Bâtisseur
de l’archipel des Gambier
Au-delà de toute polémique sur l’évangélisation
et la colonisation, on ne peut que rendre hommage à l'œuvre architecturale du
frère convers Gilbert Soulié dans l'archipel des Gambier.
Le livre de
Jean-Paul Delbos
Si
l’on connaît aussi bien aujourd’hui l’œuvre et la vie de cet obscur religieux
de la Congrégation des Sacrés-Cœurs (les frères de Picpus), nous le devons à Jean-Paul Delbos et à son livre
"La mission du bout du monde" (Les Editions de Tahiti).
Cet
ouvrage n’est, en réalité, rien d’autre que la transcription des carnets du
frère Soulié. Transcription qui demanda un énorme travail, l’auteur des carnets
ne maîtrisant l’écriture que de manière très approximative.
Ceci
étant dit, ces carnets sont une véritable mine d’or pour qui s’intéresse à
l’archipel des Gambier et à son fabuleux patrimoine architectural.
Frère
Soulié, le bâtisseur du bout du monde
Arrivé
à Mangareva en 1836, le frère convers Gilbert Soulié se met immédiatement à
l’ouvrage en reconstruisant, en dur cette fois, l’église Saint-Raphaël
d’Aukena. Il ne cessera de bâtir jusqu’à sa mort en 1863 !
St Raphaël d'Aukena, première église en dur des
Gambier
L’archipel
des Gambier est profondément marqué du sceau de ce génial autodidacte. La liste
des bâtiments construits par cet homme à la ténacité et à l’inventivité hors du
commun serait trop longue à établir, de la petite église Saint-Raphaël d’Aukena
à la cathédrale en passant par les tours de guet, le collège Re’e de Aukena et
tant d’autres encore.
Si
le frère convers Gilbert Soulié ne conçoit en général pas les plans de toutes
ses constructions, c’est bel et bien lui qui cherche et trouve toutes les
solutions techniques aux problèmes posés, et ils sont nombreux.
Un escalier à vis taillé dans le basalte |
C’est
lui qui recrute, forme et dirige les Mangaréviens afin qu’ils soient en mesure
d’édifier tous ces monuments que nous admirons aujourd’hui.
Oublié
de l’histoire au profit des pères Laval et Liausu, la mémoire et
l’œuvre de cet homme hors du commun ont été heureusement réhabilitées par
Jean-Paul Delbos.
Les défis
techniques du frère Soulié
Le
premier défi à relever par Gilbert Soulié est celui de l’outillage et des
matériaux.
Au
cœur du Pacifique Sud dans la première moitié du XIXe siècle, il ne faut pas
compter sur les approvisionnements extérieurs. Ne peuvent donc être utilisés
que des matériaux locaux.
Pour
le bois, il suffit d’exploiter les essences locales et de s’adapter à leurs
spécificités techniques. En revanche ici, pas de métal, pas de briques, pas de
ciment, pas de chaux… Aucun des matériaux connus par le frère Soulié n’existe
aux Gambier.
Qu’à
cela ne tienne : le frère bâtisseur va chercher des solutions… et les trouver
avant de les mettre en œuvre.
Le four permettant la cuisson du corail
Pour
le gros œuvre, à l’instar des anciens Mangaréviens, on taille dans le basalte.
On va même utiliser toutes les pierres des marae détruits sur ordre du père
Laval. Le vrai problème se pose pour le ciment, la chaux et le plâtre.
C’est
là que le frère Soulié va faire preuve de génie. Il va utiliser la soupe de
corail pour remplacer les matériaux absents.
Pour
arriver à ses fins, il construit un four dans lequel il fait cuire la soupe de
corail. Cette opération permet d’obtenir un matériau qui remplace
avantageusement la chaux. C’est un travail de titan, mais la main d’œuvre est
gratuite et corvéable à merci.
Le
problème des toitures est résolu par un compromis : il monte des charpentes en
bois telles qu’il en a toujours vues, mais en réalisant les assemblages avec
des liens végétaux, comme toutes les constructions locales traditionnelles. Puis
il réalise les couvertures en suivant la méthode mangarévienne : en utilisant
les feuilles de pandanus ou de niau (arbres très répandu dans toutes les îles
polynésiennes).
Les œuvres du frère convers Gilbert Soulié
Contrairement
à son supérieur Laval, il semble que le frère Soulié ait établi de véritables
relations avec les Mangaréviens. C’est sans doute pour cela que ses carnets,
tout en nous dévoilant tous ses secrets de construction, nous en apprennent
bien plus sur la population de l’époque que les écrits du père Laval.
La
cathédrale Saint-Michel de Rikitea
Afin
d’éviter tout retour aux pratiques anciennes, elle est édifiée sur
l'emplacement de l'ancien temple des idoles, are tapere, en utilisant les pierres de ce même marae.
Cet
imposant édifice de 48 mètres sur 18 n’a été doté de ses deux clochers que
tardivement afin de lui donner un air de ressemblance avec Notre-Dame-de-Paris.
Son remarquable
autel de bois précieux incrusté de nacres est entièrement l’œuvre du frère
Gilbert Soulié.
Dans
un état de délabrement avancé, la cathédrale Saint-Michel de Rikitea a du
être fermée au public il y a quelques années. Afin d’obtenir des aides
financières pour la restaurer, le gouvernement de la Polynésie l’a classée
monument historique.
Grâce
à l’Etat français, la restauration de la cathédrale a commencé dans les
derniers mois de 2009. Elle est aujourd’hui achevée, mais c’est là une toute
autre histoire que je vous conterai bientôt…
Le voyage
aux Gambier
L’archipel
des Gambier est une destination lointaine et onéreuse, c’est une évidence. Mais
un séjour en Polynésie française se peut-il concevoir sans s’être plongé dans
la mémoire, l’histoire et la beauté unique de "La mission du bout du
monde" ?
Je
ne le crois pas.
Un article de Julien Gué
Voir aussi cette
page :
Je ne crois pas non plus..
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