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mardi 19 juin 2012

Le bât de la misère


Des hommes, des carrosses et des ânes

Autant le paysage urbain s’est doté d’un maillage gigantesque d’échangeurs, de voies express à quatre files et davantage, autant certains des véhicules qui y circulent semblent remonter à 3500 avant J-C. : date approximative de l’apparition de la roue.

L’éboueur : la récupération ingénieuse.
La fin de l’ère mégalomane, celle des grands travaux, de la monumentale Cité de la Culture à Tunis, en chantier lors de la chute du dictateur, reste encore inachevée. La Tunisie de la gouvernance provisoire stagne, encore orpheline de sa culture, de ses arts, de son tourisme, de ses infrastructures. Tous ces secteurs se sont figés.

Bien avant le dromadaire
Face aux palabres interminables d’un gouvernement qui ne se décide à rien, comme l’évoque, parmi tant d’autres, Hatem Bourial dans son billet intitulé Les jaracandas de la discorde, la population s’organise comme elle peut. Pour survivre.

Elle raboute, rafistole, récupère, bricole : rien n’est trop délabré qui ne serve encore. Désormais, le bas de l’échelle est soumis au bât, des bêtes de somme. La force animale cède la place à l’épuisement humain. Et tout comme dans ces multiples cités de l’Europe de la crise, la poubelle est un trésor : rien n’est trop avarié pour se nourrir.

Restent encore quelques survivances de ces animaux de traits comme le dromadaire attaché à la noria, soutirant l’eau pour l’irrigation des oasis, ou les puits familiaux. Quant aux fontaines, elles restent l’apanage des femmes et des enfants, à la campagne. 

Mais, bien avant le dromadaire, nommé en certaines régions du Moyen-Orient « âne de mer » et ailleurs « vaisseau du désert », l’âne était le véhicule du désert. Il aurait été domestiqué, il y a 6 ou 8 000 ans, à partir de deux espèces sauvages : l’âne de Nubie et l’âne de Somalie.

Où sont passés les ânes ?
Animal de bât solide, maniable (pas toujours !), adapté aux ruelles tortueuses, il semble avoir complètement disparu de la médina de Tunis. Patrimoine de valeur, aurait-il été mis à l’abri, par crainte des émeutes ? Ou tout bêtement consommé, faute de subsides ?

August Macke : Cavalier sur un âne
Les petits métiers se sous-prolétarisent. Toujours voués au bon vouloir d’une embauche rarissime. Les enfants désertent l’école, soit par manque du nécessaire scolaire, soit de la blouse (hors de prix). Ils mendient ou vendent toutes sortes d’incongruités : de la boîte d’allumettes aux livres de prières lilliputiens, proposés même aux touristes.

Le tourisme ne carrosse plus ?
Les marchands ambulants, faute de fonds, abandonnent leurs étals de quatre-saisons, leur roulotte à beignets, à kaftéjis (beignets de viande), à pains et autres pâtisseries.

Sous les jacarandas de l'avenue de la Liberté à Tunis
Les petits trains sur pneus, périclitent, sur toutes les zones, en plein chômage touristique. Les seuls véhicules, qui connaissent la prospérité, sont les taxis collectifs (de 9 à 11 places). Urbains ou d’agglomérations proches, ils se substituent aux « louages », à seule destination lointaine. Au prix de risques encourus par les chauffeurs : la rentabilité se chiffre au nombre d’aller-retour.

Jusqu’aux calèches qui abandonnent leur monture. Remplacées par des engins à pédales, dotés d’une carrosserie en fer forgé, ils alimentent maintenant le marché des petites annonces.

A vendre : « calèche » en fer forgé
Peu de débouchés quant au tourisme à rayonnement diversifié : il semble s’orienter exclusivement vers le Moyen-Orient. Déjà un an et demi postrévolutionnaire, et les bruits les plus contradictoires circulent à propos du choix sociétal. L’art de la débrouille ne suffit pas à compenser la faillite des pouvoirs publics.

Les nids-de-poule meurtrissent routes, ruelles et trottoirs, de plus en plus empiétés par des commerces de tous types étalés à même le sol, et débordent sur les caniveaux : batteries de cuisine, petit électro-ménager, sous-vêtements, couvre-chefs artisanaux ou importés, schlakas (claquettes), et les fameux gants noirs à la mode niqab. Un attirail bon marché et peu fiable.

Le marché Moyen-Oriental
Le circuit du costume, style golfe (d’Arabie) ou autres curiosités vestimentaires (made in Pakistan), transite par les émirats. Il semble, lui, le seul florissant. Il est vrai, que dans cette foule de marché, accents bigarrés s’y font entendre. Les cartons ne trompent guère sur leur provenance (Dubaï, par exemple).

Une blessure toute humaine
Tout serait-il en train de changer, jusqu’à l’environnement familier ? L’énigme n’est souvent pas résolue, quand il s’agit d’Histoire ! On émet encore des hypothèses sur la destruction de la cité carthaginoise de Kerkouane !

L’auteur du Voyage au pays de l’Autre, Jean Fontaine, longtemps administrateur de la bibliothèque de l’Institut des Belles Lettres Arabes (IBLA) à Tunis, nous pose un véritable rébus dans cet ouvrage qui fut malmené : La Blessure de l’Âne.

Un âne, un livre, un monde…
 Ainsi que le révèle l’initiateur de l’histoire de la littérature contemporaine tunisienne  et un regard tout particulier sur la littérature féminine, l’image qu’il emploie à dessein, plonge à plein dans le quotidien de la Tunisie. La blessure de l’âne représente cette difficile domestication de l’animal.

J. Fontaine, tout aussi entêté que l’âne bâté dont la blessure se rouvre s’il ne  se conforme à son joug, évoque l’apprivoisement qui s’est opéré entre les Tunisiens et lui : long, mais jamais définitif, de par sa fonction sacerdotale.

Fardeau : la blessure de l’identité
Quinze ans plus tard, une autre souffrance scinde en deux la communauté tunisienne : pour plus de clarté, nommons-la «blessure de l’identité». Un fardeau bien lourd à porter ! Les reconnaîtra-t-on dans l’évolution qu’ils assument, avant et après l’indépendance ? Ou, leur imposera-t-on une image rétrograde venue d’ailleurs ?

La blessure émerge toujours de cet écart entre image de soi et apparence. La réalité vient s’abattre et écraser le vivant : comme ce jeune homme, portefaix de son état, croulant sous le poids de la charge, et dont les genoux ploient. En toute inhumanité !

Le bât de la misère : la démesure
               Il est là, ce bât de la misère ! Dans la démesure !

Un article de MonaK


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