Un bonheur de
transport en commun
Condamnés à disparaître, les trucks de
Polynésie restent pourtant l'un des meilleurs moyens de visiter les îles avec
les Polynésiens.
Dans les années 50,
un truck Citroën à Moorea
L’automobile
n’a commencé à vraiment se démocratiser à Tahiti qu'à la fin des années 1990,
avec une explosion entre 2000 et 2010. Jusque là, et aujourd’hui encore
ailleurs dans les
autres îles de Polynésie française, il n’y avait d’alternative à la marche
à pied que le vélo, les taxis (rares et chers) et les trucks.
Un truck, qu’est-ce que c’est ?
Si
la recette a connu un succès phénoménal en Polynésie française, elle est
pourtant toute simple: prenez le châssis, la cabine et le moteur d’un petit
camion de 3,5 tonnes, confiez-les à un préparateur polynésien quelques semaines
et le miracle a lieu ! Une superbe cabine en bois peinte aux couleurs de votre
choix occupe maintenant toute la longueur de votre châssis, débordant très
largement au-delà de l’essieu arrière, permettant d’accueillir jusqu’à 40
personnes. Curieusement, elle est toujours agrémentée, sur ses flancs,
d’ailerons rappelant étrangement les ailes arrières des Simca Chambord et
Versailles de la fin des années cinquante. Le toit, dans son entier, est une
galerie permettant de transporter toutes sortes de colis volumineux, des cages
à poules jusqu’aux vélos…
Années 60, un truck au marché de Papeete
Pour
pénétrer à l’intérieur de l’espace dévolu aux passagers, deux possibilités: une
porte est ouverte dans l’arrière de cette cabine et deux autres sur le côté
droit: une sur l’avant pour monter et une autre à l’arrière pour descendre.
Cette cabine est entièrement vitrée sur la moitié supérieure de sa hauteur. En
réalité, des panneaux de plexiglas, en général ouverts en grand, sauf lors des
averses tropicales, évidemment. La principale caractéristique de l’aménagement
intérieur réside dans la disposition des sièges. En effet, Deux banquettes sont
installées face à face le long des parois et une autre, beaucoup plus large, va
de l’avant à l’arrière. Cette disposition, si elle va à l’encontre de toutes
les règles de la sécurité routière moderne, permet aux passagers de se faire
face. Ce qui, vous en conviendrez, est bien plus agréable pour faire la
conversation!
Comment se déplacer en truck ?
Voyageurs
qui montez dans un truck, laissez au bord de la route tout ce que vous croyez
savoir des transports en commun.
Les trucks, spartiates mais tellement conviviaux
Si
les choses ont été largement normalisées dans la zone
urbaine de Tahiti, les trucks n’étaient soumis à aucun horaire ni
itinéraire. Et c’est toujours le cas dans bien des îles. Les chauffeurs sont
propriétaires de leur véhicule et leur propre patron. Dès lors, l’heure du
départ et le trajet précis restent soumis à l’humeur du jour, voire du moment.
Et il en va de même pour les arrêts: les trucks s’arrêtent à la demande pour
prendre ou laisser descendre les passagers. Ces derniers annoncent leur
destination au chauffeur en montant et, le plus souvent, règlent la course
avant de descendre. Il arrive que, pour rendre service à un passager, le
chauffeur fasse un détour totalement imprévu. Il arrive aussi qu'il s'arrête
pour parler avec un ami ou pour faire quelques courses. Depuis toujours,
beaucoup de chauffeurs de trucks sont des femmes.
Irremplaçable ambiance des trucks de Tahiti
Tous
sonorisés, il est bien rare aujourd’hui de voyager en silence. D’autant que,
dans le passé et toujours aujourd’hui lorsque la sono est en panne, il n’est
pas rare que l’un ou l’autre des passagers fasse chanter son ukulele,
entraînant les chants de nombre d’autres voyageurs. Hélas, les boom-blasters
diffuseurs de méga-basses ont tendance à remplacer trop souvent ces formations
improvisées.
Il
est par contre bien rare de voyager en truck sans qu’une conversation ne
s’engage avec d’autres passagers.
Le truck, outil idéal de la découverte
Même
si, à Tahiti, ils sont peu à peu remplacés par d’énormes engins modernes et
climatisés qui encombrent les routes, s’arrêtent aux arrêts officiels et sont
censés respecter des horaires, il reste encore beaucoup de trucks en service,
notamment en dehors de la ville de Papeete. Si l’on n’est pas pressé et que
l’on accepte l’idée de changer de truck au minimum une fois, on peut ainsi
faire, tout seul, un tour de l’île plein de magie et de surprises.
Un truck et son remplaçant moderne
D’autre
part, divers opérateurs organisent régulièrement des « tours de l’île » en
truck, avec un petit orchestre traditionnel et bringue à bord, des
arrêts dans divers sites culturels, historiques ou archéologiques et, bien
évidemment, une longue pause au bord du lagon pour savourer un bon ma’a
tahiti (repas traditionnel polynésien).
Enfin,
il est bon de savoir que le prix d’un billet de truck reste encore très modeste
: 150 Cfp (environ 1,26 €) pour un trajet d’une dizaine de kilomètres en zone
urbaine. Il faut quand même savoir qu’en dehors de Tahiti
et de Moorea,
les services de trucks sont extrêmement aléatoires. Mais ils existent dans les
plus importantes des îles de l’archipel
de la Société.
Les trucks condamnés par la modernisation
Ce
moyen de transport convivial et si particulier est pourtant destiné à
totalement disparaître dans les quelques années qui viennent. « Progrès »
oblige, les trucks sont peu à peu remplacés par des autocars ultramodernes aux
vitres teintées, climatisés, équipés de ceintures de sécurité sur tous les
sièges alignés dans le sens de la marche et pouvant transporter plus de 60
passagers. Au-delà des conséquences sociales de cette évolution imposée sans
concertation par les pouvoirs publics au début des années 2000, c’est un des
aspects particulièrement charmants et originaux de la Polynésie qui va disparaître.
Autre déclinaison du concept du truck
Cependant,
aujourd’hui encore, la quasi-totalité des transports scolaires sont effectués
par des trucks. Il en va de même pour les déplacements de la plupart des
associations sportives et culturelles se rendant à un événement ou un autre.
Enfin, certains opérateurs locaux se battent contre les pouvoirs publics pour
conserver la possibilité d’offrir ce plaisir unique à leurs clients. Avec
succès, pour l’instant…
Les derniers trucks racontés par Lili Oop dans l’émission
Ta’ata
Bien
que d’un autre temps, ce moyen de transport manquera terriblement dans le
paysage et la vie quotidienne des Polynésiens qui y sont, comme moi, très
attachés.
Un article de Julien Gué
Trop de modernisme tue la beauté de ce que TAHITI fut autrefois quand j'ai connu ce paradis.
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