Un Tunisien « La
Plume au clair »
Son sabre langagier, il y a beau temps
que Noureddine Ouerghi l’a tiré du fourreau pour le brandir sur les scènes du
Nord-Ouest, et de la capitale tunisienne, ensuite.
Ses traits de plume, il les décoche depuis
toujours : sur papier, sur le web, au creux des foyers, sur la glèbe du Théâtre de la
Terre,
aux cafés des petits matins et des fêtes nocturnes.
Noureddine
Ouerghi : un verbe haut d’empathie
Ainsi écrit-il le 1er mars
2012 :
La plus honnête des putes!!
"
S'il n'en reste qu'un
Je
serais celui-là " !!
La
plume au clair (…)
Fils
de putes !!
Comme
ils disent
Oui,
nous le sommes
Apollon,
fier, le phallus en l’air
Adore
nos mères (…)
Vagues
déferlantes
Farouches
Berbères !!
Le couteau est tiré car la guerre est
déclarée entre les rouleaux compresseurs de la guerre sainte et les artistes
tunisiens. Sous couvert de bonne morale orthodoxe et surannée, a contrario de
la culture tunisienne, les envahisseurs de l’automne tunisien insultent femmes
et mères, approuvés par les majoritaires (bien relatifs !) de la
Constituante actuelle.
Théâtreux : les rebelles de la faim
Mais elle est plus ancienne sa lutte
pour la survie de ses frères en guenilles. De bric et de broc, à l’instar des
populations excentrées de cette région frontalière du Nord-Ouest de la Tunisie,
Noureddine et son théâtre contestent depuis qu’ils tentent d’exister.
Car, à l’Indépendance, la culture de
création a été accaparée par les citadins. Parallèlement au phénomène d’exode
rural, l’image du paysan est véhiculée par les medias, de façon caricaturale.
Pourtant au Kef, comme à Jendouba, un
foyer théâtral contestataire s’était mobilisé. La région l’a payé très cher
sous les précédentes dictatures : quasiment occultée après des coups de
semonce. Noureddine est de Jendouba, revendique son origine paysanne, et son
théâtre ne se nourrit que des fruits des applaudissements, plus que d’un budget
inconfortable.
Le théâtre :
porte de tous les possibles
De ces montagnards berbères – véritables
autochtones khroumirs -, endurants et tenaces, il ne lâche rien de leur
pugnacité. Il voulait bâtir de tourbe, en Khroumirie, une « Cité Théâtrale », un lieu où le
théâtre s’instaurerait dans les rues d’un village-décor… où l’artistique vivrait
au rythme de la Terre.
L’idée d’une sorte de théâtre
participatif où les rôles se distribueraient avec les habitants. Le projet a
avorté dans les années 70, faute de subsides. Imaginez quelques trente-six ans plus
tard, la verve enragée d’un « indigène » face à l’implantation - grassement payée -, dans la basilique historique du Kef, des tortionnaires
salafistes (oct. 2011) !
Des Sans Théâtre Fixe aux endettés de la culture
Et
depuis cette date des élections d’octobre l’artiste, que la poésie et une formation
de sociologue ont mené vers la dramaturgie, ne cesse de lancer ses déclarations
d’amour : à l’humain, à la vie, au vin, à la Femme, à la Terre. Car ce
terroir a toujours été imprégné d’Amour, pour s’être fondé sur le site de la
ville numide Sicca (Le Kef), devenue Sicca Veneria (sous l’occupation
romaine) : la ville de Vénus !
Et
il clame son indignation et sa désillusion croissante :
Ils
tenteront de la prostituer, la Révolution...
au
nom de la prostitution sacrée...
Mais
qu'est-ce que cet hymen,
qu'ils
veulent sacraliser
tout
en le déchirant ?
Elle
s'est donnée, la Révolution
Elle
s'est donnée à la Liberté
Est-ce
une putain ?
Eux,
ils le volent, ils le saccagent
Eux, Ils la spolient de sa dignité
Ce
sont sont eux qui l'ont vendue ...
Et ils veulent la traîner à leurs pieds (23
déc. 2011)
Musicalité de la scène et du verbe dans
Rhapsodie des comédiens (2008)
Pas
moins d’une quarantaine de pièces écrites, montées, et une bonne dose de
projets avortés : elles portent sur scène le combat des insoumis, les
résistances, le labeur qui paupérise. Le théâtre tunisien est majoritairement
engagé, mais l’isolement de Noureddine l’a conduit, pendant près de trente ans, à un
nomadisme souvent sans issue.
Ce
n’est qu’en 2005, qu’il se pose à Tunis, dans un espace délabré. Il
s’endette à l’aménager sous le nom de Théâtre d’Art Ben Abdallah.
La « décensure » à l’ère de la décadence
La
récente révolution tunisienne a supprimé la Commission d’Orientation qui
octroyait ou non le visa d’exploitation des productions théâtrales. Elle lui a donc
accordé l’opportunité de re-présenter, en janvier dernier, Khira, pièce censurée précédemment parce que dédiée aux émeutes du
pain de 1984.
« C’est
l’écriture ardente de Nouredine Ouerghi, un travail d’orfèvre sur les mots
qu’il martèle, scande, embrase, illumine, leur donne souffle et vie, les fait
couler comme un torrent de lave ou comme un ruisseau béni. », commente Tounès THABET dans un article de presse.
Nahla, la relève
dans : Khira (2012)
En
cette période où le dogme prévaut sur la loi, où l’interdit condamne le droit
de vivre, Noureddine se bat pour l’intégrité de la personne face à une
décadence annoncée. Et même si le retour à la norme s’annonce difficile, se risque-t-il
à lancer les « J’accuse ».
Ses
poèmes ou manifestes poétiques ne cessent de réaffirmer le mode de vie à la
tunisienne dont les obscurantistes cherchent à les dépouiller.
Sa
page
Facebook est devenue un cercle de poètes et d’opinion. Et les voix, de plus en
plus nombreuses s’y font lire et déguster. La bataille de la plume ne semble
pas totalement perdue, quoi qu’en disent les malveillants et tenants des
médias.
Une poétique bucolique
Presque
tous les titres de ses pièces portent une empreinte agreste : Graines de Grenade, Sabots des Epis, Fleurs
d’Eucalyptus. Il n’y aurait que les derniers qui soient marqués par les
remous de la société tunisienne ; ils correspondent à sa période
tunisoise : Dérision, Déflagrations.
Au
panthéon du poète, avec le petit peuple de la paysannerie, la mère patrie - la
terrienne Gaïa -, figurent ses égéries, Nejia – son actrice fétiche - et la
relève avec Nahla. Cycle chatoyant coché d’un marque-page ; mais pour
lors, sa loquacité se teinte de ténèbres mais aussi de proclamations
intempestives sur la libre féminité.
Les dédales du Théâtre d’Art Ben Abdallah, Tunis
Ainsi
les images de ses récents poèmes sont beaucoup plus sombres et évoquent
l’agonie et la mort de la Terre : ténébreuse,
aride, ridée, morbide, muette. Il brosse des paysages dantesques et
livides, des panoramas démantelés :
la neige frissonne, moisissure du soleil, Vénus frigide ; des
disparitions irréversibles sous l’orage,
la lave, les cataclysmes, etc.
Sa
parole ne fait plus de concessions : à l’injure, à la violence déclarée
des porteurs d’anathèmes, répond-il et témoigne-t-il de manière plus acerbe. Et
réplique-t-il à la trivialité et à la cruauté, par la crudité et
l’indécence :
TeXticules
Goutte à goutte
Les mots tombent
Paresseusement dans l'outre
Des palabres
Et remplissent les vessies
Des barbes fielleuses !!
Il pleut
Une pluie porcine
Le tonnerre mugit
Sous des hijabs pudibonds !!
L'arc tendu
Bande mou!!
La flèche brisée
Suinte de dépit !!
Goutte à goutte
Les mots tombent
Paresseusement dans l'outre
Des palabres
Et remplissent les vessies
Des barbes fielleuses !!
Il pleut
Une pluie porcine
Le tonnerre mugit
Sous des hijabs pudibonds !!
L'arc tendu
Bande mou!!
La flèche brisée
Suinte de dépit !!
Nejia Ouerghi « Moi la femme Tunisienne » de Moncef Dhouib »
Cet
article ne visant pas la rétrospective, mais la geste du poète-dramaturge en
pleine actualité, nous nous en tiendrons à l’inspiration « enragée »
- au sens révolutionnaire et de l’étymologie grecque du génie - de ses poèmes
caustiques.
Un article de MonaK
superbe article solide et solidaire de notre grand ami noureddine, bravo Monak et Julien.ridha boukhobza
RépondreSupprimerMerci Ridha.
SupprimerCet article a juste l'honêteté d'expliquer la situation politique actuelle que certains s'acharnent à "voiler" (dans tous les sens du terme).
Aujourd'hui, à Tunis, sur environ un millier de personnes croisées : une seule portait la burqâ et n'est pas tunisienne.
Il permet de mettre en exergue que Noureddine, artiste issu du milieu agricole, représente et est en adéquation avec la voix de ce petit peuple. D'autre part, qu'il existe en Tunisie un Théâtre populaire qui défend ce droit à la culture des plus pauvres.
Enfin, il dénonce la manipulation à laquelle le pouvoir de l'argent (venu d'ailleurs) veut les soumettre. Il ne s'agit pas de convictions confessionnelles, l'enjeu est bien la déstabilisation du Maghreb et s'attaque au mode de vie spécifique d'un pays qui défend le statut d'Indépendance qu'il a obtenu après une trentaine d'années de luttes. Monak
well well well
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