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lundi 2 février 2015

12ème FIFO à Tahiti



D’une édition à l’autre

Au Festival International du Film documentaire Océanien, le  thème de la 11ème édition, « la parole aux Océaniens », augurait celui de « la libre parole » pour la session 2015.

En adéquation avec l’actualité mondiale, la 12ème édition s’affirme « sans tabu »  et présente un programme dédié plus particulièrement aux femmes (6 films sur les 15 en compétition) : leurs revendications, leurs aspirations, leurs manières d’être, leurs affirmations. Résultat d’une conjonction de choix plus que d’une intention délibérée. Pas de section spécifique pour la sélection de cette année.

Le FIFO poursuit sa vocation de rassembleur entre Micronésie, Mélanésie, Polynésie, et l’ensemble du continent éparpillé dans le Pacifique, tout en poursuivant son dialogue avec l’Occident. Se dégage alors, pour le film documentaire océanien, la problématique du genre : est-il œuvre artistique ou informative ? Interviennent aussi la question du gabarit et de son éventuelle diffusion. Se reconduisent les débats entre concept créateur et confrontation avec le réel, entre la vision du capteur et les individus filmés.

Un FIFO peut en cacher un autre
Le cinéma océanien parvient-il à divulguer son image telle qu’il se la réapproprie ?  Les diffuseurs  d’ailleurs sont-ils prêts à l’admettre ? L’une des réponses est donnée par l’acquiescement et l’engouement du nombre sans cesse croissant des spectateurs de par le vaste monde.  

La grande affaire qui fait controverse est de savoir s’il existe un documentaire authentiquement océanien qu’on ne puisse confondre avec reportage. Il est né : avec son tempo, son harmonie, son temps dilaté, ses arrêts hiératiques, une entité composée d’un puzzle de personnages s’emboitant et faisant relais, etc. Il ne lui reste qu’à se faire reconnaître par les critiques. A se déterminer en tant qu’Ecole, à se budgétiser. Né sous un fare, il dérange : car il ne rentre pas dans le moule des spécialistes (experts, financiers, diffuseurs).

Portraits de Femmes
De la démarche identitaire océanienne, évidente l’an dernier et tournée vers la transmission des valeurs d’un patrimoine collectif ardent et bien présent, les écrans optent cette année pour des destins féminins singuliers. Femmes transgenres, femmes militantes, femmes passionnées, femmes en quête de rêves, femmes en immersion quotidienne, femmes artistes…

Mais, quittons un moment les écrans. Le FIFO, c’est aussi sa cheville ouvrière : découvrons ensemble les femmes qui assurent en parallèle sa concrétisation. Nota Bene : Comme pour toutes les interviews de cet article, le contenu est scindé en 2 parties : l’une se lit ici ; l’autre se regarde, se voit et s’entend sur la vidéo.

C’est donc avec plaisir, tout en souhaitant beaucoup d’endurance et de dynamisme à Marie Kops, nouvelle organisatrice du FIFO, que je vous livrerai un rapide portrait de Miriama Bono, coordinatrice des trois sessions précédentes.


Miriama Bono, un portrait « in FIFO »
Quelle expérience en tire-t-elle ? « La fréquentation de professionnels et de publics variés, sont un moyen d’apprendre sur nous, Tahitiens, par regards croisés. »

Si la gestion du festival ressemble à un marathon, étalé sur plus de six mois de préparation, l’ultime touche du dernier mois prend l’allure locale de la course typique des porteurs de fruits, dans la mesure où le poids de cette manifestation repose sur les épaules d’une frêle équipe. Elle déballe des trésors d’ingéniosité au sein de Te Fare Tauhiti Nui, La Maison de la Culture au centre de Papeete.  Dans ce contexte qui file bon vent, Miriama reste toujours disponible, parée d’un sourire à toute épreuve.

Prise au vol à la fin du festival, on ne pouvait tomber mieux pour se rendre compte de la pression que demande l’aménagement d’une telle machinerie. Miriama, même en mode ralenti et extinction de voix, ne parle que « de bonne fatigue, celle du challenge mené à bien et agrémenté de la satisfaction de son accomplissement ».

 Miriama nous livre le Quid de la coordination. Sur l’aspect stress, on est servi. Mais aussi au niveau déontologie : Miriama se plie joyeusement au principe de neutralité qui lie les membres organisateurs. Qui dit festival, dit palmarès, donc discrétion !

Marie Kops : des yeux à fifoter le monde
A quoi s’attendre ? « On redoute la pluie. Elle a occasionné quelque surcroît de travail à cause de la gestion du matériel, de l’alimentation électrique et des installations sous les chapiteaux. Et puis, la pluie s’est avérée être un allié qui a drainé un public conséquent. »

Et si Miriama décline les compliments dont chacun des festivaliers a pu la gratifier, c’est qu’elle sait mettre en avant le travail collaboratif de ceux qu’on ne nomme jamais, ses équipiers à tous les échelons.  Si la technique peut se dérégler, l’équipe, elle, reste fiable à qui sait la considérer.

Telle se maintient l’éthique des co-fondateurs Wallès Kotra et Pierre Ollivier depuis 2001. Ceci étant, allons prendre le pouls de l’événement auprès de l’un d’entre eux, toujours président de l’AFIFO (l’Association des origines).
 .
Wallès Kotra et la pérennité
Ce qui préoccupe Wallès Kotra depuis toujours,  c’est d’assurer la « visibilité  du film océanien » dans ce vaste océan qui ne cesse de monter. La concurrence des chaînes télévisuelles submerge-t-elle ou constitue-t-elle un support approprié et fidèle aux images du Pacifique ?

« Il est vrai qu’asseoir une manifestation culturelle qui mobilise des créateurs sans beaucoup de moyens, ce n’est pas gagné ! » Wallès en rappelle les difficultés de démarrage où « pouvoirs publics et volonté politique ne percevaient pas la nécessité de l’instauration d’un festival cinématographique ».  


Wallès Kotra : une ardeur à toute épreuve
« Bien entendu, la fidélisation et la croissance du partenariat pallient les dangers d’une cessation. Le consensus de continuité a perduré malgré les changements d’autorités. Mais il est sûr que le festival n’aurait pu s’assurer une viabilité, s’il se cantonnait à notre seule sphère géographique. Il doit s’adapter à la situation de crise. Son évolution, c’est sa survie, tout en sauvegardant son indépendance. C’est essentiel de montrer la fragilité du monde… Les  îles peuvent disparaître… mais les échanges restent mythiques »

 « Le FIFO s’est véritablement créé autour de la conviction profonde que l’espace océanien est méconnu. L’essentiel, c’est d’affirmer notre propre mentalité, notre océanité telle qu’elle est, notre propre image, de la faire connaître à l’Europe, que nos histoires circulent partout ailleurs. »

« Quant à l’esprit du FIFO, il peut se résumer ainsi : on ne se prend pas au sérieux pour aborder des questions graves. » « Je me réjouis que Luc Jacquet soit là. Aussi importante et renommée que soit son œuvre (La marche de l’empereur, Il était une forêt), il sait rester simple (L. Jacquet, président du jury 2014). »

Derrière cette porte, la fièvre du FIFO (Te Fare Tauhiti Nui )
« Remuer des choses, c’est notre force ! » Pas la peine de présenter plus avant Wallès, l’homme des formules chatoyantes. Et si Tahiti reste le centre du FIFO, n’oublions pas les grandes figures Néo-Calédoniennes qui en détiennent les clés.

Emmanuel Tjibaou et le cinéma autochtone
Si « la Nouvelle-Calédonie constitue l’un des pôles attractifs majeurs du cinéma océanien avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Plaque tournante d’investigation et de diffusion, malgré son dynamisme, elle reste très isolée de la fièvre mondiale du 7ème art. 

« A cela s’ajoute le manque de moyens pour assurer l’apprentissage de ce média de communication. La technique n’est pas encore passée dans nos mœurs, et ce n’est que récemment qu’on peut espérer l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes.

« Les travaux réalisés en école ne sont pas diffusés, les chaînons de diffusion et de production sont réellement manquants. Nous manquons de salles de cinéma. Les créneaux TV ne sont pas assurés. Reste à se créer des filières. »

Chandeleur et scolaires : le FIFO 2015, c’est parti !
« Il faut tenir compte de notre Culture : essentiellement orale, il est difficile de trouver des scénarios, ou des textes de théâtre. Il est un vivier d’acteurs, formés par le guinéo-ivoirien Souleymane Koly à partir des rituels de communication traditionnels africains, très proches des cérémonies coutumières de Nouvelle-Calédonie.

« Nous avons la nécessité d’affirmer cette forme d’expression, mixage slam/stand up/orero ; la nécessité d’affirmer l’existence de l’acteur-slameur-danseur. Ce qui existe dans le domaine théâtral, notre mode original d’expression, la particularité de notre parole, y faire entendre nos thèmes sociétaux, doit s’ancrer dans le cinéma. 

 « Notre action est militante pour déconstruire les mentalités et revenir à nos propres codes kanaks ou aborigènes. Les similitudes sont là. Nous nous déplaçons du centre vers les tribus pour engager ce dialogue entre le film et les gens qui y sont filmés, susciter la réflexion, avancer dans le débat. A Tahiti, nous avons l’éclairage d’un public mélangé. »


Emmanuel Tjibaou : une parabole de la culture
« Ici, je viens chercher dans les films l’émotion décuplée par le grand écran, des propos portés en notre langue, quelque chose qui suscite chez moi une part d’affectivité… la technicité tient plus de l’artifice. Il faut que le personnage me touche, qu’il aborde nos problèmes… qu’il soit l’écho de nos questionnements.

« On a trop longtemps parlé pour nous : il faut laisser les gens parler d’eux, de nous. »

Avec sa parabole de la marche (voir la vidéo), Emmanuel Tjibaou démontre que ce festival présente l’avantage pour chacun de se regarder autrement, de passer par le prisme de la Polynésie et du monde. De trouver des micro-réponses, pas des leçons.

René Boutin et « l’Ombre de l’Homme »
Le cinéma se dit en langue coutumière paicî, (parler de la région de Poindimié ou Pwêêdi Wiimîâ en Nouvelle-Calédonie) : Ânûû-rû Âboro, soit « L’ombre de l’homme ». L’entretien que m’a accordé René Boutin, directeur artistique du « Festival des peuples », illustre ce monde « de l’ombre mise en lumière sur l’écran ».

Dès l’abord, il définit « le film documentaire comme création, car le film océanien ne se légitime qu’en rendant palpable la spécificité d’une culture, en correspondant  avec ce que nous sommes, en filmant ce qu’on ne peut pas voir et qui est nous ».

« Il possède les critères de l’œuvre d’art… son chef opérateur. Porteur d’émotions, de sensibilité, de réflexion, de conscience, de valeurs, il parle de lui-même (sans qu’on ait besoin de le paraphraser par une voix-off). Il en a l’esthétique : celle de l’intégrité du vrai sujet. Il est intuitif, fonctionnel et questionne le monde : sans recourir aux réponses toutes faites venues d’ailleurs. »


René Boutin : Le documentaire, une œuvre artistique à part entière
« Il va au fond des choses, en explore la face cachée, les situations complexes, paradoxales, antagonistes… Car c’est à l’être de se mettre en scène… avec sa part d’ombre. Son image sur écran se rattache aux anciens (les ombres). L’œuvre n’existe que de façon endogène, avec ses réalisateurs autochtones, qu’avec ce patrimoine vivant. »

Alors, qu’est–ce qui caractérise le film océanien ? « Un monde à notre image : qui laisse voir son intériorité, sa part d’ombre… qui possède son propre langage (tactile, gestuel, verbal, sonore), son propre rythme, ses hors-champs), ses propres codes de communication… et qui n’est pas tronqué par le formatage télévisuel. La voix des tribus destinée aux tribus, avec leurs douleurs, leur douleur de dire.  »

Mutation ou permanence pour la 12ème édition ?
Si vous avez remarqué dans les interviews, quelques déclarations prémonitoires, elles ne sont pas pure coïncidence et engagent pleinement leurs auteurs…

Les éditoriaux du FIFO 2015 sont tous marqués par cette intention de développer le festival en le consolidant et en le dilatant sur l’ensemble des pays du Pacifique sud. Les orientations semblent en parfaite continuité avec le FIFO précédent.

Dans le vivier des projets présentés par les réalisateurs dans les Ateliers Pitchdating de cette année, aurons-nous le bonheur de découvrir des artistes aux noms océaniens ? La relève océanienne sera-t-elle bientôt au rendez-vous ?

Relookez-vous FIFO !
Parmi les innovations, l’accent mis sur l’éducation audiovisuelle des jeunes qui constitueront les cinéphiles de demain parviendra-t-il à attirer ultérieurement l’ensemble de la population modeste de Tahiti ? La tournée du FIFO dans les îles, du FIFO hors les murs permettant ce brassage tant attendu. Le FIFO s’ouvrira-t-il de cette façon sur une fréquentation plus populaire ?

La quête du propos identitaire, fondateur du FIFO, glisse vers le récit depuis l’édition précédente, il s’affirme avec l’édition 2015. Ce n’est pas pour rien que Jan Kounen vient « voyager vers la galaxie océanienne avec le documentaire-fiction. « Il est temps maintenant qu’on se raconte nos histoires », lançait Wallès Kotra.


Un article de  Monak
Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.


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