Des lycéens,des réalisateurs,des médias
Le 16ème FIFO continue d'agrandir sa famille, de part et d'autre de l'écran. Tandis que les bus scolaires déchargent leur contingent, le paepae Henri A Hiro, digne symbole de la culture mā'ohi, joue l'hôte, conjointement avec les équipes du Festival et de Te Fare Tauhiti Nui. Accueil du jury au grand complet, discours de bienvenue et présentation officielle devant la presse écrite et audiovisuelle.
Les dés sont jetés. Walès Kotra (Nouvelle-Calédonie),
grand-père fondateur nous glisse une jolie formule dont il a le
secret : « …des mots et des images pour dire qui nous
sommes ». Il citera, dans une autre intervention « le continent
invisible » de J.M.G. Le Clézio*. Et nous espérons que ce Nobel de Littérature viendra un jour
prochain traîner ses bottes au FIFO.
La pause lycéenne |
En cette matinée du 1er jour officiel, les
présentations tous continents alternent…
Quelques chiffres aussi : avec le score l’an dernier de 19 000
spectateurs abordés dans les îles polynésiennes, sans compter le Hors-les-Murs… Curieuse impression, la
presse locale se garde d’intervenir.
Les séances exclusivement
scolaires sont lancées : 7500 jeunes spectateurs attendus. Déjà, pour
certains, « les glaciaires défilent », la journée s’annonce
"chaude", dans tous les sens du terme…
Des
lycéens, pourquoi ?
Une bonne partie des lycées squatte les salles
obscures du premier visionnage au dernier. L’atmosphère s’inscrit sous le signe
de l’humour avec la petite phrase du présentateur FIFO : « Je vous
remercie de ne pas m’avoir écouté ! » Parmi eux, 80 élèves du Lycée agricole
d’Opunohu (Moorea) : « Les
1ères horticulture, 1ères vente, 1ère aménagement, 1ère STAV (bac
technologique) ainsi que les élèves de 1ère année de BTS DARC (développement de
l'agriculture des régions chaudes) », me confie l’une de leurs
enseignantes, Christelle Desmet.
Un certain animateur, cool... |
Spécialiste
en éducation socioculturelle, ce n’est pas une journée de repos, jusqu’au
bateau de retour où elle « distribue le questionnaire » du ressenti
qui prépare la suite de la sortie. Elle sera exploitée dans le cadre de
« l’éducation aux médias », sera analysée « en tant
qu’expérience concrète pour comprendre les étapes de la réalisation d’un
projet ». Le Projet d’Animation et de Développement Culturel implique les
acteurs culturels locaux et privilégie
l’éducation à la communication, « interpersonnelle et médiatisée ».
Cristelle Desmet au cœur d’Opunohu |
Au programme « également, le FIFO, les enjeux
économiques, culturels et sociaux d’un tel festival en Polynésie ». Du
pain sur la planche ! Mission éducative initiale accomplie, au Grand
Théâtre où ils étaient répartis,
avec leurs accompagnateurs (Cf. Marie Le Lausque), les élèves ont montré leurs
capacités d’intervention vis-à-vis des réalisateurs présents : questions
fines sur le contenu des films,
remarques perspicaces, problèmes de société, esprit d’à-propos… A noter
la conscience des impératifs de l’organisation jusqu’aux détails techniques,
relevant : « Trop de basses dans la sono de la salle ».
Des
lycéens, comment ?
Un public de scolaires au top de la bienséance et
du savoir-vivre. Réactif, prêt à la détente et au cocasse des situations. Il
est vrai que Papouasie, expédition au cœur d’un monde perdu, n’en manque pas et alterne
sérieux et gags ordinaires. Un public curieux, attentif à la moindre virgule,
qui ne s’en laisse pas compter, exprime son ressenti et expose ses attentes.
Marie Le Lausque... un certain FIFO |
Avec le réalisateur d’Opanipani,
prisonnier à Tahiti, Jacques Navarro-Rovira (JNR),
le dialogue a été constructif et instructif. On se serait cru à une véritable
conférence de presse, avec questions qui dérangent et opinion inclue. D’abord
le bien-fondé du sujet : auquel JNR répond par « un sentiment d’utilité…
l’enjeu d’une réhabilitation humaine des exclus… un autre regard sur la
condition de détenu… » ; ensuite, sur les conditions du tournage, et
les questions indiscrètes : « condamnés pour quelle
faute ? », « secret professionnel » ! la peur vis-à
vis des "peines lourdes" ? « l’objectif
protège ! »
Le réalisateur aux prises avec l’inconnu |
Là, les questions venaient d’autres lycées,
m’a-t-on dit : « Pourquoi n’avoir pas filmé les femmes ?» -
«Elles ne le voulaient pas.» Et surtout, la question-piège du lycée Gauguin, à
propos du commentaire-off final : «Pourquoi
sortie "fatidique", dans le sens étymologique de fatale,
irrémissible ? », « dans le sens d’important, de
déterminant », conclut JNR.
Parlons détention...
Le documentaire de Jacques Navarro-Rovira s’appuie
sur la mission du service pénitentiaire dont les prises de parole en soulignent
bien l’objectif, la réinsertion. L’accent est mis sur le caractère traumatisant
de la privation de liberté et l’abus de pouvoir des fortes têtes… vu la
promiscuité du centre de Nuutania (la pire des prisons de la République). Mais
aussi, avec le transfert vers le nouveau pénitencier de Taputu, la politique de
réhabilitation et de dignité.
Des conditions maintenant caduques des captifs pour
longue peine au présent de la plus moderne des centrales, la page est tournée
sur la "cage pour animaux", même si la réclusion s’avère être un
passage redoutable et éprouvant.
Marine, du Lycée Rapooto (Tahiti) |
Même si Jacques Navarro-Rovira affirme
« garantir la neutralité par le filtre de l’objectif », ce qu’il fait
très bien, le spectateur, lui, ne peut réprimer ses émotions. Cadres étroits,
gros plans et plans extrêmes, plongées et contre-plongées nous immergent dans
la personnalité du détenu, son vécu, sa souffrance. Marine, du Lycée Raapoto en
est encore toute retournée. Merci JNR de nous apporter un autre regard. Merci,
j’ai bien pleuré.
Un article de Monak
*« Le Prix
Nobel de littérature 2008 a été attribué à l'écrivain français Jean-Marie
Gustave Le Clézio pour son œuvre, inspirée par les thèmes du voyage, de l'exil
et de la nostalgie des mondes premiers… L’Académie a expliqué avoir voulu récompenser
un « écrivain de la rupture, de l’aventure poétique et de l’extase
sensuelle, l’explorateur d’une humanité au-delà et en-dessous de la civilisation
régnante »
*Une
partie de l’œuvre de Le Clézio, étant le sujet de ma thèse. "Raga,
approche du continent invisible" (2006), témoignant de l’engagement de
l’écrivain avec ce genre de phrase lapidaire : car les îles du sud «furent le
rendez-vous des prédateurs et le fourre-tout du rêve»... je ne saurais que rêver
sa présence au FIFO.
Tous droits réservés à Monak & Julien Gué.
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