Comment danser la révolution
Au cœur de la révolution Tunisienne,
Imed Jemâa lutte pour la danse et renie les symboles de l'ex-régime. Sera-t-il
victime aussi du nouveau pouvoir ?
Issu
de la rue, il fut le premier chorégraphe de l’histoire du monde arabe à être
consacré par un jury international en danse contemporaine. Pour la suite : il
rêvait d’un autre destin…
L’envol d’un danseur
En
trois ans à peine, il fonde sa Compagnie et remporte le concours tant convoité.
Celui qui offre aux chorégraphes lauréats une renommée internationale et
consacre les talents de la Danse Contemporaine. C’était en 1992 avec le
spectacle Nuit Blanche.
Imed Jemâa par lui-même
Dans
la foulée chorégraphe au Ballet National et chevalier des Arts et des Lettres,
il décroche la médaille d’argent aux Jeux de la Francophonie (1994)
avec Mémoire.
Trois
ans plus tard, de retour du Festival de Théâtre Expérimental du Caire avec
trois nominations (meilleur spectacle, meilleure mise en scène et meilleure
technique scénique) pour Sans Rien, il démissionne du Ballet National.
Un statut inexistant
Lauréat
des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Bagnolet, Imed Jemâa pouvait
prétendre, comme la génération de ses pairs en France, diriger un Centre
Chorégraphique. Mais en Tunisie, le statut de danseur professionnel n’existe
pas.
La
politique culturelle de ces vingt-trois dernières années suit les coups de
génie d’un fonctionnaire intègre par-ci, les humeurs d’un ministre homophobe
qui confond masculin et machisme par-là, les rumeurs de palais, les humeurs des
nantis…
Ses
quelques vingt années de métier, il les a passées à créer. Sans rien. Toujours
à quémander d’improbables subventions.
Son
salut, il ne l’a dû qu’à des coproductions étrangères. Prestigieuses, certes,
mais aléatoires : Montpellier-Danse, les Biennales de Lyon, du Val-de-Marne, de
Turin, la Francophonie et autres festivals qui l’ont mené de Montréal à
Madagascar.
Un spectacle Imed Jemâa en 2011
En
tant que Chorégraphe créateur, participant aux différents Printemps de la
Danse, depuis dix ans, ses prestations dépendent du bon vouloir des instances
rémunératrices.
Les aînés, les magouilles et la dictature
Chorégraphe
sans lieu … créateur itinérant… une Compagnie dont les danseurs survivent grâce
à d’autres emplois… La qualité des prestations d’Imed Jemâa, parfaitement
admises dans le monde occidental étendu, peut encore se heurter au discours
critique conformiste, ou aux mentalités traditionnelles.
Le
plus difficile reste donc de faire subventionner ses spectacles puisque l’Aide
à la Création n’existe, pour la danse en Tunisie, que depuis 2012. Encore s'adresse-t-elle aux jeunes créateurs, ce qui n'est plus vraiment le cas de Imed Jemâa.
Danser pour quoi faire ? … Pour vivre !
Il
lui faut aussi l’aval de la presse. Mais, pour ne pas déranger l’ordre établi,
les médias s’en référent aux éminences de l’ombre : grandes familles, familles
de ministres, appuis au RCD
(Rassemblement constitutionnel démocratique)...
Il
va sans dire que la langue de bois journalistique de l’ère Zaba (Zine
el-Abidine Ben Ali), ne le soutient pas dans ses revendications scéniques.
Bluetooth
et séquence vidéo, créé en octobre 2010, dénonce l’abus des mobiles et
autres engins de communication. Mais brandir des pancartes de manifestants en a
dérangé plus d’un ! Imed Jemâa, porté comme tout créateur par son intuition,
n’a fait que représenter, en avance de quelques mois, la révolution libératrice
par clics interposés !
Hélas,
la plupart de ceux qui ont « hébergé » ses créations se sont arraché les
mérites de ses distinctions. Disposant de crédit auprès du Secrétariat de la
Musique et de la Danse, ces structures n’ont pas hésité à maintenir le flou
pour percevoir la manne financière à sa place.
Un centre chorégraphique fantôme
Après
le défunt despotisme, l’autocratie des grandes familles tunisiennes prend le
relai. Ainsi, les réunions qui ont tenté d’unir, en Tunisie, le petit monde de
la danse dernièrement montrent à quel point les survivances d’un passé récent
sont encore effectives.
L’idée
d’un Centre
Chorégraphique Méditerranéen, Imed Jemâa l’avait émise en 1998, dès la
fermeture du Ballet National qui n’aura vécu que cinq ans ! Mais l’idée a servi
pour être ré-exploitée autrement à travers des structures semi-étatiques ou privées.
Multipliant
les initiatives de formation et de promotion de la danse, il ne cesse
d’inventer des rencontres libres : dans le cadre du patio de la Médiathèque de
l’Institut Français de Coopération, du CCIRT (Centre Culturel International) de
Hammamet, des Centres d’Arts Dramatiques et Scéniques du Kef, de Sfax, de
minis-festivals (Automne
Danse), etc.
Imad
Jemâa est bien, par force, un artiste nomade.
Spectacle et questions fétiches
Imad
Jemâa a à son actif pas moins d’une trentaine de créations, au rythme d’une à deux par
an et internationalement appréciées.
Monak dans « Dar Ellil » en 1999
Il
n’a cessé de prôner la recherche, creusant les thématiques comme les questions
formelles ou techniques. Par exemple, la question des espaces entre arts
plastiques et arts du mouvement, entre musique et gestuelle du silence, entre
poésie, parole dansée et arrêt sur image, écran et dénuement…
Dar Ellil
(L’antre de la Nuit), qui a voyagé tous azimuts, est son spectacle
fétiche : revendiquant la place corporelle de la femme dans le discours comme
dans la symbolique des images, de l’interprétation du trio et de la violence
des figures.
Dans
sa pratique, il distribue les cours gratuitement aux danseurs qu’il recrute
pour sa Compagnie ; offre son temps et, souvent, intègre la prestation d’un
nouveau chorégraphe en première partie de ses programmations.
L’adieu aux breloques de Imed Jemâa
L’art
étant engagement, largement démontré par des spectacles comme Çabra
(Patience : plaidoyer contre l’intégrisme en 1998), Imed est égal
à lui-même !
Un geste unique dans la Tunisie d'après Ben Ali
Courageux
de sa part, mais aussi, hélas, acte unique dans le monde des artistes tunisiens
: Imed Jemâa se dépouille de sa distinction de « chevalier des arts et des
lettres » qu’il avait reçue de l’ex-président déchu et renversé par la rue.
Dans
un premier manifeste, il publie : « (I.J, Je) déclare me débarrasser des
breloques de l’ère Ben Ali (…) et me libérer de toute distinction (…) qui ne
m’a d’ailleurs rien rapporté. (…) Cette dictatoriale citation (…) suite à ma
consécration professionnelle internationale »…
Sur
le net, il diffuse la vidéo Bi
Koli Ashm… (Avec toute la honte sur moi…) où il jette sa
médaille dans une poubelle.
Jerba, mai 2012
Aujourd’hui,
Imed Jemâa se plait à caresser d’autres rêves.
La
deuxième édition du festival
« Danse à l’île » de Jerba, dont il a été le principal artisan avec
ses danseurs et ses élèves devenus grands, vient tout juste de se terminer. Un
très gros succès sur tous les plans.
« Dyéri », un aperçu du travail de Imed Jemâa
Porté
par l’ambiance enchanteresse de l’île, par son calme et par la beauté
omniprésente, le chorégraphe se demande aujourd’hui si ce n’est pas là qu’il
devrait installer sa compagnie. Une affaire à suivre.
Ce
qui est certain, c’est qu’il y sera pour l’édition 2013 avec un projet pour le
moins ambitieux et surprenant. Une affaire à suivre donc, ce que nous ferons
pour vous, soyez-en assurés.
Provocateur
courageux, Imed Jemâa parie sur un avenir meilleur.
Normal,
pour un artiste…
Pour
avoir un autre exemple du travail de Imed Jemâa, cliquez ici.
puis
ici pour la deuxième partie...
Un article de Julien Gué
interessant, j'espere avoir des liens de video comme pour ce groupe de Flamenco qui intervient dans les banques ... amicalement
RépondreSupprimerBon , j'ai trouvé une vidéo via ce blog... c'est que je suis sur batterie à cause des coupures d'électricité ... je regarderai et chercherai davantage dès que l'électricité reviendra ce soir ou demain
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