Les artistes
et l’autocensure
En une époque bien triste au cours de
laquelle quelques minorités extrémistes imposent leurs aberrantes et
insupportables exigences à l’écrasante majorité des autres, réduisant du même
coup les notions de liberté de pensée et liberté d’expression à peau de
chagrin, il nous est apparu salutaire de faire un petit exercice de mémoire.
Je vous parle d’un
temps…
Si
l’économie européenne connut, de 1945 à 1975, ce qu’il est convenu d’appeler les
« trente glorieuses », la liberté d’expression et de création
connurent leur apogée de 1968 à 1995 : le fruit incontestable des grands
mouvements hippies, libertaires et pacifistes qui secouèrent la poussière des
sociétés occidentales dès le début des sixties.
La complainte du progrès de Boris Vian (1956)
Pourtant,
à l’instar de Boris Vian, dès les années 50, de nombreux artistes et
intellectuels avaient tiré la sonnette d’alarme et mis en évidence les dangers
d’une société de consommation débridée.
Il
faut pourtant attendre, en Europe tout au moins, la fin des années 60 et le
début des années 70 pour que des mouvements contestataires fassent
effectivement pression sur les gouvernements et obtiennent enfin les premières
réelles avancées sociales et politiques.
Vous avez dit égalité des sexes ?...
Les
plus emblématiques de ces avancées concernent l’égalité des sexes : droit
à la contraception, droit à l’avortement, égalité des salaires, etc… Plus tard
vinrent la majorité à 18 ans, l’abolition de la peine de mort, etc… et :
les radios libres !
Il
est particulièrement intéressant de noter que depuis le milieu du deuxième
septennat de François Mitterrand (1992), l’Assemblée Nationale française n’a
plus voté aucune loi créatrice de liberté nouvelle mais uniquement des textes
restrictifs de ces libertés. Si la loi autorisant le mariage entre personnes du
même sexe devait être votée, elle serait la première depuis deux décennies à
ouvrir un nouvel espace de liberté dans notre pays !
La parole est un droit !
Cette
période faste pour la liberté de parole en France a vu l’éclosion d’une
multitude d’organes de presse indépendants ou associatifs dont les plus célèbres
restent Libération, Charlie Hebdo, Actuel ou encore La Gueule Ouverte. Hélas,
ceux d’entre eux qui existent encore aujourd’hui ont perdu l’essentiel de leur
mordant…
Qui, aujourd’hui, oserait une Une pareille ?
La
même frénésie de liberté et d’audace a porté les créateurs de l’époque, que ce
soient les plasticiens, les musiciens, les écrivains, les théâtreux et les gens
de cinéma. Ce souffle de liberté s’est, hélas, considérablement tari sous
l’insupportable pression de la dynamique libérale. Au point, aujourd’hui, que
journaux, radios et télévisions n’osent plus rien qui pourrait déranger qui que
ce soit, et tout particulièrement les gens au pouvoir, les intégristes de tous
bords… et surtout les annonceurs.
Ou quand les écolos osaient dire et agir…
Qui,
en effet, en ce début de millénaire, a repris le flambeau pourtant porté si
haut par les Pierre
Desproges, Coluche
et autres Professeur
Choron ?
La honte de la République
Ce
phénomène de normalisation et d’aseptisation de la pensée et de la création n’a,
hélas, pas atteint que les médias et le monde de la presse.
Une affiche pour le moins évocatrice…
Ainsi
qui, en ce début de millénaire en France, oserait réaliser et diffuser un film
grand public aussi iconoclaste que le « Tarzoon, la honte de la jungle »
de Picha et Boris
Szulzinger sorti en 1975 ? Un film qui se place directement dans la
lignée du célébrissime « Fritz
the Cat », l'irrévérencieux personnage créé par Robert
Crumb et adapté au cinéma par Ralph
Bakshi.
Quelle
télévision française oserait, aujourd’hui, diffuser ces films en prime-time ?
En son temps, pourtant, ce fut le cas pour « Fritz the Cat ». Et l’on
voudrait nous faire croire à une société plus libre et plus tolérante ?
Nous étions en 1972…
Bien
plus grave qu’une censure officielle, ce sont les artistes, les journalistes,
et bien sûr les diffuseurs eux-mêmes qui pratiquent cette autocensure
au nom d’un soi-disant respect des autres.
Pour l’anecdote, il est intéressant
de noter que dans la version américaine du film, la voix de Tarzoon est celle
du propre fils de Johnny Weissmuller, l'athlétique interprète de
Tarzan dans les années 1930 et 1940.
M’appuyant
sur le principe élémentaire qui veut que toute vérité soit bonne à dire, je
vous invite aujourd’hui à prendre le temps de visionner l’intégralité du film
de Picha et Szulzinger et avec son titre original avant censure : « Tarzoon,
la honte de la jungle ».
Prenez le temps de visionner ce film, vous ne le
regretterez pas !
En
effet les ayant droit de Edgar Rice Burroughs, l’inventeur du
personnage de Tarzan, avaient intenté et gagné un procès et donc obtenu que la
référence à Tarzan disparaisse du titre. Le film fut donc diffusé sous le titre
de « La honte de la jungle ».
Pour
conclure, et après avoir vu le film bien sûr, je vous invite à méditer cette
pensée du grand philosophe français Pierre Desproges : « On peut rire
de tout… mais pas avec n’importe qui. »…
Hélas...
Et donc je dis, écris, persiste et signe : Je revendique le droit de me moquer de tout, en commençant bien sûr par moi-même. Mais aussi de Dieu. De tous les dieux, et surtout de leurs prophètes. De tous leurs prophètes.
Et vous ?
Un article de Julien Gué