L’apothéose
S'il fallait choisir une matinée bien bouleversante, ce serait par hasard celle qui réunit, dans la programmation du FIFO, les films de la résilience : il faut bien en convenir, l'Océanie, malheureusement frappée de traumatismes majeurs, récents ou en devenir... opte pour le vivant. La sublimation artistique, le panache des survivants, l'élégance des vaincus. Figures marquantes ou anonymes où puiser "la force des lendemains .
Du portrait aux héritiers, l’impact émotionnel est
foudroyant. Demandez à ma voisine de siège, qui me livrait ses impressions,
entre chaque visionnage, les yeux pleins de larmes. Trois documentaires gravés
dans la sueur, la peur et le sang. L’identité culturelle loin des démarches
mercantiles, l’identité éthique avec le saccage environnemental dans ses
dimensions géographiques et sanitaires, l’identité politique : « être
soi, chez soi » (Jean-Marie Tjibaou).
Il faut dire qu’avec Gurrumul (Australie), compositeur
aborigène, le temps se mesure à l’aune de l’expérience du passé et de
l’apprentissage du présent ; The Dome (Australie), situé à Runit (Îles Marshall), sa calotte de béton
effritée, n’est que le témoin d’une arnaque au nucléaire ; Au nom du
père, du fils et des esprits
(Nouvelle-Calédonie), l’histoire récente de la légitimité Kanake face à la
« violence légale ».
Mais que personne ne s’inquiète,
le FIFO se poursuit après le palmarès : ce samedi jusqu’à 22 heures,
ateliers compris, et ce dimanche, avec les coups de cœur et les primés du 16ème
FIFO.
Gurrumul, à fleur d'échos
Signe d’authenticité, le musicien, prématurément
disparu en 2017, lot hélas trop fréquent des autochtones australiens, détaché
de tout accommodement carriériste, ira puiser l’inspiration dans son village
natal de Galiwin’ku, au large de la Terre d’Arnhem. Ce n’est pas un
demi-million d’albums vendus qui l’aurait fait changer sur ce point. Mais sa
rencontre avec le contrebassiste Michael Hohnen, son alter-ego
télépathique de Skinnyfish Music, qui l’a poussé aux limites des correspondances interculturelles.
« Paysages sonores », âme d’un peuple,
d’une vie s’intègrent dans des compositions saisissantes et véritablement
originales, tirant des instruments classiques des sonorités évocatrices, qui
puissent toucher autant un public traditionnel qu’universel.
Un petit détour musical
Le réalisateur Paul Williams a su en concrétiser
des images fusionnelles, tout en s’attachant à la personnalité exceptionnelle
du musicien aveugle de naissance, aux talents et à la voix fabuleuse. Le
documentaire livre aussi les problématiques liées à l’infirmité, quelle que
soit la communauté d’origine et leur
résolution inaccoutumée.
The Dome, à fleur de peau
L’aberration et la manipulation des population par
l’impérialisme des grandes puissances n’est pas un slogan révolutionnaire.
Après leur indépendance (1990), les Îles Marshall en paient encore le tribut au
prix fort. Les co-réalisateurs, Ben Hawke et Mark Willacy exposent sans
concession les conséquences des expérimentations nucléaires de la moitié du 20ème
siècle.
Non seulement les populations insulaires irradiées
par « la neige nucléaire » d’un essai raté, mais encore la
contamination des militaires américains, largués sans protection, pour nettoyer
le site et en enterrer les déchets sous leur fatal dôme.
Sauf que, la montée des eaux commence à submerger
les constructions érodées, que les nettoyeurs ne sont pas pris en charge par
leur gouvernement (secret-défense) et que les habitants ne reverront jamais
leurs îles d’origine. Le documentaire-catastrophe d’une disparition en cours.
Tjibaou, à fleur de coeur
Etrange, que cette quête du père dans Au nom du
père, du fils et des esprits…
Le fils donc, Emmanuel Tjibaou, que nous avons entraperçu au FIFO, solitaire,
nus pieds sur le paepae, décalqué, ému… nous fait découvrir de l’intérieur, la
figure emblématique du leader indépendantiste kanak Jean-Marie Tjibaou dont
l’œuvre fondamentale est encore palpable dans la Nouvelle-Calédonie
d’aujourd’hui.
Des images d’une violence insupportable :
celles de l’inégalité, de la répression, de « la légitime défense
anticipée », des massacres et de l’assassinat du leader (4 mai 1989).
Celles de la non-violence, déjà vouée à l’échec sans « le soutien »
des médias, du bouleversement d’un certain Michel Rocard, de la
Nouvelle-Calédonie rêvée…
Personnage-clé du documentaire… Emmanuel recompose le puzzle d’une enfance
traumatisée par la mort du père, éprouvée par les menaces effectives sur la
maison familiale, et qui tente de combler par cet hommage l’amnésie imposée par
la douleur.
Un article
de Monak
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