L’île qui redevient déserte
Le film « Makatea, l'oubli »
de Jacques Navarro Rovira dresse un portrait saisissant d'une île agonisant
d'avoir trop donné d'elle-même aux hommes.
Ignorée
des tour-opérateurs comme des autorités polynésiennes l’île
de Makatea, dans l’archipel
des Tuamotu, a pourtant été le premier moteur du développement
économique de la Polynésie française durant plus de
cinq longues décennies grâce au phosphate qui se cachait derrière ses
surprenantes falaises blanches.
Dans la cocoteraie abandonnée…
Ainsi,
jusqu’au début des années 60, l’exploitation
du précieux minerai a fait de Makatea un lieu de vie totalement hors normes
dans l’ensemble des petites communautés insulaires du Pacifique sud.
Makatea,
l’île d’exception
Au
plus fort de l’activité minière, il y eut plus de 3000 habitants sur l’île.
On
y exploita le seul train qui ait jamais roulé en Polynésie française et, pour
occuper les ouvriers pendant leurs moments de loisir, on y créa le premier
cinéma du territoire.
A
cette époque, il se passait plus de choses à Makatea qu’à Papeete, pourtant la
capitale de la Polynésie, et toute l’économie du territoire reposait sur la
richesse produite par cette petite île des Tuamotu.
Dans la gare de Falaise, au temps « béni » du
phosphate
Les
choses changèrent brutalement en 1962, lorsque fut prise la décision de fermer
la mine. Cette année-là, il y avait encore 2273 habitants permanents sur l’île.
Cinq ans plus tard, lors du recensement de 1967, ils n’étaient plus que 60
propriétaires et pêcheurs à vivre à Makatea.
En
ce début de 21ème siècle, la question qui se pose est : sera-t-il
encore possible de vivre à Makatea dans 10 ans ?
An
2009, « Makatea, l’oubli »
C’est
de cela dont nous parle le film « Makatea, l’oubli » réalisé par Jacques
Navarro-Rovira et produit par Bleu Lagon Productions. Et il le fait merveilleusement
bien.
Inga Pan, 100 m au-dessus du Pacifique Sud
Ce
moyen métrage, réalisé en 2009, a été diffusé pour la première fois le 15
septembre 2010 par la chaîne Télé Polynésie. Il s’agit d’un docu-fiction de 52
minutes relatant l’improbable séjour d’une violoniste (remarquablement
interprétée par Inga Pan) sur une île au destin tout aussi improbable.
Dans le ventre végétal de Makatea…
Le
choc de cette rencontre entre une artiste occidentale et la population
délaissée et totalement isolée du monde d’une île exsangue est remarquablement
rendu par les superbes images de Jacques Navarro-Rovira.
La
détresse et les inquiétudes de cette population (des français, faut-il le
rappeler ?) face à un avenir pour le moins compromis sont parfaitement mises en
avant par le film, tout comme le sont la beauté majestueuse et le mystère qui
se dégagent de la terre meurtrie de Makatea.
Pas
de dialogue dans ce film : la violoniste voyageuse ne s’exprime qu’en voix off.
Les habitants de l’île, que ce soit, le maire, l’instituteur ou l’épicier,
lorsqu’ils prennent la parole, le font soit en monologue face à la caméra, soit
en voix off lorsqu’ils sont à l’image, occupés à chasser les monstrueux crabes
de cocotier par exemple.
Et dans le ventre minéral de l’île phosphate
Ainsi,
quand à l'écran défilent des images d’une beauté parfois à couper le souffle,
des voix d’une étonnante douceur égrènent le terrifiant constat d’une mort
lente programmée.
Makatea,
chronique d’une désertification annoncée
En
novembre 2009, après la première session du tournage, il y avait encore 49
habitants permanents sur l’atoll. Un an plus tard, ils ne sont plus que 39…
Lors
du tournage, la classe unique de l’école primaire comptait huit élèves. Lors de
la rentrée scolaire 2010, l’instituteur ne fait plus la classe que pour quatre
enfants… Combien de temps les pouvoirs publics vont-ils maintenir un poste
d’enseignant pour quatre élèves ?
Les vestiges de l’âge d’or d’une île à l’agonie
Il
existe plusieurs projets pour tenter de relancer l’économie de l’atoll
moribond, mais aucun qui recueille l’approbation de la population. Il est
pourtant plus qu’urgent d’agir. En effet, dès lors que l’administration
centrale décidera qu’il n’est plus justifié de maintenir le poste d’enseignant,
les derniers jeunes quitteront l’île définitivement.
En
dessous de combien d’habitants la direction de la santé décidera-t-elle de
fermer le petit dispensaire, pourtant vital à une population pour
l’essentiel composée de retraités ?
« Makatea, l’oubli », le film
Avec
ce film de Jacques Navarro-Rovira, le cinéma documentaire polynésien vient de
franchir un cap décisif.
En
quittant les sentiers battus, tant par le choix du sujet que par la manière de
le traiter, ce film montre à quel point la production audiovisuelle polynésienne
a été, jusqu’ici, conventionnelle et sans saveur.
Quand Jacques Navarro Rovira parle de son film
Du
scénario à l’interprétation de Inga Pan en passant par la qualité de la prise
de vue et l’efficace sobriété de la réalisation et du montage, il n’y a là rien
à jeter. Jusqu’à la musique, anachronique et inattendue, qui nous prend par la
main pour nous entraîner dans les méandres d’une désertification annoncée.
Et
je voudrais saluer ici avec un infini respect l’extrême pudeur avec laquelle
les habitants de Makatea expriment leur profonde inquiétude quant à ce que
l’avenir peut bien réserver à leur île et à leur petite communauté.
« Makatea,
l’oubli » a été présenté en compétition lors du FIFO 2011 (Festival
International du Film Océanien) à Papeete. Le public comme le jury en ont été
profondément marqués.
Il
reste à souhaiter qu’il soit très vite diffusé sur les antennes d’une chaîne de
télévision nationale afin que tout un chacun puisse découvrir ce film étonnant
comme le destin qui attend le peuple de Makatea.
Makatea, l’oubli : la bande annonce
En
guise de conclusion, cette petite perle cinématographique nous prouve, s’il en
était besoin, que la
Polynésie peut offrir au cinéma bien plus que de simples décors de lagons
aux bleus fascinants.
Mes
plus sincères remerciements à Jacques Navarro-Rovira et Bleu Lagon Productions
pour m’avoir autorisé à publier ces quelques photos de tournage signée par le
talentueux Lucien Pesquié.
Un article de Julien Gué
Bonjour,
RépondreSupprimerEst-il possible de trouver à Makatea un mouillage pratiquable par un voilier de croisière ?
dominique.merlino@wanadoo.fr