Parlons un peu des vahine
Tout a été dit
ou presque sur la Journée de la femme. Mais que sait-on vraiment des vahine
polynésiennes et de ce qu'elles vivent ?
De nos jours, sur le territoire de
la République française, terre dite des droits de l’homme, la journée de la femme a perdu
l’essentiel de son sens revendicatif. Il est vrai que bien des combats menés
ont été remportés : Droit de vote, droit à la contraception, droit à
l’avortement, et tant d’autres choses encore…
A Valenton, la journée de la femme 2012 |
Pourtant, si dans la quasi-totalité
des domaines hommes et femmes sont égaux devant la loi, la réalité est souvent
bien différente. Ainsi, nombre d’obstétriciens refusent de pratiquer
l’avortement et d’autres refusent de prescrire la pilule. Dans le monde du
travail, à travail égal nous sommes bien loin de constater l’égalité des
salaires. Et l’on pourrait égrener longtemps la litanie des domaines dans
lesquels cette soi-disant égalité n’est pas respectée.
Les vahine
dans la société traditionnelle
Les
sociétés polynésiennes traditionnelles reposaient sur une structure pyramidale
extrêmement stricte et hiérarchisée. Toutefois, si les rôles et les tâches de
chacun et chacune étaient parfaitement définis, les femmes y jouissaient d’un
statut et de libertés dont elles ont perdu l’essentiel.
Logo d’une célèbre boisson alcoolisée polynésienne…
Le
titre de souverain ne revenait pas à l’aîné des garçons d’une famille mais à
l’aîné des enfants du couple royal. Le fait est que nombre de reines ont
profondément marqué l’histoire polynésienne. Ne prenons, pour exemple, que la
reine Pomare IV qui régna un demi-siècle, de 1827 à 1877.
Et ce même logo d’une marque de bière détourné
Les règles qui régissaient
les rapports entre hommes et femmes n’étaient pas aussi simplistes qu’elles aient
pu paraitre aux yeux des premiers découvreurs de ces îles. Les
responsabilités y étaient partagées. Selon des codes très stricts et très
complexes, mais bel et bien partagées.
La vahine,
de 1797 à nos jours
Trois
événements majeurs ont profondément transformé la société polynésienne, et par
là même le statut et le rôle des femmes dans cette société.
Le
premier d’entre eux fut l’évangélisation des peuples
polynésiens. Les missionnaires n’eurent de cesse qu’après avoir vêtu à
l’occidentale ces femmes aux seins nus, les engonçant, malgré le climat
tropical, dans des robes longues et cachant bien la poitrine. Qu’après avoir
interdit tout rapport sexuel avant un mariage religieux officiel. Qu’après
avoir imposé le modèle du couple occidental, avec son image de l’homme «
seigneur et maître ». Ainsi furent également interdites danses et musiques
jugées trop lascives et provocantes, par exemple.
Combien de temps avant que les Tunisiennes ne portent la burqa ?
L’isolement
de ces îles et le grand intérêt des Polynésiens pour les choses de la foi leur
facilitèrent, il est vrai, grandement la tâche.
Le
deuxième événement clef fut l’installation, en 1963, du Centre
d’expérimentation du Pacifique (CEP). Autrement
dit le début des essais nucléaires en Polynésie.
L’attrait
de l’argent provoqua une migration massive des hommes vers les sites militaires
du CEP et leurs activités connexes, laissant aux femmes le soin de gérer
familles, maison et terres. Tâches dont elles s’acquittèrent fort bien.
Le
dernier de ces trois moments décisifs de l’histoire polynésienne fut l’arrêt
des activités nucléaires. Les hommes n’avaient plus de travail et avaient
désappris la vie dans leurs îles d’origine. Beaucoup d’entre eux ne voulaient
plus y vivre et choisirent de s’installer sur Tahiti, y faisant venir femmes et
enfants.
Mais
le CEP fermé, il n’y avait plus de travail pour eux.
Logo officiel 2011 de la journée de la femme
Chômage,
alcool, déculturation… Le cocktail a fait des dégâts considérables, dépossédant
les Polynésiens de leur rôle de pourvoyeur d’argent et de sécurité. Il leur a
également fait suivre un chemin particulièrement inquiétant qui se traduit
aujourd’hui par le terrible constat suivant : les deux tiers au moins des
délits jugés et condamnés par les tribunaux polynésiens sont des délits sexuels.
Attouchements, agressions, viols, souvent sur des mineurs de moins de quinze
ans… tel est l’essentiel des motifs d’incarcération à la prison de Tahiti.
Les vahine
aujourd’hui
Dans
le même temps, les femmes faisaient en sorte que la vie continue.
Durant
la période du CEP, outre s’occuper des enfants et du fare, ce sont elles qui
assurèrent l’essentiel des travaux agricoles et de la pêche lagonaire. Ce
faisant, elles sont devenues un rouage majeur de l’économie locale.
Depuis
la fermeture du CEP, ce sont elles encore qui, pour avoir appris à le faire
pendant la période de vaches grasses, font bouillir la marmite de bien des
foyers polynésiens. On constate, par exemple, que la majorité des jeunes
Polynésiens diplômés sont des femmes.
Pourtant, on ne
peut pas dire que ce rôle vital leur soit reconnu.
Ainsi,
l’image de la vahine lascive continue d’être utilisée à outrance pour vendre
tout ce qui peut avoir un lien, de près ou de loin, avec la Polynésie, à
commencer par les autorités locales qui en usent et en abusent dans toutes les
campagnes de promotion de la destination touristique.
Ainsi,
il ne se passe pas une semaine sans que, ici ou là, n’ait lieu une élection de
miss, chacune d’entre elles faisant l’objet d’une couverture médiatique
inimaginable en France métropolitaine.
Soyons égaux en tous points !...
Parallèlement,
l’Assemblée de Polynésie a attendu l’année 2003 pour légaliser l’avortement,
alors qu’il l’est en France depuis 1973.
Ce
sont toutes ces contradictions, et bien d'autres encore, que la société
polynésienne contemporaine va devoir s’attacher à résoudre si elle souhaite
retrouver une certaine harmonie dans les rapports hommes-femmes.
Et
si elle veut leur donner enfin toute la place et la reconnaissance qui leur
revient.
Est-ce
pour ce faire qu’en Polynésie la Journée de la femme s’étire sur une semaine ?
Ou
bien est-ce pour permettre à une classe politique en mal de soutien populaire
de se montrer à son avantage en allant d’une île à l’autre, d’une manifestation
à l’autre, mettre en avant tout l’intérêt qu’elle leur porte… pendant une
semaine ?
Un article de Julien Gué
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