Destins maori et aborigène...
L’actualité des peuples colonisés d’Océanie s’avère
toujours aussi scandaleuse. Qu’ils soient Mélanésiens, comme dans "Ophir",
Māori ou aborigènes, leur sort reste précaire, voire insoutenable. Les
réalisateurs de documentaires, eux, font œuvre salutaire et tentent de
désenclaver les populations en danger : tablant sur la visibilité du FIFO
dont l’audience ne cesse d’augmenter dans le monde. Parviendront-ils à impacter
sur l’irresponsabilité ou la surdité des pays ou des monopoles économiques
dominants ?
Salué au 17ème
FIFO par le 1er Prix Spécial du
jury, "Merata :
How Mum Decolonized the screen", de
Heperi Mita, reprend dans son
titre les paroles mêmes de la réalisatrice Māori néo-zélandaise : « décoloniser l’écran ». Dans le dernier quart du XXème siècle Merata Mita exerça en
pionnière le métier, en actrice aussi, dans une société qui écarte et se
désintéresse de ses autochtones.
Mère cinéaste et fils |
Mais ce n’est
pas seulement le cinéma māori qu’elle libère de l’exclusif de ses prédateurs,
c’est la planète-Femme qu’elle affranchit des pratiques archaïques qui la
domestiquent et la ligotent. Tout comme une pléthore de pays océaniens, issus
de différentes colonisations venues de l’Occident, la situation discriminatoire
de l’époque, évoquée dans ce long-métrage documentaire, ne semble pas vraiment
résolue. La question du racisme
« se manifeste de façon moins dangereuse ; elle est plus larvée, plus
insidieuse. Elle se matérialise dans les institutions, au niveau des capitaux,
des fonds qui pourraient appuyer la création culturelle et être attribués à la
création Māori. Une sorte de racisme économique en quelque sorte… » nous
expliquera le réalisateur Heperi Mita.
Les entendre pour les comprendre
Construit à partir des bobines
tournées par Merata, à la fois sur les
mouvements de libération des femmes et les inégalités sociales : leur
engagement résolument politique n’a pas toujours bonne presse et lui valent
quelques menaces… musclées de la part des services d’ordre. Innovatrice en la
matière, elle a été soutenue par le milieu du cinéma Māori « qui l’a aidée à révéler son talent ». Notamment dans le
film de fiction (Mauri, 1988). Elle reste, à ce jour, la seule cinéaste māori à avoir réussi à en produire un.
C’est que le racisme
institutionnel de la Nouvelle-Zélande, le sexisme qui touche toutes les
communautés, elle les combat au corps à corps, dans des documentaires
résolument militants.
Femme et mère : une antinomie ?
Où que vous soyez, la mentalité patriarcale ou
populaire désigne la femme comme figure nuisible de la mère. D’un côté la mère,
couverte d’enfants. De l’autre la femme couverte de chaînes. Merata, elle, est
femme accomplie dans son travail et dans sa fonction de mère. En témoignent ses
enfants et « l’équilibre familial, le surplus affectif, l’attention dont
elle a su nous combler. »
« Bien sûr, nous sentions que son métier lui
causait quelques soucis. Mais elle nous prenait avec elle. Pour nous c’était un
jeu… et surtout l’occasion de passer plus de temps avec elle. » Le
réalisateur parle surtout pour ses frères aînés qui ont subi la pression
sociale la plus forte, alors qu’elle élevait seule ses enfants.
Heperi Mita… l’intime fait le buzz |
« Petits, nous n’avons pas compris les enjeux
qu’elle défendait. C’est en recherchant, en analysant ses films, que j’ai
décidé de lui rendre hommage. Elle est partie si soudainement… Elle nous a
appris qui nous étions, notre identité fortement niée par le pays. et puis moi,
je n’ai pas subi ce qu’ont enduré mes frères. » En enquêtant auprès de sa
fratrie, le réalisateur peut mettre en avant la personnalité chaleureuse de sa
mère. « Elle a su privilégier aussi ce cocon familial qui les a rendus
heureux… et solidaires ». Mère et cinéaste, une dualité compatible, quoi
qu’en pensent les esprits chagrins, moralisateurs ou sexistes. Un destin riche
et enrichissant pour ses enfants et le cinéma.
Ce n’est pas seulement un devoir de mémoire auquel
répond Heperi Mita. Il montre l’impact de Merata dans l’histoire du cinéma
néo-zélandais. Elle provoque une réelle révolution dans l’image cinématographique
du pays : elle arrache la place due aux réalisateurs autochtones… Le
cinéma māori ne
cesse de se développer depuis, avec plusieurs festivals autochtones.
« C’est elle qui les avait lancés ! »
"Je veux juste être moi, un aborigène"
Dans la même veine intimiste, c’est-à-dire autour
des liens affectifs familiaux, mais surtout à travers une situation vécue de
l’intérieur où les institutions font office de décor, le FIFO programme en
compétition "In My Blood it
runs", de Maya
Newell. Encore une de ces réalisatrices étonnantes (tout comme certains
réalisateurs d’ailleurs) que le FIFO a conviées. Dans les deux films de cet
article, ce qui est présenté, c’est le point de vue des enfants : Dujuan,
Aborigène de dix ans. Motivée par « le désir de changement social »,
la réalisatrice a montré « ce que c’est qu’être enfant dont la sombre
histoire coloniale de l’Australie pèse sur les épaules et qui navigue dans un
monde bi-culturel complexe »
Une communauté, un enfant.... |
« Au
moment du tournage, 100% des enfants en détention juvénile dans le Territoire
du Nord étaient autochtones. En
Australie, de jeunes enfants de dix ans, comme Dujuan, peuvent être incarcérés.
Ainsi, le plus grand défi de ce film était de soutenir
la famille par crainte que leur enfant se retrouve dans ce système de
détention. À plusieurs reprises, nous avons
pensé que nous ne pourrions pas terminer le film en raison de l'issue horrible
possible. », explique Maya Newell. Encore un documentaire qui s’inscrit dans le genre
film d’impact, avec campagne de sensibilisation. Car c’est toute une éducation
à refaire, au niveau des institutions !
L’aberrante réalité est la suivante : nous
suivons Dujuan « à travers un système éducatif à
l’occidentale qui n’est pas conçu pour lui, un système de protection de
l’enfance menaçant de l’éloigner de sa famille, un système de police et de justice
pour mineurs qui piège et torture les jeunes. » Est-ce la raison pour
laquelle Maya Newell forge ainsi la forme de son discours cinématographique de
manière originale ?
« Combattre les stéréotypes négatifs
enracinés » qui réduisent les enfants aborigènes à « des échecs
scolaires », alors que leur culture
est occultée ou dénigrée, n’est pas tâche facile. Dujuan « veut
récupérer l’espace intérieur qui a été et est toujours colonisé et qui lui revient
de droit – dans sa terre, dans son corps et dans son esprit »
Des voix aborigènes
Est-ce la dure réalité que vit l’ensemble des
peuples autochtones d’Océanie qui pousse les réalisateurs à développer une
éthique qui prône l’altérité dans leur travail et « à servir de pont à ces
voix pour atteindre les spectateurs » ? À quand un biculturalisme à part
entière ?
Un article
de Monak et Julien Gué
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