La tunisianité ?
Qu’est-ce ?
L’acteur, scénariste-dramaturge Lotfi
Dziri, souvent vu sur grands et petits écrans de Tunisie et d’ailleurs, est-il
représentatif et peut-il s’entretenir du Tunisien contemporain ?
C’est la question que ne se pose pas le
citoyen lambda qui fait souvent l’amalgame entre la personne humaine et les
rôles qu’assure l’acteur. Mais en Tunisie, à part un petit groupe qui joue les
starlettes, la plupart des gens du métier (dont les plus talentueux) ne sont pas atteints par le virus de la
starisation. Le fait touche davantage les chanteurs au label oriental et
appartenant au circuit lucratif.
Lotfi Dziri tourne "Tounsy Alèch w Kifèch ?" |
Sauf que la scène s’est déplacée sur le
terrain politique et que les nouveaux politiciens se prennent pour les vedettes
du système, dans une confusion qu’ils entretiennent.
Le premier
film
de Lotfi Dziri semble
porter le débat de la « tunisianité » au cœur de l’ensemble du pays. « Conçu et réalisé comme un road
movie, durant
l’été 2011, Tunisien
Comment et Pourquoi ? » est-il l’expression d’un
analyste ou d’un activiste ?
Est-il œuvre d’un
individu isolé ? L’artiste est pourtant censé exprimer la voix des autres.
Ou celle d’une collectivité ? Le contenu serait la réaction du petit
peuple, des provinces paupérisées,
l’« empreinte
éthique et esthétique » est celle du cinéaste.
Tunisianité ou identité nationale ?
Actuellement, il n’est pas le seul
à s’interroger sur le devenir de la Tunisie. Et son statut de saltimbanque
n’enlève rien au sérieux de son propos :
« Il s'agit de l'avenir de tout
un peuple, un pays qui est pris en otage par toutes les forces réactionnaires,
y compris celles qui se targuent d'avoir été dans l'opposition. Je suis sûr que
tu auras du mal à reconnaître ton pays », s’entretenait-il ainsi (le 26
septembre 2011) à la veille de l’élection de la Constituante.
En effet, à la différence de
certains de ses détracteurs dont les représentants du fondamentalisme et de
l’ancestralité, il n’en était pas à son premier tour de Tunisie. Et le tournage
de son film lui a permis de pouvoir
poser les termes de la comparaison. C’est de l’intérieur, étudiant alors, qu’il en avait appris les rouages. Mais c’est aussi en sillonnant le pays en
tant que journaliste, qu’il se
trouve à même de rendre compte des différents milieux.
Doté d’un sérieux bagage dans les
domaines liés de l’athlétisme, de la psychologie et du théâtre. Formateur (directeur d’acteur) à
l’Ecole des Arts du Cinéma, quand il n’est pas dans l’exercice de ses fonctions
d’acteur, il fait partie de cette
génération qui a contribué à doter les arts du spectacle de structures
cohérentes de formation.
« Ceci est un film ! » (Chiraz Bou) |
Bilingue… et un peu davantage,
pour s’être formé en occident et avoir tourné en Afrique, il est armé d’une
culture universelle consistante, à rebours de ceux qui, dépourvus de la plus
élémentaire des instructions ou éducations, s’en réfèrent à des parchemins
élimés.
Et même si son documentaire, comme
nombre d’œuvres réalisées dans l’urgence de ce moment historique
révolutionnaire, pèche par la précipitation du bouclage lié à l’échéance des
élections, il n’a pas manqué l’essentiel de la cible : la parole du pays
face au « bourrage de crâne » entretenu pas le retour des
récupérateurs de fausse morale.
Un témoignage du 13 juillet 2011,
dans une station-service, corrobore ce qui est dit plus haut :
« Reconverti en
prédicateur-racoleur improvisé… sa mission consiste à collecter des dons
mais aussi à exhorter les gens à l'amour de Dieu…: la discipline Nahdaouie,
dont la tactique est envieusement des mieux conçues, constitue l'idée-force de
ce parti islamiste… ses manœuvres insinuantes, son aptitude logistique incroyable
financées par des magnats anonymes, mercantis de religion, offrant plus de
services que ce parti n'en demande.»(X)
Tunisien Comment ?
Qui est donc le plus représentatif de la tunisianité en ce moment ?
Les membres des confréries qui font du prosélytisme pour des tenues
vestimentaires, des habitudes de ségrégation sexiste (à l’école), des
exclusions ou des lois venues d’ailleurs ?
Lotfi mène, dès les années 90, une carrière
cinématographique où il choisit réellement les sujets qu'il traite. Et
souvent ce seront des films qui poseront un problème de société ou certains des
tabous auxquels la Tunisie de la dictature était confrontée :
l’homosexualité dans Le Fil, film de Mehdi Ben Attia (2010) ; la
montée de l’intégrisme dans Making Off (2009) du réalisateur
Nouri Bouzid.
Lotfi Dziri et Lotfi Abdelli dans "Making Off" |
Il ne se met pas à son avantage mais au service de l’intention de
l’œuvre. Dans les rôles d’Abdallah (Making Off), de Rahman dans Deadline
de Ludi Boeken et Michael Alan Lerner (Beyrouth 2004), du père, dans Keswa,
Le Fil Perdu (1997) de Kalthoum
Bornaz, ce sont de véritables questionnements politico-éthiques qui sont posés.
Avec la plupart des grands du cinéma tunisien qui l’ont pressenti, comme
Ibrahim Letaïef pour Visa (2005), ou par leur successeur comme Raja
Amari, il marque l’image, il prend le risque.
La filmographie tunisienne dont il fait partie n’a pas manqué de
lucidité et même de vision prémonitoire. Et Le Sacre de l’Homme réalisé
par J. Malaterre pour la TV (2007) fonctionne à contre courant de ce retour à
la violence préhistorique que connaît l’agora du Bardo (Palais de l’Assemblée
Constituante).
Le rôle de Uhru semble revenir en force,
dans la réalité où des enseignantes universitaires sont molestées par une bande
de fanatiques.
Le dernier film de J-J. Annaud, L’Or
Noir (2010-2011) se tournait encore dans le Sud en pleine révolution, comme
si la fresque du passé s’inscrivait sur un fond autrement culturel, à en croire
la Vidéo Débat Black Gold.
Tunisien absolument !
S’il faut résumer la position de Lotfi Dziri, il suffit de prendre la
moitié du titre de son film : « pourquoi signifie : pour
quelle identité et pour quel projet ? De quel côté sont les forces vives
du pays ? ».
Car si le film est sorti avant le 23
octobre, il n’a pu parvenir à l’IMA (Institut du Monde Arabe) à Paris, avant la
date fatidique. Tout acte culturel avait été ralenti par le gouvernement
provisoire pour de faux prétextes revendicatifs des foules. De même aucune
politique artistique n’est avancée et Lotfi en dénonce la propagande
négativiste.
Affiche de "ViSa" de Ibrahim Letaïef |
Au 3 novembre, alors que son film
établissait un « état des lieux super-fidèle » il invalide « le super bluff d’une
assemblée qui ne représente que 14% des Tunisiens ».
En fait, Lotfi Dziri revendique une
Tunisianité qui « ne peut se confondre avec un Tunistan, ni admettre
d’ayatollah ». Il semble conforté
dans l’avis que, dans toute son histoire, le Tunisien ne se laisse pas
« faire et trouve les moyens de se mobiliser ». Entre deux pages de
roman en phase d’écriture, en toute conscience des enjeux déterminants pour la
suite, le 29 novembre, il publie une invective destinée aux « frères
putatifs du dictateur que le peuple a chassé. »
Lotfi Dziri sur le tournage de "Tunisien, Pourquoi, Comment ?" |
Et
pour achever sur une note créatrice que seule peut imaginer la finesse d’un
artiste :
« Je
suis loin d'être seul et nulle agonie ne nous fera mourir »...
Un article de MonaK
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