Ô Terres de détresse...
Encore une page
noire pour l’Océanie, dans cette sélection "Hors Compétition" du 17ème
FIFO. Spoliation à outrance en Polynésie française, dans le documentaire
réalisé par Benoît Tarahu Mā’ohi
Nui, terre de marchandises (2019) ;
évanescence d’une communauté calédonienne exilée en Indonésie dans Blok
Calédonie (2019) de Dominique Roberjot et Christine
Della-Maggiora. L’Océanie, encore mise à mal !
Le pessimisme encore et
toujours, à travers des témoignages qui maintiennent parfois une touche
d’humour. Mais ne nous y trompons pas, la sensation de l’exil dans son propre
pays prédomine dans cette édition 2020 du FIFO.
L’équipe gagnante de "Ma’ohi Nui, Terre de marchandises" |
Que les communautés autochtones
soient minoritaires ou majoritaires, le problème de la cohabitation ethnique se
pose avec force, surtout quand le dominant, l’État, édicte des lois qui vont a contrario des
pratiques coutumières pourtant fondamentales et d’une logique implacable. Conséquences de la colonisation,
deux siècles plus tard, les habitants n’ont plus droit de cité sur leurs
propres terres originelles ! Ils ne sont jamais partis de chez eux… et
pourtant ils n’ont plus de "chez eux".
Un bout de papier qui garantit la
propriété des colonisateurs face au droit coutumier qu’on refuse de
reconnaître… et voilà l’imbroglio du foncier. Pourtant, une véritable volonté
politique d’équité pourrait se mettre en place, elle est encore possible. Sauf
que les intérêts de profiteurs ne s’embarrasse pas des droits de l’homme.
L'imbroglio du foncier en Polynésie
La mise en place du tribunal foncier depuis 2 ans,
décrétant pouvoir « traiter plus rapidement les affaires de terre en instance à cause du
problème de l’indivision. » est un véritable leurre. Le «problème de l’indivision »
étant un euphémisme, pour ne pas rendre compte de « la spoliation des
terres familiales et claniques par les grandes institutions métropolitaines, religieuses, et les
investisseurs immobiliers et économiques ».
Quand régulation coutumière s'oppose à autorité |
« Indivision », un terme falsifié qui
voudrait faire croire que l’affaire est purement intra-familiale, qu’elle ne se
situe qu’au niveau héritage et ne concerne que les Polynésiens de souche… et
leurs conflits de jalousie fraternelle. Le terme est insultant, dans la mesure
où se réduit, dans la bouche des administratifs, à des querelles intestines
entre héritiers du même clan ! Le terme devient péjoratif, méprise et
humilie des familles entières qui se sont vu « dépossédées de leur bout de
terrain par des exploitants de canne à sucre ou autres activités de loisir ou
de tourisme… »
Le terme devient radicalement injurieux et
outrageant, quand la « volonté des dirigeants réduit un peuple à être
l’usufruitier de sa terre ». Cela pourrait paraître surréaliste, mais
c’est la réalité. « Les Polynésiens doivent racheter leur terre à ceux qui
les en ont évincés »
L’état de fait est le suivant : « les
propriétaires fonciers de la République, munis d’actes officiels et inscrits au
plan cadastral ne sont pour la plupart que des voleurs de terre, qui ont
décrété jadis que la parcelle incriminée était vierge ! Dans ces
conditions, les tribunaux ne feront qu’entériner la loi du plus fort ».
Tribunal signifiant frais, l’individu ne peut en assumer le coût. D’où ce
sursaut Associatif appuyant le Polynésien lambda qui ne possède pas les
moyens d’une procédure…
Une écoute mobilisatrice au FIFO |
« Procédure pourquoi ? Quand 80% des
terres appartiennent à l’Église… aux banques, aux hôtels, à l’armée, à l’administration… à
l’époque où les habitants ne disposaient pas de l’écriture, ni de la langue
pour faire reconnaître leurs droits ! Procédure aberrante quand chacun
sait qu’à l’arrivée des colons, les Polynésiens ne possédaient aucun titre de
propriété. » Ce qui paraît normal, puisque le Conseil des Anciens gérait
au fur et à mesure l’utilisation des terres. Oralité contre administration
française, « la société autochtone, se retrouve sans
identité ! », parce qu’elle n’est pas écrite. « Procédure abusive, quand
brusquement des familles sont expulsées
de l’endroit où elles ont toujours habité depuis des millénaires. »
Une revendication identitaire
Le sursaut alors ? Un sursaut associatif qui
prône le respect face à une escroquerie coloniale », qui se retrouve aussi
en Australie, terre déclarée vierge d’Aborigènes, à l’arrivée des colons.
« Que demande-t-on aux natifs d’ici : de prouver qu’ils ont été
désappropriés, évincés de leur lopin de terre par les gouvernants des EFO ?
de racheter leurs propres terres aux spoliateurs ? »
« L’administration française a commis bien des
erreurs, en jouant la carte des « terres cadastrées à la française, comme
en métropole ». Encore faudrait-il qu’elle le reconnaisse !
Officiellement, circule ce genre de constat : qu’en matière « de
titre de propriété et d’occupation des terrains, les situations étaient très
complexes, voire inextricables. » À qui la faute ? « Le tribunal
foncier se devrait d’apaiser la situation. En fait, il colmate, sans revenir à
la source de ces complexités : il parvient à des accords, pour des cas
faciles. »
Mais le fond du problème se situe ailleurs.
« Le foncier est une question de tampons ? Alors que les notaires,
peuvent agir sous seing privé ? Quand les grands propriétaires terriens
fricotent avec le pouvoir ». « Le pays a été vendu comme une
marchandise, comme un bien matériel dont on a effacé la gestion collective, son
âme culturelle »
Entre culture et immobilier |
« La question fondamentale est une question
culturelle, identitaire. Le fonctionnement de la Terre, culturellement, se pose
autrement dans la société insulaire de Polynésie. Elle était propriété
communautaire. Ce système d’ailleurs continue à fonctionner dans certains
archipels, sans justement que ne se posent de problèmes de propriété. » On
l’éradique au nom du profit.
« L’idée serait de réunir anthropologues,
historiens et juristes pour que ne soit pas dénaturé le fonctionnement foncier
d’une culture. Il faudrait qu’il soit repris à la base. Le ministère du
logement, l’un des plus grands propriétaires foncier, ne verse que de l’huile
sur le feu. »
Le film, comme les voix qui y témoignent, lance un
cri d’alarme. « Avant 2004, la population refusait le cadastre. Moyennant
quoi le gouvernement français, avec ses géomètres, s’est approprié les
terres. » L’impact sur le public a été immédiat, en salle, comme sur la
page du réalisateur, de l’auteure Jeanne Peckett-Pouira Phanariotis et de leur
supporter Maki Rote, présents à tous les débats au FIFO. « La régulation coutumière est en
exercice aux Australes ». « ...alors, c’est bon pour le reste de la
Polynésie ! » « Les consciences se réveilleront-elles pour
ménager le cadre culturel d’origine dans le tissage administratif du
foncier ? »
Exister, un mirage ?
À
l’inverse, le documentaire Blok Calédonie (2019) de
Dominique Roberjot et Christine
Della-Maggiora qui
dévide comme un rituel de survie, l’attachement du cénacle des aïeules
calédoniennes en terre indonésienne se perçoit comme l’agonie d’une culture.
Bien sûr, on y rit, on s’y réjouit. Mais l’atmosphère est poignante…
La communauté est isolée dans le cadre d’une cité qui les absorbe… Ne reste que le
chagrin du départ, des circonstances de l’exil… « Un mirage » ?
ou un requiem ?
Quand s’évanouit la culture |
Le FIFO, dans son rôle de plateforme qui divulgue
les aspects les plus divers de la réalité océanienne, sur son propre continent
comme en marge, permet de déceler combien la culture est fragilisée par les
dangers d’une assimilation à outrance.
« Quel avenir pour l’Océanie ? », se
pose donc, durant cette 17ème édition, comme une problématique
d’urgence. Les documentaires le démontrent haut la main… En conséquence, la
mobilisation des instances de décision attendue, comme une issue de secours…si
elle ne répond pas aux désirs légitimes des peuples, la solution surgira de
façon plus violente et irrémédiable. Les exemples sont là, aussi… omniprésents.
Pour que les Peuples et les Terres ne deviennent pas des marchandises…
Un article
de Monak et Julien Gué
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