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Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

vendredi 15 février 2019

16è FIFO, Justice !


De zoos et d’autres…

       S'il fallait définir la session 2019 du FIFO à Tahiti, admettons et à juste titre, qu’elle est devenue l’espace des revendications océaniennes : le Grand Prix en est la preuve. Le documentaire, avec le sérieux de ses informations, le choc de ses images a rempli sa mission de tribune médiatique, face au monde qui l’ignore.
 
  
« Justice ! » est l’appel que lance l’Océanie, sur tous les fronts. « Justice climatique », dans l’immédiat : elle dépasse les cris d’alarme, lancés précédemment et restés sans réponse. Le déluge est en cours, il se nomme montée des eaux. Les  « réfugiés climatiques » ne sont plus une prévision de savants fous, mais la réalité que porte à l’écran Matthieu Rytz dans Anote’s Ark, l’Arche d’Anote. En effet, Anote (Tong), ex-président des Kiribati, porte à bout de bras sa république, œuvrant  pour la solution ultime du transfert des populations, les pieds dans l’eau de l’océan.

Un grand-prix emblématique
“Justice historique” invoque l'Océanie : quêtant la réhabilitation du soi-disant “sauvage”, dans sa pleine et entière dignité d’être humain, quand le mythe du “monstre cannibale” justifiait la supériorité ethnique et la conquête coloniale des grandes puissances occidentales, à coups d’exhibitions foraines. Ce n’est pas tâche facile et Pascal Blanchard, co-réalisateur avec Bruno Victor-Pujebet de Sauvages, au cœur des zoos humains, ne le sait que trop ! Contesté pour avoir décrypté le langage d’une trop longue époque (1810-1940) et en avoir déballé l’idéologie rampante, qui contamine encore les sociétés d’aujourd’hui.

« Justice sociale, économique », réclame l'Océanie : pour tant de minuscules îles, tributaires du système coercitif de la mondialisation. « Justice culturelle », proclame l'Océanie :  pour avoir été trahie par les critères, les exactions, les manipulations de certains ethno-voyageurs qui refusent de renverser leurs perspectives, mais s’accaparent les biens sacrés et les dépouilles  de leurs hôtes. « Justice identitaire », supplie l'Océanie: pour le 3ème genre et les minorités.

Au pire du réchauffement climatique

L’Arche d’Anote, Anote’s Ark, n’est pas celle de Noé. Elle n’est pas accompagnée des bénédictions des tout-puissants de la planète. Les îles coralliennes des Kiribati,  loin de pouvoir exploiter une quelconque activité industrielle, paient les pots cassés des monopoles pollueurs de la planète.

            La voix d’Anote pour la survie de son peuple et de sa culture, n’est pas vraiment entendue par les instances  internationales. Son combat ne dérange pas outre mesure les aventuriers des industries fossiles. C’est aujourd’hui, et demain est déjà trop  tard.

“Justice climatique !”
Désespérant que de voir deux atolls inoccupés, déjà engloutis… et la lutte pour la consolidation des rivages habités par des sacs de sable, tient du mythe de Sisyphe.  Restent les pays environnants comme asiles, la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (2015) se montrant inapte à résoudre la crise ! Quant aux tribulations du réalisateur, ceci est une autre histoire.

Au pire du racisme...

Étonnant que les pays dits "civilisés”, aient reproduit, malgré les écrits sur la tolérance de Montesquieu et de Voltaire (in Candide, le Nègre de Surinam, 1579), ces marchés de la « monstration » si populaires au Moyen-âge ! Ces pervers plaisirs de cour qui enchantaient nos monarchies  enfin déchues par la révolution. Bien des penseurs ne l’avaient pas admis, même dans le contexte de "la peur de l’Autre", qu’il soit étranger ou difforme. Décrypter le langage de l’opinion publique, Pascal Blanchard n’a pas eu tort de le faire, même s’il a été controversé sur ce point. 
Rappelons tout de même qu’à l’origine de notre langue, le "monstre", c’était celui que l’on "monstrait (devenu montrait ensuite)", comme une bête de foire. Pour rassurer le quidam de ses grandes peurs : celles de la naissance, de la mutilation, de la femme-sirène, de la bisexualité refoulée… de l’anomalie (nain, bossu, bouffon de cour, géant, infirme…). Le discours religieux l’avait entériné depuis longtemps, avec les ethnies bizarroïdes (noires, voire albinos !), estampillées sataniques ou  descendants maudits de Caïn, de Cham ou des filles d’Eve…

A l’ère de la Révolution industrielle et scientifique, pouvait-on accepter de telles superstitions, sauf pour défendre une politique d’expansion coloniale ? L’infériorité ethnique, joua à plein son rôle dogmatique. Ahurissant tout de même que ce soit la Reine Victoria qui, la première (1885), ait interdit « les exhibitions de phénomènes humains, pour immoralité » ! Et si le documentaire ne relate pas la curiosité que suscita le Tahitien Omaï à la cour d’Angleterre, c’est qu’un siècle plus tôt, la donne se serait posée autrement. Entre autres figures de ces déportations lucratives : le Kanak Marius Kaloïe et… la cage aux singes du Bronx pour pas mal de victimes.

“Justice historique !”
Ils l’ont fait ! Ils ont osé, de 1810 à 1940 ! Ils ont étalé leurs fantasmes exotiques en orchestrant la représentation de nos semblables, arrachés de leurs terres natives, dénudés, gesticulant, forcés de se nourrir de viande crue, mimant des scènes de cannibalisme dans  des ménageries glaciales ! La révolution des mentalités n’a pas vraiment eu lieu, celle du "triple décentrement ", proposée par le structuralisme anthropologique de Claude Lévi-Strauss qui déclarait en 1955 : « car les voyages nous montrent finalement… notre ordure lancée au visage de l'humanité ».

Documentariste, un métier sans repos...

Pour les réalisateurs de documentaires, la passion d’informer prime sur des conditions plutôt précaires. Soit vous avez votre propre tremplin de diffusion, soit vous dépendez de producteurs et de diffuseurs qui vous imposent leur format, leur correctifs, leur budget, soit vous êtes en butte aux autorités locales ou judiciaires. Vous risquez l’intermittence, évidemment. Sachant que les heures de préparation, d’écriture ne sont en rien comptabilisées… « à vot’ bon cœur, M’sieurs’Dames ! des Médiathèques et des Festivals documentaires ». Donc, très peu de liberté créatrice et en dehors des plates-formes télévisuelles, peu de visibilité.

Où passe donc le documentaire d’auteur ?  Libre d’écriture, celui qui ne rentre pas forcément dans le moule préfabriqué des systèmes de communication audiovisuelle attendus. Le documentaire paraît souvent conforme à un genre prédéterminé. Ce qui devient lassant, tant leur structure est mondialement standardisée.

La porte du virtuel, une réalité ?
L’Océanie, monde multiple, ne possède-t-elle  pas en elle, sa propre façon de se raconter ? Ne génère-t-elle pas  des modes singuliers, fondés sur ses propres critères culturels et la rencontre avec un réalisateur dont les points de vue se conjuguent avec la réalité, avec les modes d’expression spécifiques des êtres qu’il contacte ? Des symbioses à l’infini, en quelque sorte. Des conjonctions de sensibilité… L’avenir pourra-t-il le dire ?


Un article de  Monak

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