Des hommes, des carrosses et des ânes
Autant le paysage urbain s’est doté d’un
maillage gigantesque d’échangeurs, de voies express à quatre files et
davantage, autant certains des véhicules qui y circulent semblent remonter à 3500
avant J-C. : date approximative de l’apparition de la roue.
L’éboueur :
la récupération ingénieuse.
La fin de l’ère mégalomane, celle des
grands travaux, de la monumentale Cité de la
Culture
à Tunis, en chantier lors de la chute du dictateur, reste encore inachevée. La
Tunisie de la gouvernance provisoire stagne, encore orpheline de sa culture, de
ses arts, de son tourisme, de ses infrastructures. Tous ces secteurs se sont
figés.
Bien avant le
dromadaire
Face
aux palabres interminables d’un gouvernement qui ne se décide à rien, comme
l’évoque, parmi tant d’autres, Hatem Bourial dans son billet intitulé Les jaracandas de la discorde, la
population s’organise comme elle peut. Pour survivre.
Elle
raboute, rafistole, récupère, bricole : rien n’est trop délabré qui ne
serve encore. Désormais, le bas de l’échelle est soumis au bât, des bêtes de
somme. La force animale cède la place à l’épuisement humain. Et tout comme dans
ces multiples cités de l’Europe de la crise, la poubelle est un trésor : rien
n’est trop avarié pour se nourrir.
Le dromadaire
blanc du Saf Saf à La Marsa
Restent
encore quelques survivances de ces animaux de traits comme le dromadaire
attaché à la noria, soutirant l’eau pour l’irrigation des oasis, ou les puits
familiaux. Quant aux fontaines, elles restent l’apanage des femmes et des
enfants, à la campagne.
Mais,
bien avant le dromadaire, nommé en certaines régions du Moyen-Orient « âne
de mer » et ailleurs « vaisseau du désert », l’âne était le
véhicule du désert. Il aurait été domestiqué, il y a 6 ou 8 000 ans, à
partir de deux espèces sauvages : l’âne de Nubie et l’âne de Somalie.
Où sont passés les
ânes ?
Animal
de bât solide, maniable (pas toujours !), adapté aux ruelles tortueuses,
il semble avoir complètement disparu de la médina de Tunis. Patrimoine de
valeur, aurait-il été mis à l’abri, par crainte des émeutes ? Ou tout
bêtement consommé, faute de subsides ?
August Macke : Cavalier sur un âne
Les
petits métiers se sous-prolétarisent. Toujours voués au bon vouloir d’une
embauche rarissime. Les enfants désertent l’école, soit par manque du
nécessaire scolaire, soit de la blouse (hors de prix). Ils mendient ou vendent
toutes sortes d’incongruités : de la boîte d’allumettes aux livres de
prières lilliputiens, proposés même aux touristes.
Le tourisme ne
carrosse plus ?
Les
marchands ambulants, faute de fonds, abandonnent leurs étals de quatre-saisons,
leur roulotte à beignets, à kaftéjis (beignets de viande), à pains et autres
pâtisseries.
Sous les jacarandas de l'avenue de la Liberté à Tunis
Les
petits trains sur pneus, périclitent, sur toutes les zones, en plein chômage
touristique. Les seuls véhicules, qui connaissent la prospérité, sont les taxis
collectifs (de 9 à 11 places). Urbains ou d’agglomérations proches, ils se
substituent aux « louages », à seule destination lointaine. Au prix de
risques encourus par les chauffeurs : la rentabilité se chiffre au nombre
d’aller-retour.
Jusqu’aux
calèches qui abandonnent leur monture. Remplacées par des engins à pédales,
dotés d’une carrosserie en fer forgé, ils alimentent maintenant le marché des
petites annonces.
A vendre : « calèche » en fer forgé
Peu
de débouchés quant au tourisme à rayonnement diversifié : il semble
s’orienter exclusivement vers le Moyen-Orient. Déjà un an et demi postrévolutionnaire,
et les bruits les plus contradictoires circulent à propos du choix sociétal.
L’art de la débrouille ne suffit pas à compenser la faillite des pouvoirs
publics.
Les
nids-de-poule meurtrissent routes, ruelles et trottoirs, de plus en plus
empiétés par des commerces de tous types étalés à même le sol, et débordent sur
les caniveaux : batteries de cuisine, petit électro-ménager,
sous-vêtements, couvre-chefs artisanaux ou importés, schlakas (claquettes), et
les fameux gants noirs à la mode niqab. Un attirail bon marché et peu fiable.
Le marché Moyen-Oriental
Le
circuit du costume, style golfe (d’Arabie) ou autres curiosités vestimentaires
(made in Pakistan), transite par les émirats. Il semble, lui, le seul
florissant. Il est vrai, que dans cette foule de marché, accents bigarrés s’y
font entendre. Les cartons ne trompent guère sur leur provenance (Dubaï, par
exemple).
Une blessure toute humaine
Tout
serait-il en train de changer, jusqu’à l’environnement familier ? L’énigme
n’est souvent pas résolue, quand il s’agit d’Histoire ! On émet encore des
hypothèses sur la destruction de la cité carthaginoise de Kerkouane !
L’auteur
du Voyage au pays de l’Autre, Jean
Fontaine, longtemps administrateur de la bibliothèque de l’Institut des
Belles Lettres Arabes (IBLA) à
Tunis, nous pose un véritable rébus dans cet ouvrage qui fut malmené : La Blessure de l’Âne.
Un âne, un livre, un monde…
Ainsi que le révèle l’initiateur de l’histoire
de la littérature contemporaine tunisienne
et un regard tout particulier sur la littérature
féminine, l’image qu’il emploie à dessein, plonge à plein dans le quotidien
de la Tunisie. La blessure de l’âne représente cette difficile domestication de
l’animal.
J.
Fontaine, tout aussi entêté que l’âne bâté dont la blessure se rouvre s’il
ne se conforme à son joug, évoque
l’apprivoisement qui s’est opéré entre les Tunisiens et lui : long, mais
jamais définitif, de par sa fonction sacerdotale.
Fardeau : la blessure de l’identité
Quinze
ans plus tard, une autre souffrance scinde en deux la communauté tunisienne :
pour plus de clarté, nommons-la «blessure de l’identité». Un fardeau
bien lourd à porter ! Les reconnaîtra-t-on dans l’évolution qu’ils
assument, avant et après l’indépendance ? Ou, leur imposera-t-on une image
rétrograde venue d’ailleurs ?
La
blessure émerge toujours de cet écart entre image de soi et apparence. La réalité
vient s’abattre et écraser le vivant : comme ce jeune homme, portefaix de
son état, croulant sous le poids de la charge, et dont les genoux ploient. En
toute inhumanité !
Le bât de la misère : la démesure
Il est là, ce
bât de la misère ! Dans la démesure !
Un article de MonaK
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