Avatars d’un habitat
Inutile de se fourrer
la tête dans le sable, le paysage polynésien se défigure jour après jour. à qui en imputer le tort ? Aux
libres promoteurs, à l’urbanisation anarchique qui a déferlé à la suite du boum
économique du CEP ? à la
surenchère juteuse du bâti et à son contrecoup, la paupérisation
insidieusement croissante ?
Toujours
est-il que la prolifération de l’habitat prend des allures des plus
incohérentes, inconséquentes, voire des plus irrationnelles. La protection du
site originel ou du patrimoine architectural urbain, leur équilibre ne
participent pas des priorités du pays, ni de celles de la plupart de ses
habitants. En cette période où la relance du tourisme pourrait être impactée
par la création d’îles flottantes, l’image du paysage relooké se joue à la
publicité.
Fières barres de proue |
Le renouveau du mobilier urbain ou la
densification de l’habitat s’emballeraient-ils à tort de concepts et de
matériaux qui, pour avoir fait leurs preuves ailleurs ne semblent pas vraiment
correspondre à la configuration miniature des reliefs insulaires
tropicaux ? Sur l’ensemble du territoire polynésien dont l’étendue (4 167
km2), totalisant 3521 km2 de terres émergées, correspond
au département de la Corse-du-Sud (4014 km2), des ouvrages, de plus
en plus imposants, se plaquent comme des blockhaus, sans vraiment s’intégrer à
la délicatesse du panorama !
Sur la plus grande île, Tahiti, qui ne
présente qu’une superficie de 1042 km2, c’est-à-dire l’équivalent
d’un des plus petits départements d’Île-de-France (le Val-d’Oise, dont la
population est cinq fois supérieure), la fadeur et la difformité ravagent
gravement l’élégance et le pittoresque du site naturel. C’est comme si tous les
lieux finissaient par afficher une uniformité importée d’ailleurs.
Place à la boursouflure ! |
Il est vrai qu’ici, les sites classés se
réduisent à un unique vestige, précédemment
désaffecté puis réhabilité, au détriment de ce qui constitue le présent et qui
distingue chaque terroir insulaire. C’est comme si on remplaçait les petites
maisons bretonnes, les mas provençaux, les isbas russes, les chalets savoyards
et les fare polynésiens par des cubes !
Sans être aucunement passéiste, la
question reste entière quant au devenir d’un paysage qui perd sa dimension
humaine et son empreinte culturelle.
D’un habitat typique approprié…
Le
Polynésien des origines, bien avant que l’Occident ne le découvre, montrait pourtant
des aptitudes à s’ajuster intelligemment avec l’environnement. La preuve ?
L’habitat authentique des îles reste le même, aujourd’hui encore, tout en incluant
les commodités modernes. Dispersé entre littoral et versants des vallées, il
avait su tirer de son cadre toutes les ressources primordiales.
À la source… (Tuamotu) |
Dans
cet échange avec la Nature, l’autochtone s’adressait à elle, - et pas
uniquement de façon verbale -, pour lui emprunter et lui restituer les éléments
nécessaires à son abri. Sorte de troc compensatoire, bénéfique dans les deux
sens, il couvrait les besoins et renouvelait l’humus. Troncs des poutres et
poteaux de soutènement, cordages de lianes imputrescibles pour arrimer le tout,
tissages de palmes pour la toiture et les parois, solives pour y suspendre les
victuailles ou les objets : que des solutions pour s’adapter aux aléas
saisonniers.
La
division en pavillons répondait à une logique fonctionnelle, assurant la
sécurité et le confort : le plus grand fare pour dormir, vivre, ou
collectif (Fare pōte'e) pour réunir le clan, tapissé de nattes
tressées ; les cabanons pour cuisiner et manger, à même le sol pour y
creuser le four, le fare toilette près du point d’eau. Pas de perte, pas de
gâchis : les plats en bois sont recyclables comme le reste… Un concept
prémonitoire du système écologique. Voilà pour l’essentiel. Tout est d’essence
végétale et s’appuie sur des socles en gros galets de rivière.
Fare pōte'e à Huahine
|
L’astuce
climatique, en littoral, en mangrove ou en vallée, avec les pilotis qui
préservent de l’humidité, c’est ce plancher aéré qui permet un brassage d’air avec
le faîtage et maintient une constante thermique. Une longévité affichant la
durée d’une génération : pas moins de 40 ans sauf pour la toiture en nī'au,
renouvelable tous les 5/7 ans, véritable isolation thermique…
De
construction rapide et transmissible facilement, ce fare authentique se voit
remplacé par son jumeau contemporain en kit-anticyclonique (bois importés et
tôle). La tradition est sauve ! Sauf que sa fameuse robustesse est remise en question par des accidents
de plancher…
…Aux amendements de la modernité
Avec
les débuts de la colonisation (18-19ème), l’importation d’outillage
métallique, première mutation de l’habitat vers le style colonial avec
ses planches, ses palissades et ses balconnets de bois, ses decks et ses baies
à claire-voie, caractéristiques des anciens quartiers de Papeete et des grands
centres insulaires.
Un style colonial mixte, Pape’ete 1970… |
Ils
disparaissent peu à peu avec la construction en dur qui s’étend des édifices
religieux
aux bâtiments administratifs. Leur aménagement individuel respectait ces
hauteurs de plafond et ces faîtages relevés, ces silhouettes élancées et aérées
… Mais, si l’extraction de la soupe de corail ne posait apparemment pas de
déséquilibre écologique jadis, ce n’est plus le cas évidemment aujourd’hui.
si, dans la capitale, les demeures se collent, au
risque de causer des incendies spectaculaires comme en 1884… au courant du 20ème
siècle, leur combustion sera curieusement considérée comme facteur positif (!)
pour l’avenir de l’urbanisation : « Pendant les années 1970, le
feu se montre pour l'urbanisme
un auxiliaire efficace. L'un après l'autre, les immeubles vétustes du
centre-ville sont la proie des flammes. » …Dans les faubourgs étagés en
terrasses, s’adaptant aux dénivellations du relief et à la végétation ambiante,
demeurent quelques vestiges de cachet, toujours d’aplomb.
D’un autre bois, Moorea |
Mais
le tournant c’est le bâti à moindre coût et à tous crins, sous la pression de
l’engorgement urbain. Les immeubles d’inspiration métropolitaine plaquent leurs
barres rectilignes, aux couloirs étroits, aux plafonds bas… aux appartements
réduits pour forte concentration de locataires. Pas de circulation d’air :
les portes palières ouvertes attisent le vacarme en échos.
Tôle et parpaing… (Fakarava) |
Les
maisons particulières troquent leur tuilerie pour des toitures anticycloniques
en tôle. Résultat, le bruit est effroyable sous la pluie et interrompt toute
conversation. Les conséquences immédiates, c’est le changement de mode de
vie : du communautaire bon enfant, on passe au collectif assourdissant et aveugle.
Une aberration climatique : le vase clos
Les
solutions dites d’urgence virent à l’habituel et se soldent par multiples aberrations :
touchant l’implantation, le confort, les infrastructures sanitaires et les matériaux
importés, effet de serre et étiolement délabrent l’atmosphère comme le cadre. Pour
absorber les trop-pleins démographiques, atténuer la pénurie de logements tout
se calcule au gigantisme.
Barre en ciel…(Matatia) |
De la voierie au terrain à bâtir, de méga-constructions
montent à l’assaut des escarpements. Les terres libres, fondent comme peau de
chagrin… grignoteront les points culminants et envahissent les vallées,
nombreuses, disséminées sur toute la surface de l’île. Moyennant quoi, les
pentes sont excavées, les gains de superficie se résolvent par un à-pic
artificiel, la végétation disparaît pour laisser place à une surface bétonnée
dont les bords sont consolidés d’enrochements et de murs de soutènement.
Le
moindre mètre carré est déboisé, raclé jusqu’à la roche, nivelé, exploité pour
l’habitat comme pour la voierie : causant perturbations du système
hydrologique local. Les dévers,
fragilisés, s’effritent en coulées de boues, les routes ou les fossés ravinés, les
maisons individuelles anciennes s’effondrent dans le vide… Pour pallier
l’instabilité du terrain et des routes à flanc de pente, les sous-fondations et
empierrements sont renforcés. Le prix du m2 monte en flèche.
Du
bois au béton, dans des archipels à tradition arboricole, le choix est
clair : au détriment d’allées, contre-allées et ronds-points ombragés,
tous tronçonnés, la rue au macadam brûlant devient irrespirable et surchauffée.
La circulation urbaine impose sa loi du double vitrage, mêle gaz d’échappement
aux effluves des climatiseurs. L’impact sur l’environnement est
déplorable : accumule une poussière grasse et noire sur les meubles comme
dans les jardins…
Certains
bâtisseurs, conscients de ces dérives à portées variables, s’engagent dans ce
qu’ils appellent modestement, car ils ne sont qu’artisans et les ressources
insuffisantes pour couvrir l’ensemble des besoins, la cabanisterie. Concevant
des bungalows style fare, pouvant s’adapter à la courbure du terrain et
s’appuyant sur le relief.
Laideur ou harmonisation ?
Faute
de penser intégration, la ville en Polynésie devient site dénaturé. Les formes
audacieuses écrasent d’anciens quartiers, assis autour de minuscules placettes.
Les cimes sont oblitérées par des barres monolithiques dont la hauteur dépasse
la végétation. L’équilibre des lignes escarpées est oblitéré par des proues
arrogantes, trapues, style forteresse, cassant les points de fuite des vallées
à leurs pieds. Dans l’écrasante majorité des cas, le profit prime sur
l’esthétique…
Laideur au mètre carré…(Tahiti) |
Aucun
souci d’harmonie avec un écosystème fragile distribué sur un espace miniature inextensible !
Règne la banalisation de la disproportion et de la laideur. Dans un cadre que
privilégiait le charme combiné à la hardiesse des reliefs domine la
rentabilisation de la moindre parcelle susceptible de devenir habitable. Le
paysage urbain dévore le site naturel en une succession ininterrompue de blocs engoncés
les uns dans les autres.
Absence de cachet (Pape’ete) |
Les
abords des routes, l’arrière des immeubles exhibent leurs paysages lunaires, monotones,
arides, anonymes, sans fantaisie, en grandes murailles sombres sans végétation.
Masses lisses dont le maillage végétal fait le buzz décoratif : à coups de
grillage ou de bâchage. Ils font pendant à ces zones d’habitat spontané, ce domaine
chaotique des laissés pour compte qui survivent comme ils peuvent…
Habitat anarchique… (Faa’a) |
Manquerait-on
d’esprit d’innovation pour imaginer un urbanisme optimal assorti et parfaitement
intégré au site initial ? La réponse appartient aux architectes et aux
politiques…
Un article de Monak
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