Sahel
tunisien en camaïeux
Des bleus aux
verts, entre les deux golfes qui le délimitent du nord au sud, le Sahel fait
saillie sur la Méditerranée : « ventre arrondi » de la Tunisie,
il s’échancre de baies nombreuses comme autant de seuils accessibles aux
incursions venues de la mer.
C’est
de cette série de fluctuations dont accouche l’histoire de la région. Avec son
relief peu accidenté, le Sahel n’est pas uniquement balayé par le dieu de la
mer, Oceanos, rendu célèbre par les
mosaïques de Sousse. Si la
promenade urbaine peut encore s’effectuer en calèche dans la plupart des
stations balnéaires, c’est dans des conditions bien meilleures que celles
rapportées par Gide.
Sahel, le « ventre arrondi » de la Tunisie |
A la fin du XIXème siècle, dans les pages de L’Immoraliste (1902), il écrit : « La diligence de Sfax quitte Sousse (…) Sitôt sortis
de Sousse et de l’abri de ses collines, le vent commença de souffler (…) Rien
ne m’attirait plus que Carthage (…) les mosaïques de Sousse et l’amphithéâtre
d’El Jem. (…) ».
Et dans Les Nourritures terrestres,
1897, n’avait-il pas déjà écrit : « Sousse, (je me souviens de) tes oliviers » ; et
encore : « Le sable se veloute
délicatement dans l'ombre; s'embrase au soir et paraît de cendre au matin ».
Le ventre de la Tunisie
L’histoire connue de la région commence dans l’Antiquité,
sous l’aura de l’Empire de Carthage puis d’un certain Hannibal qui lui a assuré sa gloire. Après la
conclusion d’une longue lutte entre les deux puissances
(146 avant J.-C), le territoire jouit d’une période confortable de paix et d’opulence. Sous le règne de l’empereur Dioclétien
(284-305), la province romaine de l’actuel Sahel joue un rôle prépondérant avec
la création de la Byzacène. En effet la Province d’Afrique est divisée en trois
(la Tripolitaine,
la Byzacène
et l'Afrique proconsulaire résiduelle, aussi appelée Zeugitane.).
Les terres vertes de M’Saken |
Ce n’est pas seulement la richesse de
l’oléiculture et de la mer, la créativité artistique carthaginoises qu’exploite
Rome après avoir vaincu Hannibal mais aussi un art de vivre : la mosaïque
et ses reproductions de la vie quotidienne en témoignent. Labeurs et loisirs
des jours, champêtres et aquatiques, s’y côtoient.
Que
l’époque soit antique ou contemporaine, les plaisirs de la table sont
reproduits par l’art urbain ou l’intérieur des demeures privées avec ses deux
sources d’abondance qu’offrent la terre et la mer. A Salakta, petit hameau
portuaire, les mosaïques illustrent l’activité de la pêche : « Le littoral est jalonné par les fabriques de
salaisons ou autres produits dérivés du poisson, comme la sauce appelée garum,
un condiment fondamental de la table romaine. », rapportent les
historiens latins.
Oceanos et Olive aux frontons de l’Antique et du moderne |
M’Saken
s’orne, au XXème siècle, d’un monumental rond-point où la goutte d’huile, telle
une perle dorée, surmonte une composition entrelaçant olives et feuilles
ornementales. Serait-ce cette référence à « l’or vert » (l’huile
d’olive), sur lequel se sont bâties les fortunes du gouvernorat qui aurait
donné son surnom à sa capitale, Sousse ? Ou son panorama bordé de rivages
blonds et de collines verdoyantes ?
Sousse, “La Perle du Sahel”
Elle
se nomme Hadrumète à sa fondation phénicienne au 9ème siècle av-JC.
Carthaginoise ensuite, Hannibal y établit son camp lors de la seconde guerre
punique et c’est du port qu’il attaque les Romains avant sa défaite à Zama (202
av.JC).
La médina de Sousse |
De
Zama, on ignore toujours la réelle localisation : « L'historien romain Cornelius Nepos mentionne
le premier le nom de Zama pour la situer, près de cent cinquante ans après l'événement.
Tite-Live, quant à lui, parle de Naraggara (aujourd'hui Sāqiyat Sīdī Yūsuf) ».
Capitale
de la Byzacène sous Dioclétien (234-305), elle développe une importante
communauté chrétienne, bien que persécutée (du 2ème au 4ème
siècle), dont on retrouve les vestiges sur plus de 5 km de galeries
souterraines ou catacombes. Nécropole (15 000 sépultures pour 240
galeries) et lieu de culte clandestin, tout comme Salakta, elle abrite gravures
sur marbre et épitaphes. Les
persécutions reprendront à la fin du VIIème siècle, avec la conquête
arabe. Le musée archéologique Tour Khalef-el-Fata, consacré à la mosaïque,
recèle des spécimens chrétiens.
Dans le dédale des catacombes |
Prise
par les Vandales puis par les Byzantins au 6ème
siècle, elle est détruite par les conquérants arabes avec Oqba Ibn Nafii. Elle
est reconstruite par les Aghlabides* (fin du 7ème siècle) qui la
nomment Sousse, nom emprunté au
berbère, et la dotent d’un chantier naval. Elle doit l’épaisseur impressionnante
des remparts de la kasbah et du ribat
à sa situation au ras de la mer.
Le
ribat, ou monastère fortifié gardé
par les mourabitin (moines soldats),
est bâti par les Aghlabides pour servir de protection contre les Chrétiens et
de refuge à la population. La grande mosquée (851) ressemble elle aussi à une
forteresse. Au
IXe siècle, la ville connaît une cohabitation entre musulmans, chrétiens et
juifs, qui lui vaut sa prospérité.
La Sousse nouvelle |
Sous
la pression constante de la Sicile, de l’Espagne, de la France et des Vénitiens
qui viennent l’assaillir, Sousse est aussi rançonnée par les pirates. Sous la
domination ottomane (1574-1881), elle coule des jours prospères. Sous le
protectorat français, elle devient le principal port d’exportation du phosphate.
Occupée par l’armée allemande, elle est bombardée par les alliés durant la
seconde guerre mondiale (1942-43).
Sousse
compte 230 000 habitants, 400 000 avec l’agglomération totale. La
médina traditionnelle, enceinte de remparts ombrant des souks couverts aux échoppes
de tisserands, se prolonge par la ville coloniale et les quartiers portuaires
et modernes.
Sousse, de pierre et d’eau |
Les
trois ensembles convergent vers la Place Farhat Hached., militant
indépendantiste. Les circonstances et les commanditaires de son assassinat en
1952 « semblent
directement liés à des organisations colonialistes françaises ». Né dans
les îles Kerkenna, toutes proches, l’archipel fut aussi le refuge d’Hannibal...
Un clair de terre sous la lune …
Le
Sahel tunisien ? Un patchwork de cultures, un quadrillage de sites et de
champs.
Un
métissage entre le traditionnel et le moderne comme à Port El Kantaoui. De
style andalou revisité, la marina arbore ses murs blanchis à la chaux, ses
toits bas et plats, ses arcades, ses balcons ombragés et ses terrasses délicatement
fleuries de jasmins et de bougainvilliers.
La maison Bleue de « Tiziri 13 » |
Le
Sahel : une région qui renoue, depuis la révolution, avec ses racines
berbères, grâce aux artistes. Bien que les motifs aient toujours été présents
dans l’artisanat, la réalité berbère avec sa langue, ses chants, avait disparu
de l’espace public. Mais l’imaginaire lunaire, son calendrier, commun avec la
tradition arabe, est resté très vivace.
Tiziri, c’est
« le clair de lune, la pleine lune », la 14ème phase de la
lune. Désormais, il faudra compter avec la maison bleue de « TIZIRI
13 », à Sousse : là où la 13ème lune s’accomplit…
Un article de Monak
Tous droits réservés à Monak. Demandez l’autorisation
de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur
Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
*Aghlabides :
dynastie arabe (800-909) d’Ifriqyia, dominée par les abbassides et vaincue par les
Fatimides ; leur capitale est
Kairouan.
Voir aussi : http://tahiti-ses-iles-et-autres-bouts-du-mo.blogspot.com/2014/06/le-sahel-tunisien.html
Voir aussi : http://tahiti-ses-iles-et-autres-bouts-du-mo.blogspot.com/2014/06/le-sahel-tunisien.html
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