L’impensable !
Sous prétexte de
lois protectionnistes un tant soit peu pernicieuses, n’attribuant pas aux
Aborigènes d’Australie le plein droit à la citoyenneté, le néo-esclavagisme
s’éternise. Producteur, scénariste de ″Servant or Slave″, Mitch
Stanley vous révèle ce
scandale du 21ème siècle.
Il
se dit indigène, il l’est, et n’a peur ni des mots ni de cette réalité ségrégationniste
qui frappe les Aborigènes d’Australie, aujourd’hui encore. Les yeux bleus se
voilant parfois de larmes durant notre entretien, il porte le combat de son
peuple, du sang aborigène qui coule dans ses veines.
Un sort plus que sordide
D’après les sites des Droits humains,
quand ils sont accessibles sur le net, apparaissent ces ″Générations volées″,
ces enfants volés, dans tous les sens du terme : enlevés, dépouillés de la
plus naturelle légitimité de vivre en famille, mais aussi d’un travail rémunéré
pendant de nombreuses années sans salaire.
S’affichent aussi actuellement les arguments fallacieux d’une assistance
sociale qui ne profite qu’au pouvoir en place.
Sur des témoignages d’aïeules bien
vivantes qui ont subi ces kidnappings, ces ″dressages″ sans instruction en
institutions coercitives, ces viols, ces corvées et ces flagellations brutales
durant leur enfance, se construit le documentaire : étayé d’expertises d’historienne,
de médecin, de légiste, qui ont accepté de prêter leur image. La démarche est
courageuse, car l’opinion publique australienne dénie cette période de son histoire,
toujours sous couvert d’″assimilation″.
Un documentaire créatif
Si
le documentaire repose sur une grande part de restitution de la mémoire,
alimentée en photos d’archives et en instantanés à huis-clos, le propos
s’étoffe par une reconstitution de ce passé enfoui. Il ne lui a pas fallu
parcourir des kilomètres pour trouver les jeunes interprètes dans les quartiers
dits ″autochtones″. La misère y est toujours présente, même sous béton.
Mais
l’élément créatif de Mitch Stanley se situe dans le traitement de l’image.
D’une part, pas de mélo dans les témoignages : « L’affliction qui en émane
est contrebalancée par ces sourires indéfinissables, ces moments de colère, de
revanche. La tristesse, c’est ce qui donne la force ! » Et la lutte
n’est pas terminée : « Le fait d’être entendues, d’être enfin crues,
les a délivrées du poids du silence et leur a fait entrevoir une petite lueur
d’espoir. »
Cinq Femmes en quête de regard |
D’autre
part, la partie fictive, l’enfance des sexagénaires, est conduite avec beaucoup
de délicatesse, à partir de leurs rêves d’enfant, ce qui les fait tenir debout.
« Je ne montre pas tout sur les scènes de violence. Je laisse le
spectateur fabriquer ce qui se passe derrière la porte. » Le tortionnaire,
c’est toujours une silhouette, de dos. « Ce qui est arrivé n’est pas
humain ! »
Noir, ce n’est pas toujours noir
Si
demain reste une illusion, dans la chair de ces femmes qui déclarent que leur
vie même leur a été volée, que fonder une famille déclenchait des états de peur
panique… Demain prend un sens pour leurs
petits-enfants ou l’avenir encore lointain de leur communauté. « Mais
elles restent encore fragiles. Le traumatisme les a fragilisées, au-delà même
de ce qu’on pourrait supposer. »
Il
leur faut réapprendre que « Noire, leur couleur de peau, n’est pas
sale ; qu’elles ne sont pas des rebuts. Que ces enfants qui travaillaient aux
champs de maïs, dans les tâches les plus sordides de la ferme ou de
l’élevage… » ont droit à mieux que la gamelle du chien. « Leurs
souffrances sont chantées par des groupes autochtones. J’y ai puisé certains
titres et d’autres dans le fond afro-américain. J’ai fait appel à Emma Donovan,
chanteuse aborigène, qui a aussi composé sa partition. »
Un scénariste-producteur aborigène |
« C’est
peut-être pour cette raison, que l’image joue entre ombre et lumière ; que
les passages joués sont en noir et blanc. De l’ombre vient la lumière. » Les
lumières de ce film sont en effet ciselées : pas seulement en fonction de
cette ségrégation Noir/Blanc, de cette opposition passé/présent où le présent
flashe en pleine lumière. Comme élément adoucisseur, la lumière est veloutée,
très belle, nuancée.
Servant or Slave ?
Cootamundra
Home
n’est certainement pas le Sweet Home que fredonneraient les petites
filles arrachées à leur famille mais un lieu cauchemardesque qui a pulvérisé
leur personnalité… Les séquelles sont terribles, irréparables, dans cette
institution où les sévices corporels et psychiques les ont détruites…
maintenant encore…
Vous l’interpréterez comme vous voulez mais le titre du film aurait pu être une question : celle que se posent les réactionnaires. En fait, il est rédhibitoire, et c’est engagé de votre part, Mitch Stanley. Ne seriez-vous pas, avec la modestie qui vous caractérise : « une voix aborigène, une petite voix pour votre peuple » ? Une image émouvante et esthétique en tous cas.
Ce
n’est pas un hasard (no coincidence signifiant pas par hasard) si
votre boîte de production s’intitule No Coincidence Media. En
Nouvelle-Galles du Sud, le second sens, n’est-ce pas : divergent, contestataire ?...
Un article de Monak
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