De la Terre aux Hommes puis des Hommes aux Dieux
Présents
sur toutes les îles de Polynésie française, les marae étaient la base du
fonctionnement social, politique et religieux des sociétés polynésiennes
Il
n’y a pas si longtemps, ces "tas de cailloux" n’avaient plus guère de
sens pour grand monde, et certainement pas pour les touristes qui visitaient les
îles de Polynésie française.
Pourtant,
jusqu’à la fin du 18e siècle, avant l’établissement
des premiers évangélisateurs européens, les marae avaient un rôle
fondamental dans la société polynésienne traditionnelle.
Une cérémonie sur un marae par Bobby Holcomb |
Bien
plus qu’un simple lieu de culte, le marae était le pilier fondamental du
fonctionnement social, politique et religieux. C’est en son sein que se
prenaient toutes les décisions.
Il
a fallu attendre le 20ème siècle pour que des fouilles
archéologiques fassent ressurgir ces vestiges d’un autre temps, d’un monde
disparu par la volonté des évangélisateurs. C’est grâce à ces fouilles que les
"ti’i" ("tiki" en marquisien), les pétroglyphes et les
marae ont trouvé une place nouvelle dans la société polynésienne.
Les
Polynésiens, les dieux et les marae
La
société polynésienne traditionnelle était polythéiste. Il y existait des dieux
pour chaque île, chaque chefferie, chaque famille et chaque corps de métier.
Chacun
de ses dieux avait une fonction bien définie. Ils étaient tous différents mais
pourtant tous complémentaires et indissociables les uns des autres.
Une cérémonie sur le seul marae re-sacralisé de
Polynésie
Dans
la relation entre les dieux et les hommes, le marae jouait un rôle fondamental.
C’était en effet le seul lieu où les "atua"(les dieux) pouvaient être
invoqués par les prêtres. Là, des rituels très complexes leur permettaient de
s’incarner dans des idoles sculptées en bois ou en pierre.
C’est
la venue des dieux sur un marae qui permettait aux hommes d’obtenir du
"mana": la force divine génératrice de santé, d’équilibre, de
fertilité, de force, etc… Une absence prolongée des dieux faisait faiblir le
"mana" des hommes, les rendant donc vulnérables.. Toute réussite
était due au "mana", et tout échec à sa faiblesse ou à son absence.
Le
marae permettait donc d’assurer la communication entre le monde des hommes et
celui des dieux.
Le
"mana", fruit d’un échange avec les dieux
Seuls
les "tahu’a", les prêtres, pouvaient accomplir ces rituels. Mais pour
voir leurs requêtes aboutir, ils devaient faire des offrandes aux dieux.
Un des aspects du marae de Maeva à Huahine |
En
effet, ces derniers ne donnaient rien sans rien. Pour obtenir du
"mana", il fallait leur offrir une contrepartie. Plus celle-ci était
prestigieuse, plus les dieux se montraient généreux envers les hommes, d’où les
sacrifices humains…
Cependant,
ces sacrifices humains, dans les îles de la Société répondaient à des
circonstances et des règles très particulières. Ainsi, ils ne pouvaient être
pratiqués que sur les marae des chefferies.
Architecture
des marae
Pour
le visiteur, un marae ressemble à une cour rectangulaire pavée avec, en son
sein, un "ahu" (autel) en pierres dressées. Cet "ahu"
pouvait avoir un ou plusieurs étages et faisait penser à une sorte de petite
pyramide. Il était réservé aux "tahu’a" et aux "ari’i", les
chefs.
Plan légendé d’un marae des Îles de la Société |
Au
centre du parvis se trouvaient des pierres sur lesquelles "tahu’a" et
"ari’i" s’installaient pour prier.
Dans
les îles de la Société, les marae étaient faits de blocs de basalte ou de
dalles de corail dont certains pouvaient peser plusieurs centaines de kilos. Le
parvis, lui, était constitué de galets grossièrement façonnés.
Sur
le marae se trouvaient également des "unu", sculptures en bois
représentant des hommes ou des animaux. Ces "unu" symbolisaient les
familles propriétaires du marae.
Les unu du marae de Taputapuatea, à Raiatea |
Chaque
marae était entouré de diverses constructions comme le "fare ia
mahana"(la maison des trésors sacrés), le "fare va’a" (maison
des pirogues), le "fare atua" (maison des dieux) ou le "fare
tupapa’u" (la maison des morts).
La
hiérarchie des marae
Dans
son incontournable ouvrage de référence, Tahiti aux temps anciens,
Teuira Henry a établit la hiérarchie suivante entre les différents marae des
Îles de la Société :
Sur le marae international Taputapuatea à Raiatea |
· Le marae international, comme celui de Taputapuatea à Raiatea. Sa renommée et son importance sont reconnues sur
l’ensemble du triangle polynésien. Il est considéré comme le siège du pouvoir
spirituel et temporel.
· La marae national. C’est le marae le plus important d’une
île. Il représente les pouvoirs des liens tissés autour de l’"ari’i
nui", chef culturel et cérémoniel de l’île.
· Le marae local ou de district, dit "marae
mata’eina’a". il est la copie des marae nationaux en réduction. Lui sont
rattachés les titres et les généalogies d’une famille de chefs. Y étaient
célébrés les événements liés à cet "ari’i" et à sa famille.
· Le marae familial ou ancestral ou encore "marae
tupuna". Il exprime la solidarité d’une famille. Les noms attachés à ce
marae faisaient office de titre de propriété. Chaque dalle du mur d’enceinte du
marae représente le membre de la famille qui s’agenouillait dessus pour prier.
Y étaient célébrés les événements marquants de la vie du clan comme les
naissances et les décès.
Sur le marae familial re-sacralisé à Tahiti |
· Le marae social ou "marae o te va’a matauna’a"
était le marae du clan. Il avait une importance considérable car c’est lui qui
faisait des populations éparses une communauté. Il exprimait la solidarité
généalogique interinsulaire.
· Les marae des spécialistes sont les plus petits. Ils ne
comptent parfois qu’une seule pierre à prière. Ils étaient réservés à une
profession particulière et à elle seule (constructeurs de pirogues, pêcheurs,
docteurs, etc…) qui y demandaient aux dieux de bien vouloir l’aider dans telle
ou telle entreprise.
Malgré
leur nombre incalculable et leur incroyable diversité, bien peu de ces marae
sont aujourd’hui accessibles et en bon état.
L’évangélisation
et une végétation luxuriante et dévorante sont responsables, pour l’essentiel,
de leur disparition du paysage. Ainsi, les pierres de nombre d’entre eux ont
servi à bâtir des temples ou des églises et la plupart des autres sont envahis
par toutes sortes d’arbres aux racines plus ou moins dévastatrices.
Un extrait du film « Marae » de Henri Hiro
Toutefois,
un peu partout en Polynésie française, des sites remarquables ont été sauvés et
sont aujourd’hui accessibles au visiteur curieux de l’incroyable richesse des
sociétés polynésiennes pré-évangéliques.
Un article de Julien Gué
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