« Danse à l’Île »
Eloigné
dans le temps, effacé de la mémoire, le mythe du « fruit de
l’oubli », le « lotos »,
tentation des compagnons d’Ulysse ? La crainte de l’impossible retour ne
freine ni le Ministère tunisien du Tourisme, ni la Compagnie aérienne Tuninter,
à investir dans le tourisme culturel. A Djerba, pas d’infrastructure pour des
gîtes festivaliers, et surtout pas de prix promotionnels pour les Tunisiens
(comme c'est le cas pour les festivals de Tabarka ou d’El Jem).
La porte étroite de l’Art (Galerie Dar Cherif)
L’initiative
reste de l’ordre du privé et ne suffit pas à la demande. Cette année,
l’assistance a été entravée par ce genre de vide politique. Et le gouvernorat
de Médenine ne bénéficie d’aucune manne pour enrayer la précarité insulaire.
Une île du monde
Pour
cette 2ème
édition du Festival « Danse à l’Île », Salim Ben Safia, danseur
de Montpellier, a essuyé les retards dus aux revendications du personnel naviguant
de Djerba, en ce mois de mai. Ce qui n’a nullement perturbé le solo qu’il s’est
chorégraphié : Je ne me reconnais
plus. La pièce y philosophe en toute lucidité schizophrène.
Salim Ben Safia dans la salle d’exposition
Salim
flirte avec l’abstraction, le non-lieu, la surface lisse, l’évolution
minimaliste. Tout se passe comme si le vécu était aseptisé. A l’inverse, le duo
Baraniya (L’étrangère, création "Danse à l’Île" 2012 d’Imed Jemâa),
emprunte à l’île sa couleur musicale et scénographique, tout en y convoquant
l’universalité d’un texte de l’exil.
De
l’isolement au nomadisme, de l’exclusion à la différence, de l’écart à la
conjonction des individualités, de l’expérience de l’autre et de son vécu, des
questions au cœur de l’actualité des émigrations d’élection !
L’archipel du corps
Le
festival joue pleins feux sur les nouveaux chorégraphes : soit danseurs ou
musiciens, dans les pièces signées Imed Jemâa, soit créateurs. Karim Twayma se
délecte dans sa production Dancing :
exaltation de la danse, de sa prise d’espace, de ses débordements, l’art de
vivre son corps.
"Dancing",
un art de vivre
Dans
une veine proche, modulée sur vibrations de l’instrument récent, concocté par
les Suisses, s’inscrit Hang, au titre
éponyme. Les danseurs y prennent ce plaisir de la poétique des sons, de leur
résonnance : tel un intermède, qui n’en finirait pas de prolonger ses
parenthèses sur le chaos. Envol subtil.
Plongée
frénétique de ces dernières années, Nhar
Rah (Le Jour Presse), de Imed Jemâa encore, ne s’en tient pas à ces
quelques moments de fièvre révolutionnaire. Elle repose aussi sur un projet ancien
de traitement des équilibres, entre électron libre et sa phagocytose dans la
masse.
Entre flux et reflux
Le
travail sur le mouvement y inclut des situations réalistes, reconnaissables par
leur contexte historique : 14 janvier 2011, débandades et autres
couvre-feux. La violence y est vorace et dynamise les risques pris par les
danseurs, dans l’exécution de leurs sauts et de leurs chutes. L’adrénaline est
au paroxysme. L’image, obsessionnelle de la révolte et de la mort.
"Nhar Rah", la cuisine de la survie
L’enjeu
de cette récente création repose sur le concept du collage cher aux
plasticiens. Des scènes d’un quotidien de survie s’y déploient, en véritables
saynètes théâtrales.
Que
le discours y soit politique, l’aspect n’est pas nouveau, dans le parcours du
chorégraphe. Il avait déjà abordé les forfaits de la dictature islamiste
algérienne, dans Çabra (Patience, 98). Les danseurs y brillent
physiquement, ils en communiquent l’euphorie.
Parmi
les quatre chorégraphes tunisiens de la nouvelle génération, les deux suivants
s’aventurent dans la critique sociale et la dénonciation des mentalités
rétrogrades. Mais s’ils osent transgresser les tabous, ils semblent déclarer
que l’issue n’est pas pour demain.
L’aventure des sens
Tous
deux, pourvus d’un comédien, les ont induits dans leur dynamique chorégraphique.
Les danseurs, fonctionnent dans cette récidive interminable de l’absurde.
"Nafak", une atmosphère à la Kafka
Nafak
(Tunnel) de Marwen Errouine, oppose
individu et concassage par la société. Pas de répit, pas de repos : au-delà
de la destruction de l’autre, l’anathème poursuit son lent travail de sape
et continue à opérer.
Œuvre
d’une minutie imparable, elle joue d’empilements et d’imbroglios. Cruauté omniprésente,
les claques fusent, la brutalité réciproque en essuie les revers. Risques
calculés, non sans dangers. Les danseurs en pleine maestria de figures
complexes, au bord des limites.
Skett, les tourbillons du silence
Elle
pourrait s’intituler « Dégage ! et après », « Délivrance et
ensuite ?», car elle aborde autant les engrenages d’une société figée, que
les impératifs d’une spiritualité close sur elle-même. Wajdi Gagui opte a
contrario pour Skett (Silence).
La
roue des sempiternels recommencements ne cesse de tourner sur elle-même, au
propre comme au figuré.
Y a-t-il un metteur en scène dans la salle ?
Tout
comme ce Festival, s’achève sur une note de dérision la dernière soirée sur les
projections qui ont fait la danse en Tunisie avec Nuit Blanche.
Une courte pièce, sur le mode de l’absurde et du comique : Y a-t-il un metteur dans la salle ?
La danse, alors, un succès dérisoire ?
Un article de MonaK
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire
Cet article vous a fait réagir ? Partagez vos réactions ici :