à propos de cohésion insulaire
Ils sont bien les seuls, parmi les cinéastes en compétition, à inscrire leur sujet dans le thème plus générique de la cohésion insulaire. Aux deux extrémités du triangle polynésien. L'un des pôles se situe à Rurutu, dans l'archipel polynésien des Australes, l'autre à Rapanui, l'île de Pâques étant proche de la façade de sa nation mère, le Chili.
Visibles les trois mêmes jours, du 4 au 6 février,
leur film documentaire vous entraîne entre parcours spatial de l’île,
découverte des figures prégnantes du lieu et points de rencontre de moments
forts. Jeunes réalisateurs, c’est leur premier documentaire personnel.
En compétition, Rurutu Terre d’Umuai |
Précisons tout de suite que Rurutu,
Terre de ‘umuai, est
réalisé par le duo polynésien de Ahi Company : Virginie Tetoofa et Teiva
Tahimanahivaiterai (ou Teiva Drion), détail qui a son importance parce
que cette mention ne figurait pas dans le programme du FIFO destiné au public. Quant à Eating Up
Easter, le réalisateur Sergio
Mata’u Rapu a travaillé en solitaire sur sa propre terre originelle.
Vous ne pouvez les
confondre : les points de vue, les communautés, les espaces sont vraiment
différents.
La généalogie mythique...
L’île de Rurutu
fait partie de cette région-frontière de Polynésie qui n’est pas un centre
névralgique et reste assez isolée. Parmi ses particularismes culturels, la
coutume du ‘umu’ai a été réactivée depuis le début du 20ème siècle.
Le ‘umu’ai, four traditionnel, sous-entend le festin : il est destiné à
célébrer les mariages de toute une génération. On y danse, on s’y montre,
revêtus des tenues confectionnées par les hôtes. Une cérémonie sociale, qui
scelle l’appartenance familiale et insulaire et dont les rituels se déroulent
sur une semaine. Ce qui n’est pas banal en Polynésie, car les moments de rassemblements traditionnels sont plutôt
d’ordre artistique ou d’émulation sportive. L’archipel a tendance à se replier
sur lui-même et à conserver jalousement ses secrets artisanaux : le
tressage végétal par exemple.
Tevai & Virginie Tetoofa |
Il a donc fallu,
aux co-réalisateurs, obtenir l’agrément des insulaires pour pouvoir capter les
images et se faire accepter par les habitants. Donc des mois de préparation
pour l’équipe de tournage et des années pour les familles concernées. En fait, cette célébration qui remonte au
patrimoine culturel de l’île, réactive cet
héritage d’un peuple de l’oralité qui ne se reconnaît qu’en se prévalant
d’une généalogie précise et que les Ancêtres connaissaient et récitaient par
cœur. La coutume se déroulant sur l’île entière où les familles se reçoivent,
les membres éparpillés partout ailleurs y sont invités. Sans faire de
distinction de nationalité : ainsi les branches métropolitaines y sont
admises. La Polynésie ayant toujours assimilé les apports étrangers pour se
prémunir des risques de consanguinité.
Quelques images qui ne sont pas de la fiction
Un tournage qui n’a pas été facile et qui ne
pouvait se permettre d’interrompre le rituel. Un scénario qui inclut les préparatifs
dont les ressources vivrières, la confection du trousseau coutumier et
l’événement lui-même. Festif mais précis, il renoue les liens communautaires,
les liens généalogiques. Documentaire qui tranche sur l’atmosphère morbide de
l’ensemble des productions en compétition, il affirme son optimisme : il
existe des îles qui affichent leur joie au partage malgré les difficultés
quotidiennes !
Avec les témoins et supporters de Rurutu |
Il s’attache autant aux vivants, à l’humain, au
déroulé temporel qu’à l’environnement découvert par les petites touches des
drones, il respecte l’orthodoxie des codes, tout en laissant déborder cette
ivresse des relations partagées. La caméra se suspend aux attitudes
individuelles, au ressenti personnel comme aux liturgies collectives. Toujours
ce chassé-croisé des images… L’île troglodyte a débarqué au FIFO, mercredi,
comme pour rendre la pareille. Preuve que ces traditions sont vivaces.
Autant cette prestation filmée suit un protocole
ancestral, autant le documentaire suivant décèle une envie de se forger les
codes identitaires à venir.
Une identité collective en gestation
Rapa Nui est le
théâtre d’un grand chamboulement, initié par l’apport financier d’une économie
fondée sur le tourisme. Mais elle en connaît les revers. Comment éviter de
perdre ses racines, quand la minuscule
île est inondée de produits venus d’ailleurs et croule sous des tonnes de
déchets ? Comment peut-elle retrouver sa vitalité, sa personnalité quand
le modèle consumériste survient d’autre part et casse l’activité d’une
population devenue apathique ?
En compétition… Eating Up Easter |
Rapa Nui (ou
Easter), avec son titre métaphorique Eating UP Easter, est à la fois la « dévoreuse » et « la dévorée ». Les
plans-panoramiques de machines, se disputent la place avec les marchandises,
les constructions anarchiques, les monceaux d’ordures et les dépotoirs. Rapa
Nui se défigure. Mais les Don Quichotte de la culture et de l’environnement
semblent ressurgir de terre, tout comme les Moai.
Ils sont isolés,
comme le colibri minuscule qui acte à sa mesure pour stopper la tendance à
l’engloutissement.
Sur un mode qui
veut croire en l’avenir, le réalisateur dialogue avec ces combattants invincibles. On pourrait penser qu’ils sont
seuls, tant l’individualisme transparaît dans le mode de vie. Ils se mobilisent
dans le secteur de l’écologie, de l’architecture durable, celui de la culture
artistique. Trois générations se côtoient : recyclent, rebâtissent,
protègent et jettent les bases de l’harmonie collective par la pratique
musicale…
Ça bouge à Rapa Nui !
C’est que de l’aïeul au bambin, se transmettent les
valeurs communautaires qui dépassent celles de la simple survie matérielle.
C’est cette prise de conscience à l’échelle individuelle que le réalisateur
Sergio Mat’au Rapu dévoile petit à petit. Pour le spectateur tahitien, encore
marqué par la période des conflits avec le Chili, plutôt habitué aux rencontres
interculturelles
des Tapati
entre Les Marquises et l’Île de Pâques, le point de vue du réalisateur rapanui
est une découverte. Tout comme l’évolution d’une île longtemps bouleversée.
Des ancêtres à… l’avenir |
Le modernisme pourrait-il participer à construire
autrement l’avenir ? Le film ne donne pas de réponse. Il les suggère à
travers le témoignage des acteurs d’un changement possible. L’atmosphère n’est
pas vraiment optimiste, elle reste en suspend… Tout est question de
responsabilisation.
Il n’est pas que la compétition qui soit la
cheville ouvrière des cinéastes. Ils témoignent, ils transmettent
l’aboutissement de leurs recherches et de leur création. Au public de se sentir,
lui aussi, concerné et d’établir ses priorités : à l’écran comme sur les
îles.
Un article
de Monak et Julien Gué
Tous droits réservés à Monak & Julien Gué.
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