"Oiseau de Paradis"à Tahiti
En clôture du festival, tandis que se projetaient au
Petit Théâtre et Salle Muriavai les "Coups de cœur" du 17ème
FIFO, le Grand Théâtre recevait les avant-premières, "Vaiora" en
short-fiction et "Oiseau de Paradis" de Paul Manate. Le public
tahitien a répondu présent et la Salle était pleine.
Après une présentation par Heirani Soter, animateur
du staff FIFO, Laurent Jacquemin de la production locale Filmin et le
réalisateur Paul Manate ont tenté avec diplomatie de faire parler la jeune
tahitienne Blanche-Neige Huri, actrice principale du film. Que dire, en fait,
tant qu’on n’a pu se découvrir à l’écran ? Et qu’alléguer sur son œuvre,
quand la démarche du réalisateur s’en tient fort justement à accueillir
l’impression du public !
… avec l’équipe Filmin Tahiti |
Favorablement perçue par les
spectacteurs, le soulignent les applaudissements finaux du public, cette soirée
du 8 février 2020 s’est trop brusquement achevée, déplore la plupart des
spectateurs apostrophés ensuite. En effet, beaucoup auraient voulu un débat.
Mais le FIFO remballait.
Les
fans de "Vaiora", eux
aussi, prolongeaient leurs réactions sur le parking : la lauréate du
Marathon d’écriture FIFO 2019, Itia Prillard, accompagnée du réalisateur
Emmanuel Jean. Le film, s’inscrivant lui aussi dans la pure tradition
culturelle polynésienne actuelle, s’attache au mode de transmission des pratiques :
montrer exclusivement par le geste, regarder et… faire.
Un film aux parfums du pays
"Oiseau
de Paradis", long métrage de fiction, soulève nombre questions dans la société
polynésienne d’aujourd’hui. Écrit et réalisé par « un enfant du
pays », il s’en dégage une
atmosphère authentique. Tout autochtone y reconnaît - enfin ! - les images
de sa Polynésie, la vraie : les couleurs, la façon de vivre, l’image qui
associe sans transition beaux quartiers et bidonvilles, surpeuplement des logements
kaina, ou populaires, et luxe des nantis et des parvenus. Pas de grands
brassages superficiels, tels qu’ils nous sont donnés par les réalisateurs de
fictions ou de séries originaires d’ailleurs et tournées ici. La touche typique
polynésienne est vraie, parce que profondément ancrée dans le vécu du
réalisateur.
Ce film, traité de façon
mosaïste, balaye sans fioriture les différentes couches sociales qui y
interviennent. Il pose des instantanés, une succession d’images ou de séquences clés dont les
intrigues sont résolues au fur et à mesure, à la manière des milieux tahitiens
fortement cloisonnés. On n’explique pas ici, c’est culturel : on apprend
en voyant l’autre travailler. Pour faire une parenthèse : ainsi le montre
précisément "Vaiora" ; la
jeune génération des cinéastes polynésiens étant d’accord sur ce point. Rythmiquement,
la mosaïque active cette mise en suspense qui mobilise l’intérêt du spectateur
et lui permet de se poser des questions… du moins, l’interpelle.
L'un des plateaux intérieurs... |
C’est que l’"Oiseau
de Paradis", n’est pas un film didactique, il ne nous impose pas une perception
unique. Il n’y a pas que la technique des champs / contre-champs qui nous en
avertisse. Et si le film risque d’être
diffusé dans le circuit "Art et essais", c’est à la fois pour le
degré de réflexion vers lequel nous mène le scénario, que pour sa conception
cinématographique. La lecture sémiotique de l’image
même nous y invite : le film fonctionne sur une architecture complexe.
Dans la même fiction globale s’insèrent d’autres histoires complémentaires,
d’autres fils conducteurs qui au final se rejoignent.
Le pitch est des plus simples : mais il faut
s’en méfier, sachons-le ! « Un jeune assistant parlementaire métis,
amoral, Teivi… revoit un jour une lointaine cousine aux pouvoirs mystiques… qui
peut le guérir » affirme-t-elle. Au-delà, c’est le monde du "piston
" politique, des pots-de-vin et du clientélisme, de la corruption
administrative, foncière et immobilière, des vigiles musclés à la solde des profiteurs,
et la Polynésie en tient une liste des plus florissantes depuis la fin des
phosphates (1966), le début des exploitations nucléaires et le boum de la
défiscalisation immobilière… Ce qui
implique de la part du réalisateur un positionnement engagé loin d’être négligeable.
Un peu d’image…
Le film, à travers les portraits antinomiques de
Teivi et de Yasmine, leur interaction aussi, révèle l’influence de cette nature
insulaire qui ne laisse insensible aucun résident. Il met en exergue la
contiguïté de ces deux univers parallèles, le monde du jour et de la
nuit : du caché et du paraître, de
la faune des malfrats qui installe ses usages en marge des asphalteuses… Vient
s’y adjoindre l’image de l’inceste, fléau social bien tabou de notre société…
Parti pris esthétique
Le traitement de la lumière est peaufiné à l’excès…
Nous suivons le parcours des personnages en suivant le pointillé des
lampadaires de la grande route, les réverbères des espaces boisés, les phares,
les loupiotes qui décèlent casques d’écoute, lampe de chantier, bougies, lampes
d’appoint, feux nocturnes, néons des
boîtes de nuit… et astre lunaire. Tout un jeu de clairs-obscurs signifiants de
la situation particulière ou de son insertion dans la continuité du film.
L’action y progresse par éclipses. Le duo
Teivi-Yasmina laisse sourdre, chacun dans son espace, sa part d’ombre…
Teivi, alias Sebastian Urzendoxski et le réalisateur |
L’aspect symbolique est omniprésent. L’image
initiale du dancing avec Teivi se clôt sur la même chorégraphie interprétée par
Yasmina : alors, qui est-elle, qu’elle vienne se fondre sur son
image ? Quelle est sa réelle
filiation ? Une zone d’ombre que laisse ouverte le scénario. La tombe du
père de Teivi laisse déchiffrer le nom très proche d’un certain Pouvanaa, le
metua, le père du peuple polynésien, l’homme intègre… Teivi peut-il
guérir ? …Et l’oiseau de paradis, figure mythique de l’être ailé qui se
libère de ses soucis et entame une autre vie… Yasmina ?
Un certain mysticisme
La légende de Hina, la mangeuse d’hommes de Rurutu…
apparaît au générique initial… Quelle symbolique lui accorder quand on sait que
la légende de Hina surgit après l’arrivée des missionnaires sur cette île des
Australes ? Celle de l’étranger, de la modernité qui dévore ses
enfants ? Celle de la réincarnation du mal, dans la mentalité populaire,
sous la forme des spectres de la nuit, de revenants.
Celle de la simple relation entre les insulaires
avec la nature ? Celle de l’existence, attestée dans la population, des
dons de clairvoyance ? Et qu’en est-il de ce don, s’il n’a plus aucune
prise sur la réalité ? Bien des événements étranges se produisent dans le
film : entre hallucinations, accidents de chantier, et surtout télépathie
qui s’instaure entre Teivi et Yasmina… Est-ce une image de la justice, bien connue
dans les dictons populaires ? Teivi a mis en danger la vie des riverains,
il doit payer de sa vie… La symbolique de l’eau étant tellement
prégnante ! Purificatrice, régénératrice, élément de permanence, de
transmission, l’eau est aussi le lien qui enchaîne les héros à leur île, les
relie l’un à l’autre.
… une salle pas vraiment noire ! |
Oui, Teivi est en train de changer… Est-ce un pur
hasard qu’il se trouve, le même jour, dans l’hôpital où vient d’être admis sa
jeune victime ? Teivi est amené à faire le point sur sa vie, à la suite
des événements étranges dont le hasard n’est pas toujours absent. C’est
intérieurement qu’il semble se remettre en question. Le paranormal est induit,
même
La facture Manate
Le film de Paul Manate n’est pas un divertissement
grand public, ni un film de genre, mais un cinéma d’auteur. Un cinéma
qui ne pourrait se soumettre à la pression des producteurs et des séries…
« …Parce que tout n’est pas dit, tout n’est pas explicité, la perception
n’est pas immédiate ». L’image est belle, évocatrice, dégage une
atmosphère. Certains y voient une facture fantastique…
Effectivement, son image est resserrée, se
débarrasse du superflu ; son scénario, des épisodes annexes. Les acteurs
ou figurants présents lors de l’avant-première à Tahiti remarquent combien le
montage a coupé dans la matière du tournage. L’œil du cameraman est
prépondérant, pour une image forte qui tranche mais en même temps est nuancée.
Blanche-Neige Huri, alias Yasmina en action |
Les deux rôles principaux,
Sebastian Urzendowski, Teivi et Blanche-Neige Huri, Yasmina, sont tout en
finesse. La marque Manate c’est de faire passer à l’écran l’étrangeté, sans
caricaturer, tout en laissant aux personnages le champ large du naturel.
Impressionnante, la jeune Blanche-Neige Huri pour sa première prestation à
l’écran. Et chapeau à Sebastian, vu l’enjeu qu’il représentait dans cette
fiction polynésienne !
Encore bien des choses positives
à dire sur "Oiseau de Paradis"… dont
les dialogues en catimini me renvoient, mutatis mutandis, à l’atmosphère
nordique de Cris et chuchotements d’un
certain Bergman… Il sort le 15 avril en métropole dans 10 salles…
Un article
de Monak et Julien Gué
Tous droits réservés à Monak & Julien Gué.
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texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
Voir
aussi : Paul
Aivanaa Manate tourne à Tahiti de Monak
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