Sidi Bou Saïd, Djerba : l’envoûtement
Hamadi Cherif
vient de nous tirer sa révérence en ce mois de février 2014, mais son legs
artistique demeure… en Tunisie. C’est dans cet esprit-là qu’il a conçu La Galerie
Cherif Fine Art à Sidi Bou Saïd
et Dar
Cherif à Sidi Jmour, sur l’île de
Djerba.
Non
seulement sa cote de galeriste est partagée internationalement, mais encore
s’est-il engagé dans la
promotion des arts vivants, comme un prolongement évident à son inclination
pour la « Beauté », les Beaux-Arts. Distingué, d’un naturel réservé, il
s’est toujours effacé derrière l’acte créateur des artistes qu’il promouvait et
ne s’est jamais départi de cette attitude.
« Danse à
l’île » au patio de Dar Cherif (Vidéo)
A l’occasion de mon intermède « Baraniya », chorégraphié par Imed
Jemâa pour le festival « Danse à l’Île » de mai 2012 à Djerba, je
m’étais entretenue avec Hamadi : un de ces nombreux épisodes compris en
une vingtaine d’années de fréquentation de ce que l’art a présenté de plus prestigieux.
L’art : un envoûtement
« L’art
envoûte ». C’est peut-être ce qu’Hamadi a su transmettre aux nouvelles
générations tunisiennes. Car tous ont fait le détour en ses murs. Tous y ont
été conviés. Il a toujours eu la réputation de la délicatesse en art :
mais elle s’est exercée aussi à l’égard de ses pairs ou de ses vis-à-vis. Les artistes
en témoignent. Tel Mahmoud Chalbi, artiste et galeriste de « L’Aire Libre » à Tunis :
« Difficile
d'aller dormir
trop
triste
du
départ d' Hamadi Cherif
ce
grand monsieur
cet
esthète au sourire éternel
nous
laisse sans voix ...
ah
les belles heures
qu'on
a passées à monter
l'expo
hommage
de
l'autre ami
tôt
parti Faouzi Chtioui ...
et
tous les beaux moments
les
brunchs arrosés
et
les interminables discussions
de
toutes les expositions d'amis...
de
Sassi au Gatouss...
et
son hommage au frère Adel
lui
aussi en février parti...
sans
oublier Zelef, Chlag,
Hachicha,
Belaifa......
et
encore ah et ah et ah
Hakkar,
Belkhodja, Bouabana...
les
artistes ne meurent pas...
la
source est intarissable...
ton
oeuvre
ton
arme
ton
âme
Cherif
fine art
Dar
Cherif Djerba
seront
toujours là...
nous
continuerons le combat
du
beau
de
l'art jusqu'au bout ...
Que
le ciel te soit paix mon ami ! »
10
février 2014, 15:25
«
Envoûté par Djerba ! » Hamadi Cherif le confesse avec ardeur. On ne le serait
pas moins, à en croire Homère. Ulysse n’est pas l’unique spécimen de la race
humaine à avoir succombé aux charmes de l’île légendaire.
Sous le signe du Poisson |
Sur
l’Île des Lotophages, dénommée ainsi par l’écrivain grec il y a plus de 27
siècles, le sortilège reste toujours aussi vivace aujourd’hui.
Sous le signe du Poisson
Une
foison de signes semble en augurer : tel le poisson de la mosaïque qui orne la
façade de sa maison natale. Aménagée en
galerie de poche, enchâssée dans le vieux village, la Cherif Fine Art à l’enseigne discrète, se fond dans la blancheur
soulignée du bleu Sidi Bou Saïd. Le destin d’Hamadi Cherif se balise, sinon de
chance, du moins de coïncidences.
Ce
métier de galeriste, il le tient déjà du « hasard », confirme-t-il. A
l’adolescence, âge réputé pour s’adonner à la passion, il fréquente
quotidiennement l’exposition Matisse à New-York. Un choc émotionnel
irrémédiable ! Et il savoure ces sensations qui décideront, un peu plus tard,
de son orientation.
Cherif Fine Art » : le foyer galerie à Sidi Bou |
Bachelier
précoce (14 ans 1/2), ses études en management hôtelier ne présageaient en rien
de sa rencontre avec l’un des
galeristes bâlois réputés, Beyeler. C’est deux ans plus tard qu’il intègre le
métier, en plein cœur de l’art moderne : « La grande aventure de l’art passe
par la Suisse », se plaît-il à dire ; mêlant, en toute lucidité, histoire de
l’art à son propre vécu.
Le
professionnel fonctionne de pair avec le sentimental. Une moitié de vie à
l’étranger, et la fascination de Djerba, au retour. Car l’art devient ce parent
adoptif qui comble les aléas.
L’Art : un parent adoptif
Un
coucher de soleil inoubliable, une atmosphère enchanteresse, paisible, à
l’époque où l’île n’était quadrillée que de sentiers de sable, à peine
distincts de la blancheur environnante. Juste un hôtel, sur les vestiges d’un
caravansérail (funduq). Plus de 50
ans qu’Hamadi Chérif contemple intérieurement le « paradis polynésien » de
Djerba (ainsi qualifié par les guides touristiques).
La porte étroite (né derrière cette porte) |
L’envie
de mettre sur pieds un projet artistique l’effleure et le tenaille pour pallier
le vide culturel de la région. Protégée par une législation sévère quant à
la conservation du site naturel agricole, même inexploité, fonder un espace
culturel, c’est presqu’un exploit !
Une
structure dénommée « Dar Cherif, Sidi
Jmour, Centre international d'art et de culture,
Djerba», voit le jour en 2010. Le galeriste mettra donc une dizaine d’années à
l’échafauder, ce qui entraînera cinq ans de fermeture de la galerie de Sidi Bou
Saïd.
Parallèlement,
la fréquentation des arts, ne semble pas avoir poussé Hamadi Cherif à s’essayer
picturalement. De l’art, il tire une famille qui commence au siècle dernier et
étend son influence de l’autre côté de l’océan avec surréalistes,
impressionnistes et cubistes. Mais avant tout, avec l’admiration sans faille
pour les figures de proue que sont Max Ernst, Magritte, Leonor Fini… et tant
d’autres, éparpillés de par le monde, ce sont les contacts personnels qu’il
entretient avec eux, qui motivent son parcours.
Un gîte
Au-delà
des œuvres, c’est la présence d’une faune artistique interdisciplinaire qu’il
partage, parmi moult vernissages et autres événements littéraires ou
chorégraphiques associés aux courants esthétiques. Il côtoie les collectifs
issus des différents mouvements plastiques, comme l’Ecole de Paris ou l’Ecole
de Tunis… Il approche autant ceux qui seront classés dans la mouvance des
orientalistes que les avant-gardistes, tant que la facture est de qualité.
Ce
sont eux qu’il veut rassembler sur son île avenante. Les artistes, qu’il veut
accueillir en hôte affable.
Hamadi en contemplation, face aux œuvres de Heidi Naili |
Il
étend ainsi son domaine de compétences aux arts vivants, car il ne saurait
poser de clivages, là où les créateurs viennent satisfaire leur curiosité. Aux
expositions internationales, il veut associer d’autres types de manifestations.
Il s’oriente bien évidemment vers les Arts Vivants et les représentations
scéniques. En fait, ce qu’il recherche, c’est cette convivialité qui dynamise
la création, ce dialogue qui la fait évoluer et se parfaire, chez ses invités.
Il
fait de Dar Cherif, un lieu d’accueil,
de repos mais aussi de travail, avec les ateliers mis à disposition. Des
résidences assurées pour les artistes exposants, en mode création ou en
représentation, pour permettre aux
œuvres de s’imprégner de l’atmosphère
particulière de l’Île et de ses hôtes. Brassages, passages, ouvertures à la
connaissance d’autres approches, d’autres univers, d’autres perspectives.
Dar Cherif à Sidi Jmour : le théâtre au patio… |
Rien
ne vaut effectivement le côtoiement des artistes : un monde en perpétuel
changement, de par la présence de l’autre. Un monde qui se pare de bouleversements à partir du
dialogue des itinéraires et des cultures. Sidi Jmour lance son tourisme
culturel, un an avant la révolution.
Un legs
Et
pour que se perpétuent ces moments privilégiés, le principe de ce panachage ne
sera pas interrompu, même en pleine récession touristique. Le cadre n’est pas
perturbé, l’ambiance est zen.
La
question de la continuité se pose pour Hamadi Cherif. Comment maintenir un
Centre d’arts vivants ? En cette période de démantèlement et de contradictions
culturelles en Tunisie, même si Djerba
ne semble pas vraiment touchée de par les caractéristiques de sa population
(Importance des communautés minoritaires : Berbères, Noires et Juives). Comment
préserver un patrimoine artistique qui s'avère maintenant conséquent ?
Hamadi
Chérif opte pour l’instauration d’une Fondation. Au nom symbolique, « La Sirène
» ! Et les voilà réintégrés pour la postérité, œuvres et artistes confondus.
Hamadi Cherif : Un rêve nommé Arts |
L’automne
y présente sa saison musicale. Fin mai, le Festival « Danse à l’Île », qu’il
fonde avec le chorégraphe Imed Jemâa ; pour sa troisième édition (2012),
il invite Patrick Dupond et Leïla Da Rocha dans "Fusion" et les
productions tunisiennes en Danse contemporaine du Centre Chorégraphique ;
mais le Ministère de la Culture, n’assurant pas, Patrice Dupond ne viendra pas.
Et tout au long de l’année les plasticiens se succèdent : qu’ils soient
Tunisiens (comme Ahmed Zaïbi) ou que soit annoncé l’expressionniste allemand
Otto Dix.
Alors,
Hamadi poursuit son rêve. Un rêve qui le dépassera et qui a pour nom : Arts.
Un article de Monak
Et pour « Sirene
Association Culturelle Euro-Méditerranéenne », « Sirene Hamadi Cherif » :
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