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vendredi 14 février 2020

avant-1ère fiction 17ème FIFO


"Oiseau de Paradis"à Tahiti


           En clôture du festival, tandis que se projetaient au Petit Théâtre et Salle Muriavai les "Coups de cœur"  du 17ème FIFO, le Grand Théâtre recevait les avant-premières, "Vaiora" en short-fiction et "Oiseau de Paradis" de Paul Manate. Le public tahitien a répondu présent et la Salle était pleine.
 

Après une présentation par Heirani Soter, animateur du staff FIFO, Laurent Jacquemin de la production locale Filmin et le réalisateur Paul Manate ont tenté avec diplomatie de faire parler la jeune tahitienne Blanche-Neige Huri, actrice principale du film. Que dire, en fait, tant qu’on n’a pu se découvrir à l’écran ? Et qu’alléguer sur son œuvre, quand la démarche du réalisateur s’en tient fort justement à accueillir l’impression du public ! 


… avec l’équipe Filmin Tahiti
Favorablement perçue par les spectacteurs, le soulignent les applaudissements finaux du public, cette soirée du 8 février 2020 s’est trop brusquement achevée, déplore la plupart des spectateurs apostrophés ensuite. En effet, beaucoup auraient voulu un débat. Mais le FIFO remballait.

Les fans de "Vaiora", eux aussi, prolongeaient leurs réactions sur le parking : la lauréate du Marathon d’écriture FIFO 2019, Itia Prillard, accompagnée du réalisateur Emmanuel Jean. Le film, s’inscrivant lui aussi dans la pure tradition culturelle polynésienne actuelle, s’attache au mode de transmission des pratiques : montrer exclusivement par le geste, regarder et… faire.


Un film aux parfums du pays

"Oiseau de Paradis", long métrage de fiction, soulève nombre questions dans la société polynésienne d’aujourd’hui. Écrit et réalisé par « un enfant du pays »,  il s’en dégage une atmosphère authentique. Tout autochtone y reconnaît - enfin ! - les images de sa Polynésie, la vraie : les couleurs, la façon de vivre, l’image qui associe sans transition beaux quartiers et bidonvilles, surpeuplement des logements kaina, ou populaires, et luxe des nantis et des parvenus. Pas de grands brassages superficiels, tels qu’ils nous sont donnés par les réalisateurs de fictions ou de séries originaires d’ailleurs et tournées ici. La touche typique polynésienne est vraie, parce que profondément ancrée dans le vécu du réalisateur.

Ce film, traité de façon mosaïste, balaye sans fioriture les différentes couches sociales qui y interviennent. Il pose des instantanés, une succession  d’images ou de séquences clés dont les intrigues sont résolues au fur et à mesure, à la manière des milieux tahitiens fortement cloisonnés. On n’explique pas ici, c’est culturel : on apprend en voyant l’autre travailler. Pour faire une parenthèse : ainsi le montre précisément "Vaiora" ; la jeune génération des cinéastes polynésiens étant d’accord sur ce point. Rythmiquement, la mosaïque active cette mise en suspense qui mobilise l’intérêt du spectateur et lui permet de se poser des questions… du moins, l’interpelle.


L'un des plateaux intérieurs...

C’est que l’"Oiseau de Paradis", n’est pas un film didactique, il ne nous impose pas une perception unique. Il n’y a pas que la technique des champs / contre-champs qui nous en avertisse.  Et si le film risque d’être diffusé dans le circuit "Art et essais", c’est à la fois pour le degré de réflexion vers lequel nous mène le scénario, que pour sa conception cinématographique. La lecture sémiotique de l’image même nous y invite : le film fonctionne sur une architecture complexe. Dans la même fiction globale s’insèrent d’autres histoires complémentaires, d’autres fils conducteurs qui au final se rejoignent.

Le pitch est des plus simples : mais il faut s’en méfier, sachons-le ! « Un jeune assistant parlementaire métis, amoral, Teivi… revoit un jour une lointaine cousine aux pouvoirs mystiques… qui peut le guérir » affirme-t-elle. Au-delà, c’est le monde du "piston " politique, des pots-de-vin et du clientélisme, de la corruption administrative, foncière et immobilière, des vigiles musclés à la solde des profiteurs, et la Polynésie en tient une liste des plus florissantes depuis la fin des phosphates (1966), le début des exploitations nucléaires et le boum de la défiscalisation immobilière…  Ce qui implique de la part du réalisateur un positionnement engagé loin d’être négligeable. 

Un peu d’image…
Le film, à travers les portraits antinomiques de Teivi et de Yasmine, leur interaction aussi, révèle l’influence de cette nature insulaire qui ne laisse insensible aucun résident. Il met en exergue la contiguïté de ces deux univers parallèles, le monde du jour et de la nuit :  du caché et du paraître, de la faune des malfrats qui installe ses usages en marge des asphalteuses… Vient s’y adjoindre l’image de l’inceste, fléau social bien tabou de notre société… 

Parti pris esthétique

Le traitement de la lumière est peaufiné à l’excès… Nous suivons le parcours des personnages en suivant le pointillé des lampadaires de la grande route, les réverbères des espaces boisés, les phares, les loupiotes qui décèlent casques d’écoute, lampe de chantier, bougies, lampes d’appoint, feux nocturnes,  néons des boîtes de nuit… et astre lunaire. Tout un jeu de clairs-obscurs signifiants de la situation particulière ou de son insertion dans la continuité du film.

L’action y progresse par éclipses. Le duo Teivi-Yasmina laisse sourdre, chacun dans son espace, sa part d’ombre… 


Teivi, alias Sebastian Urzendoxski et le réalisateur
L’aspect symbolique est omniprésent. L’image initiale du dancing avec Teivi se clôt sur la même chorégraphie interprétée par Yasmina : alors, qui est-elle, qu’elle vienne se fondre sur son image ?  Quelle est sa réelle filiation ? Une zone d’ombre que laisse ouverte le scénario. La tombe du père de Teivi laisse déchiffrer le nom très proche d’un certain Pouvanaa, le metua, le père du peuple polynésien, l’homme intègre… Teivi peut-il guérir ? …Et l’oiseau de paradis, figure mythique de l’être ailé qui se libère de ses soucis et entame une autre vie… Yasmina ?

Un certain mysticisme

La légende de Hina, la mangeuse d’hommes de Rurutu… apparaît au générique initial… Quelle symbolique lui accorder quand on sait que la légende de Hina surgit après l’arrivée des missionnaires sur cette île des Australes ? Celle de l’étranger, de la modernité qui dévore ses enfants ? Celle de la réincarnation du mal, dans la mentalité populaire, sous la forme des spectres de la nuit, de revenants.

Celle de la simple relation entre les insulaires avec la nature ? Celle de l’existence, attestée dans la population, des dons de clairvoyance ? Et qu’en est-il de ce don, s’il n’a plus aucune prise sur la réalité ? Bien des événements étranges se produisent dans le film : entre hallucinations, accidents de chantier, et surtout télépathie qui s’instaure entre Teivi et Yasmina… Est-ce une image de la justice, bien connue dans les dictons populaires ? Teivi a mis en danger la vie des riverains, il doit payer de sa vie… La symbolique de l’eau étant tellement prégnante ! Purificatrice, régénératrice, élément de permanence, de transmission, l’eau est aussi le lien qui enchaîne les héros à leur île, les relie l’un à l’autre.


… une salle pas vraiment noire !
Oui, Teivi est en train de changer… Est-ce un pur hasard qu’il se trouve, le même jour, dans l’hôpital où vient d’être admis sa jeune victime ? Teivi est amené à faire le point sur sa vie, à la suite des événements étranges dont le hasard n’est pas toujours absent. C’est intérieurement qu’il semble se remettre en question. Le paranormal est induit, même

La facture Manate 

Le film de Paul Manate n’est pas un divertissement grand public, ni un film de genre, mais un cinéma d’auteur. Un cinéma qui ne pourrait se soumettre à la pression des producteurs et des séries… « …Parce que tout n’est pas dit, tout n’est pas explicité, la perception n’est pas immédiate ». L’image est belle, évocatrice, dégage une atmosphère. Certains y voient une facture fantastique…

Effectivement, son image est resserrée, se débarrasse du superflu ; son scénario, des épisodes annexes. Les acteurs ou figurants présents lors de l’avant-première à Tahiti remarquent combien le montage a coupé dans la matière du tournage. L’œil du cameraman est prépondérant, pour une image forte qui tranche mais en même temps est nuancée.


Blanche-Neige Huri, alias Yasmina en action
Les deux rôles principaux, Sebastian Urzendowski, Teivi et Blanche-Neige Huri, Yasmina, sont tout en finesse. La marque Manate c’est de faire passer à l’écran l’étrangeté, sans caricaturer, tout en laissant aux personnages le champ large du naturel. Impressionnante, la jeune Blanche-Neige Huri pour sa première prestation à l’écran. Et chapeau à Sebastian, vu l’enjeu qu’il représentait dans cette fiction polynésienne !

Encore bien des choses positives à dire sur "Oiseau de Paradis"… dont les dialogues en catimini me renvoient, mutatis mutandis, à l’atmosphère nordique de Cris et chuchotements d’un certain Bergman… Il sort le 15 avril en métropole dans 10 salles…  



Un article de   Monak et  Julien Gué

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