Prisons, tabous, encore
Ainsi
que le pressentait Carl Aderhold, président du jury 2019, à la séance
inaugurale du FIFO, le rendu des documentaires, sur des thèmes similaires est
vraiment diversifié. Le chapitre des réfugiés clandestins qui embrase à flots
l’Occident, ne présente pas plus d’apaisement en Australie.
La courte fiction Run Rabbit signée Robyn Paterson
(Nouvelle-Zélande), montre le décalage entre la norme communément admise et les
failles insoupçonnées, les séquelles inévitables affectant tout réfugié de
guerre : analyse psychologique de l’exil par le biais d’une parabole. Rien
à voir avec Island
of the Hungry Ghosts où la
facture du documentaire de Gabrielle Brady pointe le spectre du silence qui
entoure le camp de rétention de l’Île Christmas à environ 1 500 kms des côtes
de l’État d’Australie-occidentale.
Horreur assurée ! Les rescapés de la mer y sont incarcérés sans aucun
ménagement et sans issue de secours. Troubles mentaux, hébétude, automutilations,
suicides succèdent aux émeutes.
Carl Aderhold, au Petit Théâtre |
Sur 136 km2 de
superficie, dont environ les deux-tiers, occupés par un parc national, le site
est protégé pour les millions de crabes rouges en transhumance, les accès
balisés par les gardes-forestiers. Le camp est cadenassé. Le cadre est posé
pour Island of the Hungry Ghosts.
Alors, que les
ONG en dénonçaient les conditions inhumaines (précarité, insalubrité,
séparation des familles, mauvais traitements, et gel des démarches administratives),
le Centre transfert les migrants sur le
sol australien, en octobre 2018, après 17 ans d’une politique drastique en
matière d’immigration. « L’enfer » murmure-t-on…
Entre réel et au-delà
La réalisatrice
australienne Gabrielle Brady joue sur les contradictions et les similitudes
entre nature/culture, extérieur vaste/intérieur clos, mouvement/prostration
pour donner un sens métaphorique à une réalité sordide, la baigner d’atmosphère
phobique et morbide… Qui sont ces fantômes affamés (Hungry Ghosts) : les
crabes essaimant mécaniquement comme des robots, les gardiens implacables, les
demandeurs d’asile égarés avant de disparaître ? La première clé est
livrée avec le rituel asiatique du même nom, pratiqué par les locaux pour se
concilier les esprits errants de leurs ancêtres privés de sépulture.
La lourdeur des
silences intervient alors pour matérialiser le système aveugle auquel sont
soumis indéfiniment les immigrés illicites. La détérioration mentale, cette
lourde transformation des détenus trouve son parallèle avec la mutation
saisonnière des crustacés. Chacune des étapes conduisant vers l’irrémédiable
disparition. Un univers pris dans une sorte de huis clos dont personne ne
réchappe.
Protéger les crabes ou les réfugiés ? |
Les séances de
thérapie, pratiquées par Poh Lin, n’entament en rien la régression des patients
qu’elle tente de suivre, quand ils ne s’évaporent pas inexplicablement. Le
Centre n’étant accessible à aucun visiteur, seule subsiste la logique inavouée
d’un système pervers de lente élimination. Le personnel est tenu au secret sous
peine de représailles. Haute sécurité ? Sujet tabou ?
Entre mythe et pouvoir
Marks of Mana, un film à l’esthétique très
poétique : pour l’image, le rythme, les voix. Que vous aimiez ou non le
tatouage, la réalisatrice samoane Lisa Taouma procède par magie pour vous faire
décoller dans la beauté. Un petit coup de baguette et la surface de l’eau se
pare de signes, de pictogrammes : fins, purs, simples traits d’encre que
vous retrouverez incrustés sur la peau.
Tatouages de femmes, par des femmes, pour elles
seules. Ce n’est pas seulement la légende racontée, puis chantée par les femmes
qui vous charme… Si le texte est incantatoire, les images ont cette même
délicatesse du conte : un malentendu entre deux déesses ou comment
expliquer l’hégémonie du masculin en matière de tatouage, un peu partout dans
le Pacifique ? Tabou ? Comment admettre qu’aux Fidji, à Samoa, en
Papouasie, la tradition du tatouage féminin, le rituel des tatoueuses
perdure ? …Avait-il vraiment disparu ?
Desseins de Femmes |
Rite de passage, marque identitaire lié au cycle du
sang... symbolisme et mana, de quoi
supporter la douleur d’une certaine écorce de citronnier, paraît-il. En
tout cas, un documentaire où le temps est suspendu…
Un public averti
Il est certaines
matinées hard au FIFO où l’exil devient un casse-tête douloureux, nommé
disparition de l’espèce. Il en est d’autres plus soft… De quoi se ressourcer
dans le bonheur de vivre, si caractéristique à l’Océanie… quand les problèmes
de territoire, d’égalité, de droits humains, d’exclusion et de menaces
environnementales ne viennent pas troubler sa quiétude.
En cette matinée où les thèmes portaient sur
l’identité, la liberté du genre, la réhabilitation du tatouage marquisien, Patutiki, après son interdiction au début
du 19ème siècle, l’heure est à la survie culturelle. Les spectateurs
étaient venus en nombre pour voter : aficionados, spécialistes et tatoués…
Quand le tatouage n’est plus tabou |
Et le prix du public échut à Patutiki,
l’art du tatouage marquisien,
de Heretu Tetahiotupa et Christophe Cordier.
Un article
de Monak
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