vu, entreprenant de se faire tatouer avec des motifs d’inspiration
polynésienne. Surtout, ils vont se lancer dans la pratique du tatouage. À
partir de 1980, le tatau connaît un spectaculaire essor. De plus en plus de
jeunes adultes et d’adolescents se font tatouer. Les motifs sont d’inspirations
traditionnelles. D’inspiration seulement tant il est difficile, plus de deux
siècle après, de remonter aux sources du tatau traditionnel.
Aujourd’hui,
bien rares sont les Polynésiens, hommes et femmes, qui ne portent pas au moins
un tatouage. On ne peut plus parler d’un phénomène de mode mais bien d’un moyen
privilégié d’une affirmation identitaire polynésienne. Bien sur, les aspects
religieux et sociaux lié à la société traditionnelle ont disparus. Demeurent
cependant des fonctions fortes qui ont traversées les siècles : marquer dans sa
chair des événements personnels importants, se confronter à une réelle épreuve
physique, même si les outils modernes l’ont considérablement atténuée et signifier
son appartenance à un groupe.
Actuellement, le
tatouage polynésien est mondialement considéré comme un des sommets de cet art.
Remerciements
à Richard Allouch pour ses photos et sa précieuse collaboration : http://www.fenualivre.com/
Un article de Julien Gué
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire
Cet article vous a fait réagir ? Partagez vos réactions ici :