Des Aînés, une fête…
Être Aîné en
Polynésie, c’est un statut… une façon de vivre, d’embrasser la vie à
bras-le-corps… et ça se fête ! Pour s’en assurer, voyons comment les Matahiapo
(les aînés) chamboulent l’ordonnancement d’une consécration.
En
ces îles du Pacifique Sud, rendre hommage à l’âge, à la beauté, à la
performance artistique ou sportive, s’accompagne souvent d’une élection. Sauf,
qu’à Pirae, cette année est une grande première. Nous la devons à la fédération
Te Ui Hotu Rau No
Pare Nui
(La jeunesse montante de Pirae), qui,
« pour la première fois où elle est porteuse de l’action* », innove
avec la Miss Mama et le Mister Papa. Oui ! Les jeunes se mettent au
service de leurs prédécesseurs, dont la juvénile Miss Pirae 2015...
La beauté au cœur |
Pour
mettre tout le monde en forme dès le matin, l’événement s’agrémente de conseils
préventifs, dont nous avons tout oublié, s’agissant de la maladie d’Alzheimer…
Il est suivi d’un festin convivial et d’un petit discours d’encouragement du Maire
et Président du Gouvernement de Polynésie française… Pour augmenter encore la
pression de cette date où les audacieux vont se mettre en scène en fin de
journée, elle se pimente de courts intermèdes de musique, de danse, et d’un
numéro d’humour.
Sous l’auvent imposant de la Maison des
Jeunes, en chaise roulante, en béquille, en attelle, accompagnés, requis par
les services municipaux et les associations, se sont-ils presque tous rejoints.
Eux, les Aînés… qui ne se nomment ici, ni séniors, ni aïeuls, ni anciens comme
dans le jargon d’autres pays francophones, mais arborent la vitalité de cette
appellation : celui qui ouvre la voie de l’ascendance, de la fratrie, le
modèle en quelque sorte.
Une coquetterie de chapeaux |
Ce n’est pas exactement de la Journée
Internationale des Personnes âgées, instituée par l’ONU (91) et précédemment
par la France (87), ni même des détails circonstanciés dont vous avez lus le
contenu dans vos quotidiens, dont je propose
de vous entretenir… mais de la façon dont les matahiapo se sont appropriés les moments forts de cette manifestation.
Chez les Aînés, en effet, on prend son
temps, on sait le prix de la vie, du
bonheur, du chagrin et… malheureusement, des absents.
Des vécus très divers
Ils
ont plus de soixante ans, mais ne sont pas forcément issus des mêmes milieux.
Comme nombre de Polynésiens, la plupart entretient encore des liens forts avec
leurs familles. Excepté pour certains et pour quelques résidents d’origine
extra-insulaire, tel ce popa'ā (occidental)
qui s’invite à une tablée de femmes, veuf comme elles. Ils ne se retrouvent pas
tous avec leurs proches, ni leurs connaissances.
Une vedette un rien stressée. |
Certains ne sont pas sortis depuis longtemps. Certains
ont du mal à rester assis. Certains relèvent de maladie et se sentent comme
dépaysés, par la lumière malgré le temps changeant, par l’affluence, par la
proximité des regards… par ces attentions dont on leur fait preuve et qui les
étourdissent. Aujourd’hui est l’exception, elle décale leur rythme
coutumier : elle rompt leur solitude ou le train-train dans lequel ils
sont casés.
Sur
ses 14 129 habitants, « la commune de Pirae compte près de 2 000
matahiapo. Notre budget ne nous
permet pas de les inviter tous la même année, mais d’en sélectionner seulement 350.
Pour la suivante, nous essayons de varier les invitations afin que tous
puissent bénéficier de ce tāmā'ara'a (festin).
Quant à ceux qui sont alités, nous nous organisons pour préparer leur plat et
nous les livrons à domicile afin qu'ils ne soient pas écartés des festivités et
puissent apprécier la richesse culinaire de notre fenua. »
Un style perso |
Le
mā'a (repas) délie les langues. On
évoque les disparus, les liens de parenté, les événements ou les appartenances
communes à telle ou telle entreprise, les habitudes qui pourraient alimenter
des relations nouvelles, pour couper avec la solitude… puis les voix
s’estompent avec la reprise de la musique.
S’évanouissent
les douleurs, les handicaps, les désagréments de la sénescence… pour faire
place aux souvenirs et au pain quotidien.
Les yeux dans le vague, le vague à l’âme fait place au sourire.
Un grand éclat de rire
Place
à la vie ! Sur le parterre comme en coulisse ou sur les tréteaux du
défilé, ils font preuve de naturel. Car rien n’est pire que cette suffisance du
paraître. Ils abaissent leurs cartes : leur enjeu, c’est d’être… tels
qu’ils sont. Ils n’ont rien à prouver. Sauf qu’ils savent que les spectateurs
leur donnent tout leur crédit pour les représenter, eux, « leurs familles,
leurs quartiers ».
On y danse |
Ils sont d’abord huit à se
présenter : Viora Tanepau et Georges Titi, May Tahiata et Kahueinui Burns,
Audette Tetauira et Edmond Vaki, Jeanette Tautu et Gervès Tautu. Et en toute
simplicité, à la dernière minute, une ultime candidate, Augustine Mapu s’ajoute
au palmarès… sollicitant un danseur fantaisiste du parterre à l’accompagner sur
le podium.
Ici, dans le monde des aînés, les
valeurs ne sont pas à la compétition, mais à la convivialité. Les costumes reflètent
la vie ordinaire. Les barrières n’existent pas : la foule rassemblée est
leur miroir. Et la consigne est l’allégresse. Coachés ou non, préparés ou pas,
la règle est la même : être heureux et être à la hauteur de la confiance
que chacun leur porte.
On s’y lâche |
Faut-il
préciser que les Matahiapo ne sont
pas venus pour se montrer, mais pour partager leur entrain, mettre du baume au
cœur de chacun et dérider les plus chagrins et les plus oubliés. Ils l’ont
confié en coulisse, ils sont là pour s’amuser. Et le jeu n’appartient pas
qu’aux enfants. Il est beau comme l’innocence… Il est divin comme la sagesse.
Les inoubliables
Comme
le souligne Wailea Haapa : « Au niveau des répétitions, les matahiapo s’en sont donné à cœur joie. Véritablement
ancrés dans leurs rôles, nous avons senti comme une deuxième jeunesse
s'épanouir en eux. Nous n'avons eu aucun problème de ce côté. C'était un pur
bonheur. »
« Ce sont eux les Rois »
À
n’en pas douter, « ce sont eux les Rois », affirme Wailea Haapa, en laissant
transparaître un rire ! Et leur empire
c’est cette communauté d’émotions distribuée comme une manne, hélas une fois
l’an ; c’est bien peu, c’est bien court.
Les candidats |
Où
est donc passée la tradition du fare
pōte'e, cette grande case rassemblant la population, orchestrant les grands
événements de la vie communautaire et conçue pour le dialogue et l’accueil ?
Ils
en sont bien conscients et leur prestation s’adresse aux générations « montantes ».
Leur dernier passage en couple, pour l’élection, est relevé par un message,
concocté par leurs soins et il n’est pas anodin. Ils y confient leurs angoisses
des dérives sociales, mais surtout ils y livrent leurs espoirs et leurs
encouragements à la jeunesse d’aujourd’hui. Belle leçon de conciliation !
Des messages de tolérance
Malgré
un brin de trac, ils poussent sans hésitation la porte qui les mène à la
reconnaissance publique. Enfants du pays, c’est la conviction de leur
appartenance qui les pousse à porter leur choix sur des vêtements actualisés,
représentatifs de l’insularité, entre mer et montagne.
Et
ils jouent sur leur passé, leur présent, se délurent, prennent des risques, se
libèrent des injures du temps, de leur fragilité, entre pantomime et gros éclat
de rire.
« Talent show »,
l’art et la manière…
Belle
prestation aussi que ce passage Talent
show où leur dextérité artisanale ou artistique est mise à l’épreuve.
Tisser une balle et une fleur végétales en 2 minutes, c’est tout de même un
exploit ! Accompagnés par les « Famous Music », un groupe d’Jeunes.
Danser, chanter avec guitare ou a capella : les frissons d’émotion me
parcourent encore !
«Nos R ū'au, notre mémoire…»
Elle
est bien vive, la mémoire des Rū'au (des
Anciens) ! Leur esprit d’à-propos aussi. Tous les ressorts de la bonne
humeur, de l’espièglerie, de la convivialité y concourent. Et les spectateurs y
participent, de leur chaise, avec enthousiasme. Et parfois, en taquinant la
danse…
Matez et ses humeurs gouailleuses |
Et
ils jonglent avec leurs vis-à-vis. Déjà bien impulsés par les « Tupuna Ukulele » (Ukulele des
Ancêtres), ce petit chœur instrumental de leurs semblables. Bien aiguillonnés
par le sketch parodique de leur frère Matez, ne faisant pas de cadeau à la
politique.
Les
Matahiapo, alors, de bons vivants ? Alertes à rire de bien des choses et
d’eux-mêmes. Tranquilles dans leurs baskets et leurs nu-pieds, coquettement
ceints de feuillages, de couronnes florales et de paille, savoureusement
modestes et attendrissants.
Des embrassades |
Prêts
à passer le flambeau, ils le font avec brio. Pas de fausse note. Ils n’en
rajoutent pas. Ils jouent le jeu à fond. En toute convivialité.
« Pari
gagné. »
*Je voudrais exprimer mes vifs remerciements à Wailea
Haapa, dont les propos figurent entre guillemets. Chef de Projet, rassembleur
des voix et des contributeurs de la Fédération qui ont répondu chaleureusement
à mes questions.
Un article de Monak
Tous droits réservés à Monak et Julien Gué. Demandez l’autorisation des auteurs
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