Publicité

Publicité
Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

vendredi 22 novembre 2013

L'atoll de Rangiroa


à la saison des pluies

Il arrive que les Tuamotu fassent leur coquette et se dérobent au regard : les motu s’enveloppent de brume, l’horizon est bouché, se coconne de ouate fiévreuse. La saison des pluies astreint. De l’avion, aucune trace insulaire ne se devine : il flotte sur un plancher  floconneux, effleure une calotte aux allures de neige.

Un plancher nuageux en plaine neigeuse
Sous la barre nuageuse, Rangiroa laisse entrevoir son atoll festonné de hoa*, s’échancre sur la première passe de Tiputa qui ouvre le lagon à l’Océan Pacifique, se brouille sous un rideau de pluie. Le couchant n’est pas flamboyant, le lagon ne miroite pas mais joue tout de même ses camaïeux de bleus.

Spectre de motu  dans le crachin
Ciel couvert, gris… averse, crachin : comme toutes ses sœurs des Tuamotu, Rangiroa* aspergé, détrempé, gorgé, halitueux, fait ses provisions d’eau. Manne céleste particulièrement pure, consommable sur le vif. Son manque en sels minéraux doit être compensé pour un équilibre sanitaire, autrement, gare aux carences. Espérons qu’elle ne sera pas polluée… d’ici longtemps !

« Saison d’abondance »
Au programme du calendrier lunaire ma’ohi, la saison des pluies, enclavée d’octobre-novembre à mars-avril, légitime son appellation traditionnelle de « saison d’abondance » car elle ruisselle, s’inonde, s’épanche en eau de jouvence. L’archipel des Tuamotu n’est abreuvé d’aucune source. Îles basses, au ras de la mer, c’est du ciel qu’elles tirent leur eau douce.

Fare et sa citerne au motu de Tiputa
Cette année, Rangiroa remplit ses réserves pluviales à ras-bord. L’eau courante se puise aux citernes, enterrées ou à flanc de fare. Elles pallient les mois de disette où son usage devenu parcimonieux, ce sont quelques poches d’eau souterraine saumâtre qui font la jonction (ces fameuses lentilles d’eau). La saison sèche parfois s’étire. Lors, la terre des Tuamotu se languit au « soleil redouté » (J.Brel).

De mémoire de Pa'umotu (habitant de Rangiroa et des Tuamotu), il n’a jamais autant plu ! Les dérèglements climatiques de la planète ?

Pluie sur la passe de Tiputa
Pour les cultures, c’est luxuriance ! L’eau et ses alluvions compensent le manque de fondement en terre arable. Car sur le socle de corail où les racines ne peuvent s’enfoncer, ce n’est que mince pellicule de sable blanc (« soupe de corail »). N’y peuvent pousser que les plantes originelles : fleurs, buissons, arbustes, bosquets naturels ou de rares cultures (coprah).

Avec le vent que rien ne retient et qui brosse la platitude insulaire, la végétation est rase : un curieux mélange entre garrigue et densité tropicale recouvrée sous l’averse, pour les jardins aux essences multiples et les espaces laissés sauvages. La vigne s’y adapte, mais la production de « vin (blanc) de corail » est minuscule. Reste ce palliatif de la culture hydroponique qui ne cesse de se développer. Qui dit culture vivrière, dit terreau !

Flaques, averses, savate polynésienne et slip de bain
Si les flaques entravent quelque peu routes et chemins, la cordialité des habitants régule bon enfant la circulation. Mais gare aux fuites du toit, pour les fare nia’u (tout en végétaux) aux poteaux naturels de coco et aux savants alliages de poutres de bambou ! Les fare de conception plus moderne ne sont pas plus épargnés : précocement vétustes par l’air marin, leur étanchéité n’est pas à toute épreuve !

Au bonheur des enfants
Il fait doux sous l’averse. Les enfants vous le diront, en slip de bain sous l’ondée. La saison des pluies reste la période la plus chaude. Elle est juste redoutable pour tout ce qui est voué à sécher : le linge, les surfaces planes des meubles, le papier, l’électronique, etc.

A vélo, en scooter, le minimum est de rigueur, chemise ouverte, étoffes légères tendues comme une ombrelle sur les cuisses. Les véhicules couverts ne manquent pas de vous offrir leur abri. Ici, le stop : ça marche !

Passe d’Avatoru sous l’ondée
Fusent, au sortir des cours, des bandes de jeunes, tout sourire, pressés de se plonger aux spots de surf. Tout contents de ne pas être pensionnaires ! Car Rangiroa et son collège drainent les atolls alentour. Sous le vent qui gonfle la vague, à la passe d’Avatoru, le plaisir est à son comble entre les « patates » de corail.


 Video : « Surfons sous la pluie »
L’atoll ne rechigne pas face au mauvais temps. Pas de grise mine au village. L’activité ne ralentit ni sur le lagon, ni en mer, ni sur l’île. Il n’est que les épaves de bateau qui restent au garde-à-vous au lieu de leur naufrage.

D’une passe à l’autre, un vrai boulevard !
La passe d’Avatoru, celle de Tiputa ne désemplissent pas. Courant rentrant, courant sortant, avec la houle et les rouleaux, les trombes d’eau et les pluies fines, l’activité est au zénith.

Côté océan, côté lagon, la mer est sillonnée dès l’aube. Sous le grain, entre deux ondées, barques de fortune, rutilantes, coques métalliques, poti marara des pêcheurs au harpon, à la traîne, au filet, à la nasse, canots des fermes perlières, navettes et palanquées de plongeurs ne cessent de se croiser.


video : effervescence à la saison des pluies
Côté lagon, l’Aranui 3, cargo mixte au retour des Marquises, s’amarre au large du lagon deux fois par mois et ne peut accoster (vu son tirant d’eau). Mouillant dans le lagon, ce sont les barges qui déversent leurs lots de touristes et de fruits. Car, ne l’oublions pas, il ne pousse aux Tuamotu qu’une végétation originelle sur le corail. Les fruits et légumes viennent des îles hautes (quelques 24 heures de navigation !).

L’effervescence humaine et naturelle
Dans les fare, c’est l’époque des grands nettoyages. Les snacks, les roulottes s’affairent à leurs tablées. Ne sont que les touristes qui se trouvent un peu désorientés. Mais le secteur est encore à l’ère de ces petites pensions familiales à visage humain qui leur donnent goût à cette fête de l’eau.

Aux premiers rayons de soleil, palissades et cordes à linge arborent tout ce que les habitants emploient de pareo, de tifaifai, de vêtements…


vidéo : rayons de soleil sur fare pa'umotu
Dans les jardins, les plantes sont soignées, taillées. Les fleurs s’épanouissent. C’est aussi la récolte des compositions florales ou du tissage du nia’u.

L’eau, une fête ?
La plus grande île des Tuamotu, attirant Américains, Anglais, Australiens et une pléthore d’autres nations présente encore bien d’autres visages. Huri Gnatata est passeur entre les motu de Tiputa et d’Avatoru. Vêtu d’un semblant de pareo gris, sous sa veste de ciré, son corps est tatoué d’un syncrétisme de signes polynésiens, issus de différentes îles.

Havre de figures incontournables comme celles de marins (Ioan de Kats), de solitaires, d’artistes, de parcours exceptionnels (Vlad), de traversées d’exception (Francis Gazeau, son odyssée militante de transplanté et son va'a ta’ie ou pirogue à voile)… de ceux qui se sont posés là, au cœur de la vraie vie, au sein de la « zénitude »  pa'umotu, elle n’offre ce bain de fragrances que pour ceux qui en ont les moyens.

Huri Gnatata, passeur, aux tatouages des îles
 L’eau, l’air saturé d’humidité ne font pas de cadeaux aux plus démunis. Au détour de ces palmes, de ces feuilles pimpantes livrant leurs parfums à foison, la simplicité dérive rapidement vers la rusticité et le dénuement. Combien de fare tombent en ruine, tiennent debout par miracle ?  Le nombre en est impressionnant.

Rangiroa deviendrait-elle l’île oubliée, avant de devenir inaccessible ? Quelle politique en matière de communication et de tourisme est mise en place ? Vendredi 15 novembre 2013, une manifestation devant l’OPT d’Avatoru dénonçait le mauvais fonctionnement du réseau internet… (En 5 jours, ½ journée d’accessibilité semble être la moyenne, quand ce n’est pas pire !).

Une poule sur un deck… mais sans les œufs d’or !
Faut-il y adjoindre la crise qui touche le tourisme à Rangiroa, ces récentes années, faute de possibilités de tractations sur le Net, entre autres raisons ? L’hôtel Kia Ora est en difficulté, déclare Julien Tetua, représentant du personnel : « L’hôtel, ce n’est pas seulement les salariés, il y a aussi les prestataires de service, les pêcheurs, les liaisons aériennes… Ce sont des familles entières qui seraient touchées. »


Diaporama : Fare en décrépitude et autres épaves ordinaires !
La récession semble s’être amplifiée en moins d’un an et particulièrement ces derniers mois.  Avec le déclin de l’habitat domestique, la dégradation de la voierie, rien n’encourage les habitants à respecter l’environnement… Que ce soit sur les plus beaux spots de surf , sur les chemins,  dans les arrière-cours, emballages alimentaires ou carcasse de voitures défigurent le paysage.

Quelle détresse se cache derrière le sourire imputrescible du Pa'umotu ?  « Gémir n’est pas de mise », c’est aussi aux Tuamotu…
           
La volupté des senteurs, l’aspect riant de la nature, entre deux pluies et six mois sur douze, suffisent-elles à mettre un baume ?

Un rêve d’aigue-marine…
Rangiroa, Rairoa* comme elle se nomme à l’origine, un œil grand ouvert sur la frange perlée des larmes du Pacifique…


Un article de  Monak


*Pour la présentation et le lexique approprié à Rangiroa, se reporter à l’article de Julien Gué en cliquant sur ce lien : Rangiroa, un lagon vaste comme une mer intérieure.
- Merci à Queensea pour la voix 
- La pluie est bien cette dispensatrice de joie, avec une chanson pa'umotu de Moana, toute en rythme : "Toriri te ua"


Tous droits réservés à Monak et Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Cet article vous a fait réagir ? Partagez vos réactions ici :