Naissance d’un film
Le bilan du FIFO
se clôt-il dès le palmarès prononcé ? Ne se solderait-il pas plutôt en
considérant son impact ? Son effet est multiple : il retentit sur les
instances culturelles et le milieu professionnel du cinéma. Il se répercute
aussi sur la perception du spectateur lambda assis aux antipodes, mais surtout il
renforce l’attachement du public au monde du cinéma.
En
effet, l’organisation du FIFO, ne se contente pas de diffuser un catalogue
abondant d’images d’Océanie. Il implique activement le public présent ici à la
manifestation : à coups de rencontres pondérées par le cadre naturel du paepae, de débats à chaud en salles,
d’opinions quêtées sur le vif et divulguées sur le net. Grâce aux traductions simultanées,
il en accentue la communicabilité. Et c’est tout à son honneur.
Débats décontractés sur le paepae… |
S’adressant aux néophytes par la multiplication
d’ateliers de tous ordres, le public ne serait-il pas l’une des priorités du
FIFO ? L’enjeu majeur étant bien entendu la divulgation du cinéma
documentaire océanien. C’est intelligemment vu. Les conséquences en sont
doubles : former un public à la machinerie du cinéma, non seulement
technique (ipad, scénario, prise de vue et montage, cinemagraph), mais aussi
aux critères de la réalisation (intention, cadrage, plans, rythme, etc.) et au
bien-fondé de la critique.
Des journées entières retenues pour
familiariser les scolaires à la culture cinématographique. Ce n’est pas du
luxe. Autant commencer tôt pour sensibiliser un public de cinéphiles. Et
l’interactivité est une manière astucieuse de laisser place au champ des
possibles et à la multiplicité des points de vue : apprendre en faisant.
Le court qui décoiffe…
Si la « Nuit du Court » en est à
sa 7ème édition, ce n’est pas pour rien. Le court métrage connaît
un véritable engouement auprès des jeunes qui en fabriquent eux-mêmes les
films. Un regard futé, judicieux, drôle, et particulièrement aiguisé. Et ils
n’ont pas froid aux yeux ! En visionnant Tahiti de Gatien Raurii, vous aurez 1mn 30secondes pour faire le
tour des travers comme des bonheurs de la société polynésienne. La misère
sociale, politique et culturelle : on peut en rire. Plaisir ludique
garanti !
Public averti : public
exigeant !
Un atelier à portée de main
Parmi
les Ateliers FIFO destinés au grand
public, il faut remarquer qu’ils s’intensifient depuis trois ans et qu’ils
abordent les dernières nouveautés technologiques. Nous avons choisi celui de
« Prise de vue et montage sur Ipad » pour deux raisons. Avec le
matériel à portée de main des amateurs ou des débutants, il correspond d’abord à
l’envie de chacun de le rentabiliser. Parallèlement, Salle Marama à la Maison
de la culture de Papeete, l’animateur est Nyko PK16, présent à double
titre, pour cette fête du cinéma.
Atelier ipad salle Marama
|
Lauréat
2015 du « Vini film festival on TNTV » avec le meilleur
scénario, il figure dans la « 7ème Nuit du court » pour Avec le temps. De plus, avec ses studios
Hashtag, il fait partie de l’actualité polynésienne avec Moana. Disons qu’il
appartient à cette nouvelle génération de cinéastes d’ici, qui font parler
d’eux à l’international.
Une
génération montante dont l’inventivité n’est plus à prouver et qui se dote des
moyens tout personnels pour parvenir à émerger sans attendre que la perche des
subventions leur soit tendue. C’est sa déontologie, c’est autrement abordé avec
le thème de son mini court-métrage : ne pas compter sur le temps mais sur
le faire. C’est aussi l’objectif de l’atelier : se prendre en charge, se
lancer, s’affirmer, boucler.
Le
public qui fréquente son atelier est reconnaissable à son assiduité. Tôt
arrivé, même en avance, il ne se résout à quitter la petite salle climatisée
qu’à la dernière minute, voire, après prolongations. Balayant divers horizons,
il s’adresse aux scolarisés de plus de 15 ans, et à une audience adulte échantillonnée :
du simple amateur à l’enseignant caressant un projet pédagogique, de la mère au
foyer au retraité, du bidouilleur au novice.
Pour
que l’atelier aboutisse au mieux, Nyko PK16 ne ménage pas sa générosité et il
montre le chemin d’une véritable coopération d’équipe. Chaque poste de montage
rassemble des contributeurs qui ne se connaissaient pas auparavant et vont
réaliser, en une demi-journée, un mini-documentaire ou une docu-fiction, pris
sur le vif dans le village du FIFO. Avant de capter l’image, il est
indispensable d’en fixer le préalable, c’est-à-dire l’argument des coréalisateurs.
Le 4ème tome de Patrice Guirao sera-t-il terminé ? |
Et
bien entendu, pourquoi ne pas filmer le cinéma en train de se faire ? La
série tahitienne Al-Dorsey, née des entrevues de hasard au FIFO, par
exemple. Pourquoi ne pas élucubrer sur la tétralogie de Patrice Guirao… et sur
les rebondissements imaginaires d’un casting qui bat son plein dans un stand tout proche. Le
sujet s’est vu traiter par un trio bien tranquille…
De l’atelier au casting
Public
formé rime avec intelligence critique. On aurait tort de considérer le
cinéphile comme un consommateur de chips qui compenserait la nullité des télénovelas
par une boulimie intempestive. Il n’est pas aberrant d’allier intellect,
conscience politique et divertissement : Le Dictateur de Charlie Chaplin en constitue l’un des modèles les
plus exemplaires, qualifiable par ailleurs d’anticipation-documentaire. L’œuvre
d’art ne joue-t-elle pas ce rôle de mobilisateur de consciences ? « On
apprend en se divertissant », affirment les Ateliers et leurs apprentis.
« Avec le temps », va… tout s’apprend.
Qui
dit popularité d’un film n’en exclut ni l’intelligence, ni le sérieux de la
construction. Quant aux effets comiques et grossiers, du moment qu’ils
participent de la vision exceptionnelle du réalisateur… ils n’entachent pas la
valeur de l’œuvre.
Le
film documentaire océanien est en passe de devenir un cinéma d’auteur.
Nous
l’avons vu avec The Ground we won,
primé pour la qualité de ses plans rapprochés et la teneur d’une narration
intimiste. L’identité nationale néo-zélandaise, à savoir le vacher-rugbyman,
est écornée par la mise en exergue de la culture sportive machiste. Mais
l’aspect humain, vulnérable, sentimental y affleure. Chris Pryor et Miriam
Smith révèlent sans concession l'art du documentaire immersif.
« Moana », un rêve de Nyko PK16
Du
plancher des vaches, nous passons aux planches de l’automne de la vie,
d’histoires d’hommes à celles du regain, de la vigueur… à l’urne funéraire, aux
cheveux blancs et aux ongles incarnés. Ainsi nous ne pouvons sous-estimer Hip Hop-Eration. Grâce au scénario et au
montage fictionnel, il laisse de côté le buzz médiatique pour coller à une
réalité qui ne tient qu’à un fil, à un souffle. Et le spectacle continue.
Au vent de l’océan
Le
documentaire océanien, avec ses images du quotidien, bouscule les idées reçues
et les images lissées de l’hégémonie du cinéma commercial. C’est peut-être dans
ce domaine si proche du spectateur que se situe sa postérité. Pas de cinéma
clinquant.
Un
petit regret cependant. Pour la première fois que Wallis & Futuna figurent
avec une production autonome au FIFO, dans la sélection « Pacific Islands », le 13mn Ciné des toiles d’étoiles, ne sera
diffusé qu’une seule fois. L’un de ses réalisateurs Anthony Taitusi de
l’Association Cafe fale est en bonne passe de faire vivre son rêve de cinéma
avec une prochaine série de fiction réalisée
avec les quelques petits moyens de leurs fonds
propres : Be
You, Foha Tahu. Qu’on se le dise…
L’aventure
de notre siècle
Nous
saluerons une fois de plus les réalisateurs et leurs équipes de techniciens qui
ont su opérer le petit miracle de la transmission. La culture ne campe pas sur
un site archéologique aux danseurs momifiés, ni sous la poussière d’archives
endormies : elle vit au cœur des fusions ou des transpositions qui nous
les rendent proches, comme pour Tupaia
ou Te
Mana o te Moana.
…
Et,
pour terminer sur une image de mise à flot du cinéma océanien, un cinéma qui
bouge : Bon cap au FIFO…
Un article de Monak
Photo du
bandeau : Atelier Cinemagraph, Luce Pasquini, FIFO 2016 : « Pass »
Pour le
début de cette 13ème édition, vous pouvez consulter :
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