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Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

samedi 12 novembre 2011

Il a neigé aux Tuamotu

Un conte paumotu entre en scène

     Rencontre d’une écrivaine, Ra’i Chaze, et d’un metteur en scène, Julien Gué, le silence des enfants de la perle émerge sur scène.
             
    Inspiré par la personnalité des îles Tuamotu, le spectacle qui en découle puise à la culture Ma’ohi*. Il mêle à une création contemporaine une approche tout à fait adéquate au fonds artistique et au style de vie traditionnel des motu*.

     S’amorce alors l’évidence du spectacle total.

L'affiche due au talent de Vashee
     L’accord est total aussi, entre Julien et Ra’i qui nous éclaire ainsi : « En tant que Ma’ohi, souligne Ra’i Chaze, je peux difficilement me sentir plus proche d'un de ces trois arts, car j'ai du mal à concevoir l'un sans l'autre. Danseuse comme le sont toutes les polynésiennes, j'ai aussi grandi dans une famille de musiciens. La musique et la danse font partie de l'art de vie du Ma’ohi. L'art du théâtre rejoint la tradition orale du grand triangle polynésien. Il m'est difficile de les dissocier et je ne saurais dire duquel je me sens le plus proche. »


L’insoutenable légèreté du rêve
            
   Ce parti pris théâtral rend compte de la culture paumotu*, ce langage des sens mêlés : de l’esthétique artisanale à l’expression corporelle, verbale et vocale de la spiritualité.

    L’annonce des représentations par les medias du net montre déjà des hésitations : «spectacle musical théâtral», «conte chorégraphié» ? Il a neigé aux Tuamotu est d’abord du spectacle vivant : il emprunte aux arts de la scène des prestations pour les focaliser dans un jeu théâtral.

     Julien a d’abord adapté le texte initial, avec l’aval de Ra’i. Il s'agissait d'introduire tous les moments de musique, de chant, de danse. C’était aussi créer un pont entre le discours d’une conteuse qui embarque, fait voyager dans l’imaginaire, décrit, commente et… des personnages bien présents qui captent le regard et interpellent. C’était soutenir aussi l’aspect féerique du coup de baguette magique de ces apparitions issues du conte.  

Pensif, le metteur en scène !
    C’était aussi offrir aux partenaires créateurs l’opportunité de s’y épanouir pleinement en leur proposant un véritable espace de réalisation. Il ne s’agit ni d’accompagnement, ni d’intermède. La musique et la danse sont traitées comme des actrices à part entière.

    Même si Julien reste le maître d’œuvre, la collaboration est conviviale et équitable : les compositeurs et interprètes musicaux comme la chorégraphe disposent de réels moments de création. Mieux, leur contribution occupe une dimension essentielle dans l’énergie de la scène.

      Au niveau visuel, l’esthétique se transforme : sur scène le décor évolue, peut se voir transformé ; il peut être évoqué, suggéré par les acteurs.


L’émotion à cœur

      Décembre en hémisphère austral, la saison chaude. Et pourtant, sous la neige des projecteurs : la première du spectacle,  mais aussi la publication du conte.

      Sûr que le « grand frisson », le « hérisson » comme il se dit en coulisse, vous parcourrait… pas de froidure, mais la fonte des neiges : celles de la pudeur, celles du sentiment, de l’égocentrisme qui se transforme en altruisme, du malheur qui s’efface.

     L’équipe, issue d’horizons divers, a très vite évolué de cet embarras face aux grands de la création, aux doutes et maintenant au trac. En effet, comme pour préserver toute la fraîcheur  de l’esprit du conte, les actants de la scène sont soit néophytes, soit détournés de leur fonction coutumière. Léo, Aimeho, habituellement conteurs, assument un rôle.

Les musiciens en répétition à Punaauia
     Aux dires des uns et des autres : « une vraie équipe est née autour de ce projet ». Certains se trouvent tellement impliqués qu’ils « commencent même à faire des propositions d'interprétation et même des suggestions de mise en scène. » L’émotion semble constituer une constante depuis le début des répétitions.

     Elle est apparue aux premières lectures collectives : quand « les héros de l’histoire endossent un corps, prennent de la voix, s’échappent du conte pour devenir autonomes », constatait Ra’i. Puis, à chaque nouvelle trouvaille musicale échangée instrumentalement chaque samedi ; et petit à petit, avec la prise en charge du rôle par les acteurs.

    L’émotion, elle, frémit à fleur de peau… Elle parcourt le texte, vole les voix, cisèle les accords, harmonise les sons. Elle dessine la gestuelle, arque le mouvement, esquisse un regard et la vérité du ressenti.


Une poétique de la scène

     Comme pour tout conte, la thématique s’ancre dans la dureté de la vie. Destiné à des enfants, il n’oblitère ni le manque, ni le deuil. La tradition du conte se définit ainsi. Seulement, à la différence du vécu, le récit s’achève sur une fin heureuse. Et au théâtre, tout en livrant message ou conseil, il prend la forme d’une délivrance.

     Tout en abordant le travail des pêcheurs de perles, des dangers liés aux intempéries qui menacent encore les familles et génèrent des nécessiteux, la place des enfants de familles recomposées, c’est aux protagonistes des deux générations qu’auteure et metteur en scène s’adressent.

    En filigrane, spoliateurs ou profiteurs ne se trouvent pas épargnés, ni la disparition de l’affectif dans un monde de plus en plus insensible. Conte ou spectacle de Noël sont destinés à toucher la conscience des spectateurs.

     La gravité du propos est atténuée par le traitement épuré du jeu des acteurs. Leur proximité avec les musiciens, le chant et la danse dans le même espace scénique interfère et fait décoller le jeu, du réalisme vers la stylisation. Ce qui imprègne la vision d’une impression de distinction.

En répétition, ni costume ni accessoire : juste les acteurs
    « J'avais, dès le jour où j'ai fait appel à Julien Gué pour la mise en scène, confiance en lui. » commente Ra’i. « J'ai vu aussi le texte oral s'enrichir au fil des mois. Certaines choses n'avaient pas besoin de mots pour être comprises dans le texte du livre. Par contre dans le texte oral, des phrases entières et explicatives ont dû naître pour donner un sens au déroulement. »

     Parallèlement, le lyrisme ou la grâce s’accentuent encore par le traitement exclusivement musical ou chorégraphique de certains tableaux. Deux principes étayent le spectacle : la multiplicité des langages scéniques, le recours aux codes authentiques.

     L’idée du metteur en scène, étant de symboliser par un instrument ou un motif  mélodique chacun des personnages (muet ou parlant), renforce encore la poésie du spectacle. Les compositeurs-musiciens puisent dans la réserve harmonique actuelle du pays : guitare, ukulele, pahu, vivo, dijeridoo, pu et to'ere. Et indéniablement, la délicatesse des mélodies, les effets de profondeur et  d’échos dominent la composition musicale.

      Au code musical, verbal et gestuel vient s’adjoindre le langage corporel de la danse. Dans ce domaine aussi, Mateata innove en s’appuyant sur l’accent mis sur l’interprétation et la signification  des situations dansées… « danse de l'orgueil », « danse du temps qui passe ».


Entre lagon et ponton

     Plaisir de la réalisation scénique et en même temps, désir de la perfection … un paradoxe qui habite le metteur en scène, à une quinzaine de la 1ère, sur la brèche entre lagon et ponton.

     Émerveillement de Ra’i Chaze devant cette nouvelle et véritable naissance des ses personnages : « J'ai envie de dire combien c’est merveilleux de voir les personnages que j'ai créés avec des mots, prendre vie. Ils ont pris vie, ils se sont mis à vivre sans moi, de nouveaux mots sont sortis de leurs bouches... que je n'ai pas écrits. Ces personnages sont sortis du livre et vont entrer directement en contact avec un public. Ils auront de la voix, du mouvement, du rythme, des sentiments, etc... Ils sont vivants !!! »

      La marque du « directeur d’acteur, toute en discrétion et en vigilance, en constance d’humeur et en bonne humeur, en stimulations et en  exigence » aux dires des comédiens, semble porter ses fruits. L’équipe entière prend plaisir à jouer ensemble.
         
        Si le metteur en scène regrette le manque de temps qui leur est imparti pour mener au mieux l’aboutissement du spectacle, il semble que le travail de personnalisation auprès de chacun des acteurs porte ses fruits. Ra’i Chaze constate : « Tu en as fait de vrais acteurs ».

     Il aurait aimé disposer du triple du temps (soit 300 heures en tout, la mesure professionnelle). « Si les gens de la troupe sont heureux de l'expérience, j'aurais rempli mon contrat…  en me disant que peut-être cette expérience-là donnera envie à certains d'aller plus loin » susurre Julien Gué.

Sous la direction de Libor Prokop, un moment poignant du spectacle
     Mais Ra’i de le rassurer : « Nous n'avons pas une idée démesurée de ce que nous sommes. Nous sommes simplement, les uns et les autres, des artistes qui faisons de notre mieux avec les talents qui nous ont été donnés, et chacun donnera tout ce qu'il a à chacune des représentations. Ceci dit... j'ai le trac... ha ha ha!!!!! ». 

     Quant à l’avenir, car l’expérience est positive pour tous, Ra’i se laisserait tenter : « Je n'y pense pas trop. Car j'ai encore tellement de contes et de romans historiques à écrire. Mais, avec le concours d'un metteur en scène tel que Julien Gué, et d'artistes tels que la chorégraphe et danseuse Mateata Legayic, les musiciens compositeurs Edgard Brémond, Arakino et Libor Prokop (percussions et instruments à vent), sans omettre la magique et très très importante voix de Rosina Nautre, les merveilleux acteurs, oui, j'aimerai beaucoup monter d'autres pièces de théâtre !!!!! ».

    Môssieur Paskua et Lili Oop, (Ta'ata - Thelem) faisaient l’événement sur le Web en annonçant, dès  le 13 novembre 2011 : « Figurez-vous que cet après-midi il allait neiger sur les Tuamotu... ♥ ».

      C’est avec beaucoup de raffinement que leur regard a cueilli chez les acteurs, danseurs, musiciens, l’auteure et le metteur en scène :
     "...ces frémissements qui font les sentiments,
     cette profondeur d’être pour l’autre,
     cette richesse…  du dépouillement qui fait la vérité de soi, de l’instant, de la vie du spectacle,
     ces perles d’angoisse et de beauté qui affleurent…  à fleur de peau."



    " Môssieur Paskua, Lili Oop, c’est votre émotion qui s’épand sur ces images
     Qui leur insuffle ce supplément de vie

     Une pure nacre d’échange partagé
     Des cristaux de bonheur sur la neige de la scène
     Vous avez su y déceler plus que nous n’espérions transmettre.
     L’équipe du spectacle est touchée de tant de sensibilité d’artiste."

      Et pour conclure par une touche d’éclat, dans ce monde de cristaux et de perle,  je laisse la parole à Ra’i Chaze : « Beaucoup de choses m'impressionnent dans ce travail qui inclut différents arts. Peut-être que ce qui me touche le plus est la mise en valeur des uns par les autres et l'accouchement du beau. »

Un article de MonaK

*              ma'ohi : du pays, autochtone
*              motu : île basse, îlet
*              paumotu : de l’archipel des Tuamotu

Distribution de : Il a neigé aux Tuamotu

Sur le conte de Ra’i Chaze, adaptation, scénographie et mise en scène de Julien Gué.
·         Les compositions et musicales sont de Libor Prokop, Edgar Brémond, Antoine Arakino, Harold Tahi et la chanteuse Rosina Nautre.
·         Les innovations contemporaines dans le registre Ori Tahiti de la chorégraphe Mateata Le Gayic et les danseuses : Naiki BarrierPoerava LevyTapuata Lenoir et Rohotu Fong.
·         Les acteurs : La conteuse : Kahaia Lesage; Kipakipa : Raipoe Adams; L'esprit de Noël : Ève Dezerville; Tiaki (le père) : Aimeho Charousset; Tau (l'oncle de Kipakipa) : Alexandre Dubocage; La marâtre : Léonore Caneri; Hei : Oriata Moux.

Et pour tout savoir sur le livre dont est tiré ce spectacle lire sur ce même blog l'article : Ra'i Chaze : Nacre à Noël

Lire aussi sur ce blog : http://tahiti-ses-iles-et-autres-bouts-du-mo.blogspot.com/2011/12/il-neige-aux-tuamotu.html ainsi que http://tahiti-ses-iles-et-autres-bouts-du-mo.blogspot.com/2011/11/la-tele-parle-de-nous.html 

Et enfin, pour accéder à la vidéo intégrale du spectacle, lire l'article en cliquant ici : "Il a neigé aux Tuamotu"




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