Les silences de l’histoire
Tout le monde a
entendu parler des mo’ai de l’Île de Pâques et des mythes qu’ils ont engendrés.
Le passé plus récent de cette île et de son peuple comporte, lui, des zones
d’ombre que l’État chilien, son armée et l’Église auraient clairement préféré
laisser dans l’oubli des coulisses de l’histoire.
C’est
à ces zones d’ombre que nous nous intéressons aujourd’hui. Cependant, une fois
n’est pas coutume, il n’est pas possible de commencer cet article sans parler
de ceux qui se battent depuis des années pour que vérité soit enfin dite sur
l’histoire récente de Rapa Nui. Bien sûr il y a les Pascuans eux-mêmes, mais je
voudrais rendre hommage à deux personnes sans lesquelles je ne serais pas en
train d’écrire ces lignes, sans qui le documentaire « Rapa Nui :
l’histoire cachée de l’île de Pâques » signé Stéphane Delorme et Emmanuel
Mauro n’aurait jamais existé, je veux parler de Maria Rapa Nui Haoa
Pakomio et de son époux Gilles Bordes.
Gilles et Maria chez eux à Tahiti |
Il
est important de savoir que c’est à l’initiative de Gilles et Maria que ce film
a vu le jour. C’était leur volonté que la mémoire et la parole des Pascuans ne
se perdent pas. Ils ont donc cherché un réalisateur. Ce sont eux qui ont tout
organisé à Rapa Nui et financé intégralement le voyage et le séjour de l’équipe.
Eux encore qui ont servi de guides et d’interprètes pendant toute la durée des
repérages et du tournage. Il leur a fallu également convaincre les Pascuans de combien
il était important que ce témoignage existe. On peut donc considérer qu’ils
sont, pour le moins, coproducteurs de ce film. Pourtant, c’est à peine si leurs
deux noms apparaissent, bien vite et en petits caractères, dans les dernières
secondes du générique de fin…
« Rapa
Nui : l’histoire cachée de l’île de Pâques »
Aujourd’hui
encore, ils se battent pour que le film soit projeté le plus largement
possible. Notamment au Chili où il n’a toujours pas été programmé par les
télévisions locales ! Ainsi, des projections sont organisées en milieu
scolaire et universitaire avec la présence de Gilles et Maria. Là encore, ce
sont eux qui sont les organisateurs de ces séances. Alors : chapeau bas à
tous les deux. Et c’est pour répondre à leur souhait qu’il soit diffusé le plus
largement possible, et surtout qu’il soit enfin vu par les Chiliens eux-mêmes,
qu’il est ici accessible en version intégrale.
Pour
en arriver à ce 52 mn, des dizaines d’heures d’entretiens ont été enregistrées.
Ces entretiens, avec les anciens de l’île ont été menés par Gilles et Maria en
espagnol ou en rapa nui. Il a donc fallu les traduire, puis faire une sélection
des sujets et des témoignages à conserver dans le film.
Parmi
les sujets qui sont à peine effleurés dans le film de Stéphane Delorme et
Emmanuel Mauro, celui de la léproserie et de ses usages pervers par les
autorités civiles, militaires et religieuses chiliennes n’est pas le moins
choquant. Maria nous en a parlé dans une interview (en français) que nous vous
livrons ici en exclusivité.
La léproserie de Rapa Nui
Cet enregistrement a été réalisé dans de
très difficiles conditions acoustiques, ce qui explique la mauvaise qualité du
résultat, j’espère que vous ne nous en tiendrez pas rigueur.
Parmi les craintes exprimées par Maria
Haoa Pakomio concernant l’avenir de son pays et de son peuple, il en est une
qui semble se vérifier de plus en plus : l’implantation inexorable des
modes de fonctionnements occidentaux liés à la propriété et au profit au sein
de la société pascuane. Une mutation sociale et humaine qui est en train de
faire table rase des valeurs ancestrales pour ne les remplacer par rien sinon
la défiance, la jalousie et la destruction d’un environnement pourtant fort menacé
et qui fut déjà grandement fragilisé dans le passé.
L’enjeu de la mémoire est double. En
premier lieu, les jeunes Pascuans sont en train d’effacer tout un pan de leur
histoire récente, et la responsabilité en incombe d’abord à leurs parents qui
aimeraient tant bénéficier des « bienfaits » du monde moderne… En
second lieu, il est primordial de briser l’omerta qui pèse sur ce sujet et
permettre au peuple chilien de savoir, enfin, ce que son pays a fait à Rapa
Nui. Car, en effet, pas un mot sur l’histoire de cette île mythique et de son
peuple dans les manuels d’histoire des écoles chiliennes. On se demande bien
pourquoi !...
Joël Huke ou la
mémoire du peuple Rapa Nui
Sur l’île elle-même, la mémoire de ces
événements pourtant récents se perd aussi. Heureusement certains, comme Joël
Huke, se souviennent encore et continuent de raconter, en paroles et en
chansons, comment quelques rares Pascuans ont réussi à tromper la vigilance des
militaires chiliens et à fuir leur île-prison. Bien peu, parmi ceux-là, ont
survécu à l’aventure. Mais combien de Chiliens en connaissent
l’histoire ?...
J’espère
sincèrement que ce modeste article permettra aux Chiliens de soulever, un tant
soit peu, un coin du voile qui occulte l’histoire liée de leur pays et de Rapa
Nui. Et qu’il leur donnera envie d’en savoir plus, beaucoup plus, sur ce peuple
étonnant qui nous a laissé bien plus que les mo’ai, monumentales statues
silencieuses…
Un article de Julien Gué
À propos de Rapa Nui, lisez aussi nos autres articles
dont voici les liens :
Petite histoire de l'île de Pâques
Petite histoire de l'île de Pâques
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