Une bien morbide saga
Il n'y a pas qu'en place de Grève que la
Veuve a rempli son office. L'invention du Dr Antoine Louis a aussi tranché bien
des têtes Outre-mer...
Par
la Veuve, la Bécane, la Lucarne, bref : par la guillotine… On ne saura sans
doute jamais combien de personnes eurent la tête
tranchée par décollation en France. Toutefois, à titre indicatif, le nombre
de guillotines est fixé par décret du 25 prairial an I (13 juin 1793) : ce sera
une machine à trancher par département...
L’exécution de Louis
XVI
Pour
la seule période dite de la terreur (1793 / 1794) et sans les chiffres de
Paris, certaines estimations donnent jusqu'à 42.000 victimes de la Veuve…
C'est
le 17 juin 1939 qu'eut lieu la dernière exécution publique en France. Mais la
dernière tête à être tombée sous le couperet de la justice fut celle de Hamida
Djandoubi, le 10 septembre 1977, à la prison des Baumettes à Marseille.
Le 30/09/1981, Robert Badinter, défend l’abolition de la
peine de mort à l’Assemblée
C'est
au socialiste Robert Badinter que l'on doit l'abolition de la peine de mort en
France et la mise au rancart de la guillotine.
Juste pour ne pas oublier. Ames sensibles s’abstenir…
Ce
que l'on sait moins, c'est qu'elle fut aussi utilisée, de manière plus ou moins
intensive, dans les colonies. En Afrique du Nord bien sûr, en Asie et en
Afrique noire, mais aussi et surtout dans les bagnes lointains : que ce soit en
Guyane, en Nouvelle Calédonie ou en Polynésie
française.
La
guillotine à Tahiti
C'est en
1869 que la guillotine fut utilisée pour la première fois dans la colonie
française de Tahiti pour mettre à mort un des coolies travaillant sur la
plantation de coton d’Atimaono (côte Ouest de Tahiti). Chim Soo Kung était
accusé d’avoir participé à une rixe sanglante entre clans rivaux. Pourtant,
aujourd'hui encore, sa culpabilité dans cette affaire reste sujette à débats.
Ce même jour, un autre chinois fut exécuté dont l'histoire n'a pas retenu le
nom.
Chim Soo Kung, peu avant son exécution
Cependant,
il est intéressant de noter que la peine de mort avait
été institutionnalisée à Tahiti par le code Pomare en 1819.
La
guillotine qui fut utilisée ce mercredi 19 mai 1869 à Papeete avait été construite sur
place, et c'est là que la saga de cette machine commence…
Qu'est
devenue la veuve de Tahiti ?
A-t-elle
été vendue, volée ou détruite ? Est-elle toujours en Polynésie ? Si l'on sait
exactement comment son histoire a commencé, tout et son contraire a été raconté
sur le sort de la guillotine de Tahiti après qu'elle fut mise au placard.
Le Dr Antoine Louis, inventeur de la guillotine
Une
grande partie du mystère est levée par Fernand Meyssonnier dans son livre Paroles
de bourreau, témoignage unique d'un exécuteur des arrêts criminels (éditions
Imago, 2002). Meyssonnier vécut en Polynésie française de 1961 à 1990. Puis il
s'est retiré à Fontaine, dans le Vaucluse, où il a créé un Musée historique
de la Justice et des Châtiments et où il est décédé en 2008.
L'ancien bourreau, ayant
connaissance de l'existence d'une guillotine à Tahiti, fit des recherches
et la retrouva. Elle était en ruine et certaines pièces en avaient déjà été
dérobées. Il décide alors de s'en porter acquéreur pour la "sauver".
Mais ce projet ne put voir le jour, la justice française ne le souhaitant pas.
Le Dr Joseph-Ignace Guillotin, promoteur de la Veuve
Un
jour, le maire de Papeete (M. Juventin) le contacte et lui demande s'il peut
remettre la machine en état car il souhaite l'exposer dans le cadre d'une
manifestation sur le vieux Tahiti. Il voulait la dresser devant la mairie !
Avec
un artisan de Moorea, Meyssonnier entame donc la restauration de la guillotine,
jusqu'à l'intervention de la communauté chinoise de Tahiti qui fait pression
sur le maire… Le projet est donc abandonné.
Mais l'ancien
bourreau décide de finir la restauration. Et surtout d'en profiter pour faire
une copie à l'identique qu'il compte bien conserver pour son musée personnel.
F. Meyssonnier, le bourreau devant la guillotine
Cette
copie a bien été réalisée. Elle a même été construite avec certaines pièces de
l'originale. Ce qui nous laisse deux veuves pouvant prétendre au titre de
monument historique !
C'est là que le
mystère commence.
Le
mystère de la guillotine de Tahiti
Si
l'on en croit Meyssonnier, ce serait la copie qui aurait été renvoyée aux
autorités. L'original, lui, aurait été envoyé, par un associé douteux de
l'ancien bourreau vers les Etats Unis, dans une caisse censée contenir du
"bois de Tahiti"… La caisse se serait perdue aux USA.
La tombe de Chim Soo Kung au cimetière de Arue
Pourtant,
malgré de nombreuses sources (plus ou moins fiables) prétendant qu'elle avait
disparu, il y a bien une guillotine à Tahiti. Elle a été confiée, après sa
restauration, au Musée de Tahiti et ses
îles (aujourd'hui Te Fare Manaha). Elle serait, sous réserve
de vérification car la direction de l'établissement (qui vient de changer) n'a
pu être formelle sur ce point, dans les réserves du musée avec son panier.
Quelques minutes pour ne jamais oublier…
Seulement
voilà : les collections du Musée historique de la Justice et des Châtiments,
qui, pour la petite histoire, est aujourd'hui fermé car personne ne voulait le
visiter, contiennent aussi une guillotine en tout point semblable à celle du
Musée de Tahiti. Est-ce celle dont Meyssonnier prétendait qu'elle s'était
perdue aux Etats Unis ? Et si oui, est-ce l'original ou la copie qui se trouve
dans les collections du Musée de Tahiti et ses îles ?
La
question reste posée et il y a bien peu de chances, hélas, que le mystère soit
jamais résolu.
Tous mes
remerciements à la direction du Musée de Tahiti et ses Îles – Te Fare Manaha
Lire également l'article de Tahiti Pacific Magazine n°152
de décembre 2003.
Un article de Julien Gué
Bonjour Julien,
RépondreSupprimerTrès bien cet article sur la guillotine de Tahiti dont je parle souvent aux touristes étrangers que j'accompagne dans mes visites de Tahiti.
Il faudrait que je te procure enfin ces photos des pièces de théâtre jouées par les scolaires que tu attends depuis si longtemps.
Bertrand Devaux