à la
saison des pluies
Il arrive que
les Tuamotu fassent leur coquette et se dérobent au regard : les motu
s’enveloppent de brume, l’horizon est bouché, se coconne de ouate fiévreuse. La
saison des pluies astreint. De l’avion, aucune trace insulaire ne se devine :
il flotte sur un plancher floconneux,
effleure une calotte aux allures de neige.
Un plancher nuageux en plaine neigeuse |
Sous
la barre nuageuse, Rangiroa laisse
entrevoir son atoll festonné de hoa*,
s’échancre sur la première passe de Tiputa qui ouvre le lagon à l’Océan
Pacifique, se brouille sous un rideau de pluie. Le couchant n’est pas
flamboyant, le lagon ne miroite pas mais joue tout de même ses camaïeux de
bleus.
Spectre de motu dans le crachin |
Ciel couvert, gris… averse, crachin : comme
toutes ses sœurs des Tuamotu, Rangiroa* aspergé, détrempé, gorgé, halitueux, fait
ses provisions d’eau. Manne céleste particulièrement pure, consommable sur le
vif. Son manque en sels minéraux doit être compensé pour un équilibre
sanitaire, autrement, gare aux carences. Espérons qu’elle ne sera pas polluée…
d’ici longtemps !
« Saison d’abondance »
Au
programme du calendrier lunaire ma’ohi, la saison des pluies, enclavée d’octobre-novembre
à mars-avril, légitime son appellation traditionnelle de « saison
d’abondance » car elle ruisselle, s’inonde, s’épanche en eau de jouvence.
L’archipel des Tuamotu n’est abreuvé d’aucune source. Îles basses, au ras de la
mer, c’est du ciel qu’elles tirent leur eau douce.
Fare et sa citerne au motu de Tiputa |
Cette année, Rangiroa remplit ses réserves
pluviales à ras-bord. L’eau courante se puise aux citernes, enterrées ou à
flanc de fare. Elles pallient les
mois de disette où son usage devenu parcimonieux, ce sont quelques poches d’eau
souterraine saumâtre qui font la jonction (ces fameuses lentilles d’eau). La saison sèche parfois s’étire. Lors, la terre
des Tuamotu se languit au « soleil
redouté » (J.Brel).
De mémoire de Pa'umotu (habitant de Rangiroa et des Tuamotu),
il n’a jamais autant plu ! Les dérèglements climatiques de la
planète ?
Pluie sur la passe de Tiputa |
Pour
les cultures, c’est luxuriance ! L’eau et ses alluvions compensent le
manque de fondement en terre arable. Car sur le socle de corail où les racines
ne peuvent s’enfoncer, ce n’est que mince pellicule de sable blanc (« soupe de corail »). N’y peuvent
pousser que les plantes originelles : fleurs, buissons, arbustes, bosquets
naturels ou de rares cultures (coprah).
Avec
le vent que rien ne retient et qui brosse la platitude insulaire, la végétation
est rase : un curieux mélange entre garrigue et densité tropicale
recouvrée sous l’averse, pour les jardins aux essences multiples et les espaces
laissés sauvages. La vigne s’y adapte, mais la production de « vin (blanc) de corail » est minuscule. Reste ce palliatif de la
culture hydroponique qui ne cesse de se développer. Qui dit culture vivrière,
dit terreau !
Flaques, averses, savate polynésienne et slip de bain |
Si
les flaques entravent quelque peu routes et chemins, la cordialité des
habitants régule bon enfant la circulation. Mais gare aux fuites du toit, pour
les fare nia’u (tout en végétaux) aux poteaux naturels de coco et aux
savants alliages de poutres de bambou ! Les fare de conception plus moderne ne sont pas plus épargnés :
précocement vétustes par l’air marin, leur étanchéité n’est pas à toute
épreuve !
Au bonheur des enfants
Il
fait doux sous l’averse. Les enfants vous le diront, en slip de bain sous
l’ondée. La saison des pluies reste la période la plus chaude. Elle est juste
redoutable pour tout ce qui est voué à sécher : le linge, les surfaces
planes des meubles, le papier, l’électronique, etc.
A
vélo, en scooter, le minimum est de rigueur, chemise ouverte, étoffes légères tendues
comme une ombrelle sur les cuisses. Les véhicules couverts ne manquent pas de
vous offrir leur abri. Ici, le stop : ça marche !
Passe d’Avatoru sous l’ondée |
Fusent,
au sortir des cours, des bandes de jeunes, tout sourire, pressés de se plonger aux
spots de surf. Tout contents de ne pas être pensionnaires ! Car Rangiroa
et son collège drainent les atolls alentour. Sous le vent qui gonfle la vague, à
la passe d’Avatoru, le plaisir est à son comble entre les « patates »
de corail.
Video :
« Surfons sous la pluie »
L’atoll
ne rechigne pas face au mauvais temps. Pas de grise mine au village. L’activité
ne ralentit ni sur le lagon, ni en mer, ni sur l’île. Il n’est que les épaves
de bateau qui restent au garde-à-vous au lieu de leur naufrage.
D’une passe à l’autre, un vrai
boulevard !
La
passe d’Avatoru, celle de Tiputa ne désemplissent pas. Courant rentrant,
courant sortant, avec la houle et les rouleaux, les trombes d’eau et les pluies
fines, l’activité est au zénith.
Côté
océan, côté lagon, la mer est sillonnée dès l’aube. Sous le grain, entre deux
ondées, barques de fortune, rutilantes, coques métalliques, poti marara des pêcheurs au harpon, à la
traîne, au filet, à la nasse, canots des fermes perlières, navettes et
palanquées de plongeurs ne cessent de se croiser.
video : effervescence à la saison des pluies
Côté
lagon, l’Aranui 3, cargo mixte au retour des Marquises, s’amarre au large du
lagon deux fois par mois et ne peut accoster (vu son tirant d’eau). Mouillant
dans le lagon, ce sont les barges qui déversent leurs lots de touristes et de
fruits. Car, ne l’oublions pas, il ne pousse aux Tuamotu qu’une végétation
originelle sur le corail. Les fruits et légumes viennent des îles hautes (quelques
24 heures de navigation !).
L’effervescence humaine et naturelle
Dans
les fare, c’est l’époque des grands nettoyages. Les snacks, les roulottes
s’affairent à leurs tablées. Ne sont que les touristes qui se trouvent un peu
désorientés. Mais le secteur est encore à l’ère de ces petites pensions
familiales à visage humain qui leur donnent goût à cette fête de l’eau.
Aux
premiers rayons de soleil, palissades et cordes à linge arborent tout ce que
les habitants emploient de pareo, de tifaifai, de vêtements…
vidéo : rayons de soleil sur fare pa'umotu
Dans
les jardins, les plantes sont soignées, taillées. Les fleurs s’épanouissent.
C’est aussi la récolte des compositions florales ou du tissage du nia’u.
L’eau, une fête ?
La
plus grande île des Tuamotu, attirant Américains, Anglais, Australiens et une
pléthore d’autres nations présente encore bien d’autres visages. Huri Gnatata
est passeur entre les motu de Tiputa et d’Avatoru. Vêtu d’un semblant de pareo
gris, sous sa veste de ciré, son corps est tatoué d’un syncrétisme de signes
polynésiens, issus de différentes îles.
Havre
de figures incontournables comme celles de marins (Ioan de Kats), de
solitaires, d’artistes, de parcours exceptionnels (Vlad), de traversées
d’exception (Francis Gazeau, son odyssée militante de transplanté et son va'a
ta’ie ou pirogue à voile)… de ceux qui se sont posés là, au cœur de la vraie
vie, au sein de la « zénitude »
pa'umotu, elle n’offre ce bain de fragrances que pour ceux qui en ont les
moyens.
Huri Gnatata, passeur, aux tatouages des îles |
L’eau, l’air saturé d’humidité ne font pas de
cadeaux aux plus démunis. Au détour de ces palmes, de ces feuilles pimpantes
livrant leurs parfums à foison, la simplicité dérive rapidement vers la
rusticité et le dénuement. Combien de fare tombent en ruine, tiennent debout
par miracle ? Le nombre en est
impressionnant.
Rangiroa
deviendrait-elle l’île oubliée, avant de devenir inaccessible ? Quelle
politique en matière de communication et de tourisme est mise en place ?
Vendredi 15 novembre 2013, une manifestation devant l’OPT d’Avatoru dénonçait
le mauvais fonctionnement du réseau internet… (En 5 jours, ½ journée
d’accessibilité semble être la moyenne, quand ce n’est pas pire !).
Une poule sur un deck… mais sans les œufs d’or ! |
Faut-il
y adjoindre la crise qui touche le tourisme à Rangiroa, ces récentes années,
faute de possibilités de tractations sur le Net, entre autres raisons ? L’hôtel Kia Ora
est en difficulté,
déclare Julien Tetua, représentant du personnel : « L’hôtel, ce n’est pas
seulement les salariés, il y a aussi les prestataires de service, les pêcheurs,
les liaisons aériennes… Ce sont des familles entières qui seraient touchées. »
Diaporama : Fare en décrépitude et autres épaves
ordinaires !
La
récession semble s’être amplifiée en moins d’un an et particulièrement ces
derniers mois. Avec le déclin de
l’habitat domestique, la dégradation de la voierie, rien n’encourage les
habitants à respecter l’environnement… Que ce soit sur les plus beaux spots de
surf , sur les chemins, dans les
arrière-cours, emballages alimentaires ou carcasse de voitures défigurent le
paysage.
Quelle
détresse se cache derrière le sourire imputrescible du Pa'umotu ? « Gémir
n’est pas de mise », c’est aussi aux Tuamotu…
La
volupté des senteurs, l’aspect riant de la nature, entre deux pluies et six
mois sur douze, suffisent-elles à mettre un baume ?
Un rêve d’aigue-marine… |
Rangiroa,
Rairoa* comme elle se nomme à
l’origine, un œil grand ouvert sur la frange perlée des larmes du Pacifique…
Un article de Monak
*Pour la présentation et le lexique approprié à
Rangiroa, se reporter à l’article de Julien Gué en cliquant sur ce lien : Rangiroa, un lagon vaste comme une mer intérieure.
- Merci à Queensea pour la voix
- La pluie est bien cette dispensatrice de joie, avec une chanson pa'umotu de Moana, toute en rythme : "Toriri te ua"
- Merci à Queensea pour la voix
- La pluie est bien cette dispensatrice de joie, avec une chanson pa'umotu de Moana, toute en rythme : "Toriri te ua"
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