Paul Aivanaa Manate tourne à Tahiti
Un
cinéaste des Australes réalise son premier long-métrage "L’Oiseau de
Paradis" à Tahiti. Un scénario à
l’écoute du fenua, à travers une fiction contemporaine. Une grande première
pour le cinéma polynésien !
Le film de Paul Aivanaa Manate est à l’image du pays : un paradoxe qui mêle, entre autres divergences, le comportement des affairistes et la mentalité profonde des insulaires de Polynésie. Le destin particulier d’un jeune "demi" offre cette palette qui s’inscrit dans les couches les plus diverses de la société. Au-delà de l’histoire, c’est un peu tout ce que vit, ce que ressent de l’intérieur le petit peuple dont la parole n’émerge pas, l’une des possibles interprétations de cette fresque. Mais il serait anticipé de creuser davantage, tant que le film n’est pas bouclé. Pour cet article, je m’en tiens aux impressions prises sur le vif du filmage.
Tareparepa, Nanihi, Paul : vers Moorea |
L’heure est au plateau
de tournage,
essaimé sur l’ensemble de l’île de Tahiti : ses petits quartiers urbains,
ses bouts de forêt dense, ses falaises en presqu’île, ses fare isolés de toute
communication régulière… et l’eau, le lagon. Bien des incursions insoupçonnées
pour un quadrillage systématique du territoire et, surtout, bien des ressentis
positifs, aux dires des collaborateurs permanents ou temporaires de cette
aventure.
Une équipe cinématographique franco-polynésienne ou vice
versa, fusionnelle à souhait, un petit budget ; avec pour producteurs
présents Local films, Filmin’Tahiti, sur les quatre coproducteurs (dont A Perte de Vue et Anaphi). Un casting
bigarré, à l’instar de ces herbacées du titre, les oiseaux de paradis.
Du côté des "huiles"
Commençons par vous présenter les pontes, non par
déférence inconsidérée mais juste pour signifier qu’ils sont à l’origine de
cette entreprise artistique qu’ils rendent profondément humaine. Ce sont eux
qui installent l’atmosphère du tournage. Une ambiance vraiment chaleureuse dont
ils maintiennent la coolitude malgré les soucis ordinaires de planning qu’ils
gèrent imperceptiblement. Un staff sans protocole, proche des acteurs, des
techniciens et des membres de l’équipe.
Nicolas Brevière, dans ses œuvres |
Nicolas Brevière,
producteur de longue date de la fabrique Manate, discret, se montre accessible,
causant, cordial et bourré d’humour. Rémi Veyrié, directeur de production,
disponible, attentionné à l’égard de chacun des petits rôles ou des figurants
de passage, manage tranquille. Tareparepa Teinauri, assistante à la
réalisation, se partage entre un sourire épanoui et bienveillant, les exigences
pratiques et structurelles des prises de vue qui la font courir un peu partout,
avec son homologue Cédric Guillaume Gentil.
Le courant passe, intense, dynamique et agréable.
Déjà, la sauce-tournage bat son plein, avec son
jargon lié aux péripéties de l’imparable suite des jours aux horaires débordant
sur la pendule naturelle : le "tunnel" de la presqu’île,
renvoyant au fameux "tube" du spot de surf… le "rolling"
annonçant la séquence voiture nocturne, par exemple… Un lexique qui soude
davantage les participants.
…à la cascade avec Sébastien et Sebastian |
En amont du tournage Delphine Zingg, coach
artistique, venue initier les néophytes, établir les ponts entre les acteurs
d’ici et d’ailleurs et poser les balises du jeu, s’en repart, des amitiés plein
les poches. Sébastien Stella de l’Espace cirque Moorea,
stimulant et sûr de son fait, règle cascades et autres prises de bec du scénario, pointe sur place le jour J
ou intervient aux moments délicats.
Amine, shooting dans le vent. |
Le binôme insécable Amine Berrada (Directeur de la
Photographie)-Paul Manate, assure la
crédibilité de l’image, les impératifs de placement des acteurs, suggestions
variées et plans imprévus : les secrets de l’image, quoi !… eux-mêmes
scotchés indifféremment à leur objectif ou à l’écran que contrôlent les
assistants opérateurs (Camille Clément et Tamatoa Laurens) et la scripte Caroline
Leloup… Bref, un monde qui s’active en circuit fermé et dont chaque acteur
attend et redoute par principe le verdict ; histoire de conscience
professionnelle.
Et puis, convenons-en, la personnalité du
réalisateur est déterminante. Paul Manate est plébiscité haut la main par les
acteurs comme par les membres de l’équipe qui ne le connaissaient pas
avant ! D’humeur égale, prévenant, il travaille en finesse, se plaît
à pousser plus loin, propose sans avoir
l’air d’imposer, cultive les nuances : s’applique au rendu du regard
(élément fondamental de la culture mā'ohi, comme chacun sait), ses effets de
communication, jubile aux émotions vibrantes de la voix… Un réalisateur
impliqué qui épaule et rassure.
Le petit monde du plateau
Sur la planète-acteurs le plaisir est au beau fixe,
sans orage, pas de grosse tête… Solidaires, ils n’hésitent pas à se proposer
leur aide, en toute simplicité. Bien traités, « aux petits soins »,
comme le souligne Hinatea Savoie, ils espèrent satisfaire au mieux l’équipe du
réalisateur.
Nanihi et Blanche à la pause |
Blanche, qui ne s’était
jamais imaginée à l’écran, fait ses premiers pas à l’image dans l’un des rôles
primordiaux… Encore sous le coup de cette expérience gratifiante, encore
baignée par cet univers habité de tant de sensations, elle ne se prononce pas
pour la suite. Nanihi Bambridge, sans stress apparent, affirme un jeu palpitant
à fleur de peau. Pour Sebastien
Urzendowsky, à la jeune carrière déjà très remplie en Europe, concentré et
généreux à la fois, la complexité est son pain quotidien.
Au 21ème jour à Mahina : Caroline… |
Sur la sphère environnement de proximité, l’équipe
sécurisante d’Heiura Teinauri, régisseuse générale, à l’efficacité empressée
sans égale. Les incontournables Sandrine Mollon aux costumes et Aurélie
Vigouroux au maquillage : l’œil aux aguets mais relaxantes et
interlocutrices privilégiées à souhait.
Et comme d’habitude dans le cinéma polynésien, un certain acteur Edouard
Malakaï endosse aussi la casquette d’éclairagiste... et transpire joyeusement à
la tâche… J’en révélerai davantage prochainement…
Une enclave dans le quotidien
Sans parler de Bisounours, pour un film où l’action
mouvementée, entrecoupée de séquences poignantes, est le moteur qui stigmatise
techniciens et acteurs, l’ambiance suscite un climat fertile au dépaysement.
Tout semble fait pour vous transporter sans heurt dans un autre monde, celui de
l’imaginaire… Même si l’acteur est en proie aux ajustements techniques
qu’impose sa prestation, il se sent porté. Exercer un métier dans ce genre de
conditions optimales, c’est un peu l’originalité de cette équipée artistique.
J 22, avec les décorateurs |
Certainement, la particularité polynésienne :
un état d’esprit hospitalier qui sait mettre à l’aise, qui occulte le stress
malgré le rythme soutenu du calendrier ; une patience à toute épreuve dans
le sable, sous le soleil tropical…
Le sourire est un talisman pour tout acteur :
il déteint sur l’ensemble, hexagonaux compris. L’équipe, dont l’âme est
polynésienne, distille cette atmosphère à nulle autre pareille. Remarquable à
n’en pas douter !
Un certain caniveau des bords de mer |
Ce n’est
pas seulement le 1er long-métrage de fiction polynéso-polynésien de
l’histoire du cinéma, œuvre d’un réalisateur polynésien... mais une autre façon
d’aborder et de vivre ces différents métiers tout en en respectant
scrupuleusement les règles. Une révolution copernicienne ? Du moins un
souffle nouveau s’en dégage... Ne reste plus qu’à souhaiter aux actants
volatiles et volubiles de cet épisode d’avoir su transmettre et témoigner de
ses intentions au mieux de l’image.
Un article de Monak
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