11ème
FIFO à tire d’aile
Débobinée aux
tous premiers jours de février à Tahiti, son île d’ancrage, la 11ème session du
Festival International du Film Documentaire Océanien (FIFO), parcourt le monde. Juste pour goûter : un
petit aperçu…
Du
Festival fidjien « Islands in the world 2 - OIFF » au
« Wairoa Maori Film Festival » de
Nouvelle-Zélande, sans oublier la section « Fenêtre
sur le Pacifique » de Cabourg, Sydney et plus tard, « Le Festival des Peuples » de
Nouvelle-Calédonie, il sillonne 2014, ses océans, ses continents, du printemps à
l’automne…
L’écran océanien voyage |
Sous le signe de la 11ème, avec 11
étapes, le FIFO fait son cabotage inter-îles à travers le territoire éclaté de
Polynésie française. Sa tournée « Hors-les-murs dans les îles », diffuse gracieusement aux insulaires la
manne cinématographique grâce à ses ambassadrices attitrées (Michèle de Chazeaux et Miriama Bono).
Qu’est –ce qui fait courir le
FIFO ?
Si
les îliens des cinq archipels polynésiens bénéficient de cette initiative indispensable,
reste à saluer l’effort des organisateurs. Malgré des traversées ou des vols
onéreux, les îles inaccessibles se côtoient par écrans interposés ; lointaines,
peu peuplées elles ne disposent pas forcément de l’infrastructure adaptée. Ce
n’est pas sans ténacité que s’effectue cette programmation, soumise aux aléas
de la mer et des coups de vent.
Le
FIFO, aidé de ses partenaires et de ses sponsors (associatifs, municipaux, logistiques
ou éducatifs), maintient cette opération essentielle en faveur des populations
les plus démunies. Les thèmes abordés par les films ne montrent qu’elles -elles : les
populations excentrées, en marge de… ou aux prises avec les bouleversements du
monde moderne-. Elles : leurs cultures résiduelles, leurs ancêtres, leurs
attaches, la perte de leurs repères, les monopoles qui les écrasent, leur
combat pour que survivent leurs valeurs, tout ce qu’on a oublié d’eux…
Un film, un auteur invité au jury, Witi Ihimaera (N-Zélande) |
Ce
sont eux, le public des îles, les sujets vivants que le festival a fixés, sur
les écrans du monde… Et le retour d’images est capital, pour eux, comme pour la
continuité du film documentaire océanien.
Il
est juste à regretter que ces prises de consciences réciproques ne s’effectuent
qu’hors contexte du brassage démographique, de l’accueil indéniable dont les
« insulaires du bout du monde » auraient été gratifiés en plein
festival de février.
L’image miroir en tournée
Ce
qui manque aussi aux habitants des îles périphériques de Tahiti, c’est la
totalité des films du FIFO. Par contre,
la programmation « Hors les
Murs »
pioche dans les deux catégories "en compétition" et "hors compétition" et par le fait, en propose les
primés : entre autres, « Ananahi,
demain » (Prix du Public), « La Compagnie du
Pacifique »
(Prix du Jury) et « I’m going to mum’s »
(Prix du meilleur court-métrage, dans le OFF). Le reste continue à se dispatcher.
« Peuple marquisien… on existe » clame le
Groupe TAKANINI
Pour
exemple, voilà donc le FIFO en tournée, face à son public originel des Marquises
et des Tuamotu avec deux films
primés.
Ils sont représentatifs du vécu
polynésien : un abrégé en quelque sorte. D’abord, la relation à l’héritage
culturel dans les dires du jeune Groupe musical marquisien
TAKANINI : « …notre
culture est effacée… le bitume a coulé dans nos cervelles… colonisation,
conversions (religion), CEP, société de consommation. ». Ensuite, le
laborieux ajustement entre insularité et contraintes administratives abordé
ainsi par le script dactylographié de la bande annonce (du 2nd
film) : « ces lieux improbables
(!!!) que constituent ces quelques atolls isolés, disséminés sur les
500 000km2 de l’Archipel des Tuamotu ».
L’humour véhiculé à propos de
l’inadéquation entre les lois de la République et l’autarcie insulaire,
n’escamote pas le point de non-retour de l’autogestion coutumière en fenua paumotu. D’autres portes sont
ouvertes par la similitude avec les civilisations autochtones de
Nouvelle-Guinée (Des œufs dans la
cendre),
la déchirure du retour aux rites ancestraux (Papous entre deux mondes), la quête des
mythes originaires (Take me to Pitcairn), les
préoccupations de l’écosystème (The valley of the
sharks),
la réappropriation des modes de vie (Inside the
monster,
Queen
of the desert,
Le truck
polynésien).
Maeva !
Les Polynésiens s’y
reconnaissent-ils ? Tentons de le
savoir dans le cadre même du FIFO à Papeete. Autant qu’ils en ont les moyens et
ils sont rares, les cinéphiles des îles périphériques, font tout pour s’y
rendre. Pour les privilégiés, la convivialité, la dimension humaine qui s’en dégagent, ne sont
pas qu’une impression. Le microcosme qui y évolue, dans la réalité comme à
l’écran (sous-titré ou doublé en anglais ou en français) est avant tout maoh’i
ou maori.
Un public venu de partout |
Pendant six jours, du 03 au 09 février, j’ai été nourrie au lait océanien : une
nouvelle naissance, en quelque sorte ! L’image cinématographique me
livrait les clés de ce que je ressentais au quotidien : véritable
décodeur, elle m’a servi de lien direct entre la manière d’être et de vivre des
Polynésiens contemporains et leurs principes ancestraux. Théorie et pratique en
toute adéquation !
Ce n’est pas que tout soit parfait (vu
l’absence des moyens de transport, tard le soir) ! Mais ce qui m’a été
transmis, par le contenu des films, par ce qui se vivait au festival, est de
l’ordre des valeurs humaines. C’est de cette surabondance dont je veux vous
faire part. Bien sûr, je ne suis pas dupe : certains festivaliers peuvent
ne rien avoir ressenti, être imperméables. Il faut dire que la fréquentation
des coulisses du festival, du point-presse et de l’administration m’ont permis
de m’en imprégner davantage.
Le FIFO qu’est-ce ?
Un
régal au quotidien. Des images qui se vivent à fleur de peau : une empathie sans
détour, sans protocole. Sans que tu aies besoin de demander quelque chose, les
Polynésiens te donnent tout. « Le prêt à l’accueil », c’est comme
« le prêt à porter », tu l’endosses direct ! Il se situe à tous
les niveaux. De la balayeuse sous la pluie aux informateurs à badge et T-shirt
noir. Chacun te réoriente dans les courelles et passages en labyrinthe où tu
t’es égaré, te propose de fixer ton passage en photo… C’est le cadeau
permanent.
…dans les couloirs du FIFO : Bella |
Même
s’il faut tenir compte des fluctuations de rendez-vous, des contraintes de
disponibilités du jury, des réalisateurs, des président et directeur ou d’une
rare modification de programme au terminus du festival, le point-communication est
performant ; se mettant en quatre pour satisfaire nos velléités de
journaliste.
Les
abords du chapiteau de conférence constitue l’un des pôles de rencontres,
qu’elles soient officielles ou non. Il est central, adossé à la Maison de la
culture ou Te fare tauhiti nui et
séparé du podium, des stands sous tente et autres spots médiatiques, par le
« paepae Henri Hiro » : petite esplanade sous
banians, propice à la pause et rythmée par des quartets kaina.
Un cinéma dont l’histoire est à écrire… |
Mitoyenne
d’étals artisanaux au calme laborieux, des « Ateliers » de pitch,
de tournage, de montage, de scénario,
elle mène aux deux salles de projection. Et si à l’édition-librairie « Au
vent des îles », ne figure aucun volume sur l’histoire du cinéma océanien,
ni polynésien, ni tahitien… l’éclairage est donné sur
« l’aborigène »…
Un public en constant débat
Autochtones,
insulaires, Océaniens, installés dans le Pacifique depuis plus de 35 000
ans, appartenance territoriale, colonisation, indépendance, mutation et hiatus
entre communautarisme et modernisme, telle se perçoit de façon globale la
thématique qui alimentera la plupart des débats entre public et réalisateurs.
Car la méconnaissance est grande entre le continent insulaire et le reste du
monde.
Les
débats en salle révèlent parfois que le public attend des réalisateurs qu’ils
résolvent la vraie question posée par leur film ! Exigeant avec ça !
Et parfois aussi qu’ils se positionnent davantage, voire qu’ils prédisent
l’avenir ! Ceci étant dit pour l’anecdote, le dialogue prouve aussi la
curiosité insatiable du spectateur et son réel intérêt pour les constats sociétaux de fond. De notre côté, nous avons
prospecté hors micros, les avis croisés d’un public international ou local. Avec
ou sans photos, car les spectateurs tiennent parfois à garder l’anonymat, je
vous livre leurs propos, librement glanés entre deux séances :
Un public qui débat |
« Les films documentaires de cette session
proposent une véritable immersion culturelle : il te permettent de
déconstruire tes approches venues d’ailleurs et d’intégrer avec davantage de
finesse la mentalité que tu côtoies tous les jours. Au bout du compte, tu as
changé ! La métamorphose est définitive, parce c’est par le ressenti que
la pensée, l’enseignement océaniens te sont parvenus. Et là ! La
force des témoignages a été puissante : bravo !»
« Le
FIFO est l’occasion de se remplir les yeux et la tête. Depuis sa création, je
n’ai manqué aucune session. Avant, je me prenais une semaine de congés,
maintenant je suis à la retraite. Et à chaque fois, je trouve que la qualité
est meilleure d’une année sur l’autre. »
« Ce
qui m’interroge, c’est l’absence de réalisateurs autochtones et de productions
totalement locales tahitiennes… Pas de nouveaux noms ! Les anciens,
les mêmes…» « Bien sûr, nous savons que la médiatisation doit s’assurer de
fortes structures internationales, mais… »
Points de vue et apartés…
«
Dans "La Compagnie des Archipels", nous ne contestons pas le rôle de
la gendarmerie : son rôle social, son travail de médiateur entre la
pénalisation et la loi ; pas plus que le fait qu’il soit axé sur la délinquance
: nos travers sont là. Mais nous nous sentons "transparents en tant
que Polynésiens" derrière la mission qu’ils mènent. » ; « Les
voix paumotu ne s’entendent que pour servir d’écho. Le dialogue n’est pas
vraiment établi, il est circonstancié. » ; « La vision est
édulcorée. La réalité est plus hard » ; « Le point de vue est
métropolitain et il ne s’oppose en rien à un autre avis : le nôtre. »
me confie un groupe d’étudiants.
Le
Documentaire Océanien peut-il être porté
exclusivement par les natifs ou se
partager avec des réalisateurs ou des productions étrangères ? Telle est
la question qui revient souvent.
Passagère du rêve polynésien !
De
tous les festivals du monde que j’ai pu fréquenter sur trois autres continents
(Afrique, Amérique, Europe), il est indéniable, culturellement d’abord et
professionnellement ensuite, que l’accueil polynésien est à nul autre pareil.
Tous les services vous traitent au Monoï !
L’ambiance, toujours… |
Alors,
c’est quoi le FIFO ? Des figures
entre anonymat et légende captés sur
écrans, des mondes burinés dans la pierre, dans les gestes, graffés dans la peau, l’effort, la sueur, les
corps décharnés, dans le rythme lent de la parole et de l’accomplissement. Un
bain culturel océanien, un panorama extrêmement vivant avec ses facettes
innombrables : de l’origine du temps océanien, des temps préhistoriques,
des temps de tous les possibles au resserrement de l’histoire, du temps qui
achoppe avec l’Occident et des temps qui s’emballent et défigurent l’horizon.
L’image
y est fréquemment soignée, souvent peaufinée, pour la plupart des réalisateurs
qui ne lésinent pas sur l’approfondissement de leur sujet. Elle atteint une
personnalisation, peut-être assez inattendue dans le domaine du documentaire.
On ne sait plus ce qui les rend si colossales, si riches d’émotion : la
focalisation de l’objectif, la densité
du propos, l’intensité humaine de cultures aussi diverses ?
Est-ce
la démesure de ce continent, isolé par tant de masses marines, qui imprègne les
réalisateurs de ses tsunamis visuels ? Et qui nous le rende si proche, intime
même !
Banians, paepae et ukulele |
Dépaysée ?
non ! "Océanisée",
oui ! Sur ce Continent dont on ne
comptabilise que les surfaces émergées. Où les terres s’éparpillent dans le lit
d’un Pacifique Sud étiré sur près d’une centaine de millions de km2. J’ai inversé mes balises. La rumeur de
l’image, la vérité de l’humain.
Un article de Monak
Voir aussi
sur le blog :
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