D’une édition à
l’autre
Au Festival International
du Film documentaire Océanien, le thème de
la 11ème édition, « la parole aux Océaniens », augurait celui
de « la libre parole » pour la session 2015.
En
adéquation avec l’actualité mondiale, la 12ème édition s’affirme
« sans tabu » et présente un
programme dédié plus particulièrement aux femmes (6 films sur les 15 en
compétition) : leurs revendications, leurs aspirations, leurs manières
d’être, leurs affirmations. Résultat d’une conjonction de choix plus que d’une
intention délibérée. Pas de section spécifique pour la sélection de cette année.
Le FIFO poursuit sa vocation de rassembleur
entre Micronésie, Mélanésie, Polynésie, et l’ensemble du continent éparpillé
dans le Pacifique, tout en poursuivant son dialogue avec l’Occident. Se dégage
alors, pour le film documentaire océanien, la problématique du genre : est-il
œuvre artistique ou informative ? Interviennent aussi la question du
gabarit et de son éventuelle diffusion. Se reconduisent les débats entre
concept créateur et confrontation avec le réel, entre la vision du capteur et
les individus filmés.
Un FIFO peut en cacher un autre |
Le cinéma océanien parvient-il à
divulguer son image telle qu’il se la réapproprie ? Les diffuseurs
d’ailleurs sont-ils prêts à l’admettre ? L’une des réponses est
donnée par l’acquiescement et l’engouement du nombre sans cesse croissant des spectateurs
de par le vaste monde.
La grande affaire qui fait controverse
est de savoir s’il existe un documentaire authentiquement océanien qu’on ne
puisse confondre avec reportage. Il est né : avec son tempo, son harmonie,
son temps dilaté, ses arrêts hiératiques, une entité composée d’un puzzle de
personnages s’emboitant et faisant relais, etc. Il ne lui reste qu’à se faire
reconnaître par les critiques. A se déterminer en tant qu’Ecole, à se
budgétiser. Né sous un fare, il
dérange : car il ne rentre pas dans le moule des spécialistes (experts,
financiers, diffuseurs).
Portraits de Femmes
De
la démarche identitaire océanienne, évidente l’an dernier et tournée vers la
transmission des valeurs d’un patrimoine collectif ardent et bien présent, les
écrans optent cette année pour des destins féminins singuliers. Femmes
transgenres, femmes militantes, femmes passionnées, femmes en quête de rêves,
femmes en immersion quotidienne, femmes artistes…
Mais,
quittons un moment les écrans. Le FIFO, c’est aussi sa cheville ouvrière :
découvrons ensemble les femmes qui assurent en parallèle sa concrétisation. Nota
Bene : Comme pour toutes les interviews de cet article, le contenu est
scindé en 2 parties : l’une se lit ici ; l’autre se regarde, se voit
et s’entend sur la vidéo.
C’est
donc avec plaisir, tout en souhaitant beaucoup d’endurance et de dynamisme à
Marie Kops, nouvelle organisatrice du FIFO, que je vous livrerai un rapide
portrait de Miriama Bono, coordinatrice des trois sessions précédentes.
Miriama Bono, un portrait « in FIFO »
Quelle
expérience en tire-t-elle ? « La fréquentation de professionnels et
de publics variés, sont un moyen d’apprendre sur nous, Tahitiens, par regards
croisés. »
Si
la gestion du festival ressemble à un marathon, étalé sur plus de six mois de
préparation, l’ultime touche du dernier mois prend l’allure locale de la course typique des porteurs de fruits,
dans la mesure où le poids de cette manifestation repose sur les épaules d’une
frêle équipe. Elle déballe des trésors d’ingéniosité au sein de Te Fare Tauhiti Nui, La Maison de la Culture au centre de Papeete. Dans ce contexte qui file bon vent, Miriama
reste toujours disponible, parée d’un sourire à toute épreuve.
Prise
au vol à la fin du festival, on ne pouvait tomber mieux pour se rendre compte
de la pression que demande l’aménagement d’une telle machinerie. Miriama, même
en mode ralenti et extinction de voix, ne parle que « de bonne fatigue,
celle du challenge mené à bien et agrémenté de la satisfaction de son
accomplissement ».
Miriama nous livre le Quid de la coordination.
Sur l’aspect stress, on est servi. Mais aussi au niveau déontologie : Miriama
se plie joyeusement au principe de neutralité qui lie les membres organisateurs.
Qui dit festival, dit palmarès, donc discrétion !
Marie Kops : des yeux à fifoter le monde |
A
quoi s’attendre ? « On redoute la pluie. Elle a occasionné quelque
surcroît de travail à cause de la gestion du matériel, de l’alimentation
électrique et des installations sous les chapiteaux. Et puis, la pluie s’est
avérée être un allié qui a drainé un public conséquent. »
Et
si Miriama décline les compliments dont chacun des festivaliers a pu la
gratifier, c’est qu’elle sait mettre en avant le travail collaboratif de ceux
qu’on ne nomme jamais, ses équipiers à tous les échelons. Si la technique peut se dérégler, l’équipe, elle,
reste fiable à qui sait la considérer.
Telle
se maintient l’éthique des co-fondateurs Wallès Kotra et Pierre Ollivier depuis
2001. Ceci étant, allons prendre le pouls de l’événement auprès de l’un d’entre
eux, toujours président de l’AFIFO (l’Association des origines).
.
Wallès Kotra et la pérennité
Ce
qui préoccupe Wallès Kotra depuis toujours, c’est d’assurer la « visibilité du
film océanien » dans ce vaste océan qui ne cesse de monter. La concurrence
des chaînes télévisuelles submerge-t-elle ou constitue-t-elle un support approprié
et fidèle aux images du Pacifique ?
« Il
est vrai qu’asseoir une manifestation culturelle qui mobilise des créateurs
sans beaucoup de moyens, ce n’est pas gagné ! » Wallès en rappelle
les difficultés de démarrage où « pouvoirs publics et volonté politique ne
percevaient pas la nécessité de l’instauration d’un festival cinématographique ».
Wallès Kotra : une ardeur à toute épreuve
« Bien
entendu, la fidélisation et la croissance du partenariat pallient les dangers
d’une cessation. Le consensus de continuité a perduré malgré les changements
d’autorités. Mais il est sûr que le festival n’aurait pu s’assurer une
viabilité, s’il se cantonnait à notre seule sphère géographique. Il doit
s’adapter à la situation de crise. Son évolution, c’est sa survie, tout en sauvegardant
son indépendance. C’est essentiel de montrer la fragilité du monde… Les îles peuvent disparaître… mais les échanges
restent mythiques »
« Le FIFO s’est véritablement créé autour
de la conviction profonde que l’espace océanien est méconnu. L’essentiel, c’est
d’affirmer notre propre mentalité, notre océanité telle qu’elle est, notre
propre image, de la faire connaître à l’Europe, que nos histoires circulent
partout ailleurs. »
« Quant
à l’esprit du FIFO, il peut se résumer ainsi : on ne se prend pas au
sérieux pour aborder des questions graves. » « Je me réjouis que Luc
Jacquet soit là. Aussi importante et renommée que soit son œuvre (La marche de l’empereur, Il était une forêt),
il sait rester simple (L. Jacquet, président du jury 2014). »
Derrière cette porte, la fièvre du FIFO (Te Fare Tauhiti Nui ) |
« Remuer
des choses, c’est notre force ! » Pas la peine de présenter plus
avant Wallès, l’homme des formules chatoyantes. Et si Tahiti reste le centre du
FIFO, n’oublions pas les grandes figures Néo-Calédoniennes qui en détiennent
les clés.
Emmanuel Tjibaou et le cinéma autochtone
Si
« la Nouvelle-Calédonie constitue l’un des pôles attractifs majeurs du
cinéma océanien avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Plaque tournante d’investigation
et de diffusion, malgré son dynamisme, elle reste très isolée de la fièvre mondiale
du 7ème art.
« A
cela s’ajoute le manque de moyens pour assurer l’apprentissage de ce média de
communication. La technique n’est pas encore passée dans nos mœurs, et ce n’est
que récemment qu’on peut espérer l’émergence d’une nouvelle génération de
cinéastes.
« Les
travaux réalisés en école ne sont pas diffusés, les chaînons de diffusion et de
production sont réellement manquants. Nous manquons de salles de cinéma. Les
créneaux TV ne sont pas assurés. Reste à se créer des filières. »
Chandeleur et scolaires : le FIFO 2015, c’est parti ! |
« Il
faut tenir compte de notre Culture : essentiellement orale, il est
difficile de trouver des scénarios, ou des textes de théâtre. Il est un vivier
d’acteurs, formés par le guinéo-ivoirien Souleymane Koly à partir des rituels
de communication traditionnels africains, très proches des cérémonies coutumières
de Nouvelle-Calédonie.
« Nous
avons la nécessité d’affirmer cette forme d’expression, mixage slam/stand
up/orero ; la nécessité d’affirmer l’existence de
l’acteur-slameur-danseur. Ce qui existe dans le domaine théâtral, notre mode
original d’expression, la particularité de notre parole, y faire entendre nos
thèmes sociétaux, doit s’ancrer dans le cinéma.
« Notre action est militante pour
déconstruire les mentalités et revenir à nos propres codes kanaks ou
aborigènes. Les similitudes sont là. Nous nous déplaçons du centre vers les
tribus pour engager ce dialogue entre le film et les gens qui y sont filmés,
susciter la réflexion, avancer dans le débat. A Tahiti, nous avons l’éclairage
d’un public mélangé. »
Emmanuel Tjibaou : une parabole de la culture
« Ici,
je viens chercher dans les films l’émotion décuplée par le grand écran, des
propos portés en notre langue, quelque chose qui suscite chez moi une part
d’affectivité… la technicité tient plus de l’artifice. Il faut que le
personnage me touche, qu’il aborde nos problèmes… qu’il soit l’écho de nos
questionnements.
« On
a trop longtemps parlé pour nous : il faut laisser les gens parler d’eux,
de nous. »
Avec
sa parabole de la marche (voir la vidéo), Emmanuel Tjibaou démontre que ce
festival présente l’avantage pour chacun de se regarder autrement, de passer
par le prisme de la Polynésie et du monde. De trouver des micro-réponses, pas
des leçons.
René Boutin et « l’Ombre de l’Homme »
Le
cinéma se dit en langue coutumière paicî,
(parler de la région de Poindimié ou Pwêêdi Wiimîâ en Nouvelle-Calédonie) :
Ânûû-rû Âboro, soit « L’ombre de l’homme ». L’entretien que m’a
accordé René Boutin, directeur artistique du « Festival des peuples »,
illustre ce monde « de l’ombre mise en lumière sur l’écran ».
Dès
l’abord, il définit « le film documentaire comme création, car le film
océanien ne se légitime qu’en rendant palpable la spécificité d’une culture, en
correspondant avec ce que nous sommes, en filmant ce qu’on ne peut pas
voir et qui est nous ».
« Il
possède les critères de l’œuvre d’art… son chef opérateur. Porteur d’émotions, de
sensibilité, de réflexion, de conscience, de valeurs, il parle de lui-même
(sans qu’on ait besoin de le paraphraser par une voix-off). Il en a l’esthétique :
celle de l’intégrité du vrai sujet. Il est intuitif, fonctionnel et questionne le
monde : sans recourir aux réponses toutes faites venues d’ailleurs. »
René Boutin : Le documentaire, une œuvre artistique
à part entière
« Il
va au fond des choses, en explore la face cachée, les situations complexes,
paradoxales, antagonistes… Car c’est à l’être de se mettre en scène… avec sa
part d’ombre. Son image sur écran se rattache aux anciens (les ombres). L’œuvre
n’existe que de façon endogène, avec ses réalisateurs autochtones, qu’avec ce
patrimoine vivant. »
Alors,
qu’est–ce qui caractérise le film océanien ? « Un monde à notre image :
qui laisse voir son intériorité, sa part d’ombre… qui possède son propre
langage (tactile, gestuel, verbal, sonore), son propre rythme, ses
hors-champs), ses propres codes de communication… et qui n’est pas tronqué par
le formatage télévisuel. La voix des tribus destinée aux tribus, avec leurs
douleurs, leur douleur de dire. »
Mutation ou permanence pour la 12ème édition ?
Si
vous avez remarqué dans les interviews, quelques déclarations prémonitoires,
elles ne sont pas pure coïncidence et engagent pleinement leurs auteurs…
Les
éditoriaux du FIFO 2015 sont tous marqués par cette intention de développer le
festival en le consolidant et en le dilatant sur l’ensemble des pays du
Pacifique sud. Les orientations semblent en parfaite continuité avec le FIFO
précédent.
Dans
le vivier des projets présentés par les réalisateurs dans les Ateliers Pitchdating
de cette année, aurons-nous le bonheur de découvrir des artistes aux noms
océaniens ? La relève océanienne sera-t-elle bientôt au rendez-vous ?
Relookez-vous FIFO ! |
Parmi
les innovations, l’accent mis sur l’éducation audiovisuelle des jeunes qui
constitueront les cinéphiles de demain parviendra-t-il à attirer ultérieurement
l’ensemble de la population modeste de Tahiti ? La tournée du FIFO dans les îles, du FIFO hors les murs permettant ce
brassage tant attendu. Le FIFO s’ouvrira-t-il de cette façon sur une
fréquentation plus populaire ?
La
quête du propos identitaire, fondateur du FIFO, glisse vers le récit depuis l’édition
précédente, il s’affirme avec l’édition 2015. Ce n’est pas pour rien que Jan
Kounen vient « voyager vers la galaxie océanienne avec le documentaire-fiction.
« Il est temps maintenant qu’on se raconte nos histoires », lançait
Wallès Kotra.
Un article de Monak
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