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mardi 10 février 2015

FIFO 2015 : le palmarès



         
L’Océanie en danger ?

L’euphorie de l’image, une réjouissance de chaque FIFO. Comme annoncé par les organisateurs, pas de censure, pas de restriction… Une programmation aux thèmes contradictoires. Le passé est renfloué, le présent élargit son cap. Le documentaire océanien serait-il objet de controverses ?

La grande majorité des documentaires, au travers du découpage narratif de destins solitaires et singuliers brosse une situation alarmiste, tant du point de vue des droits de l’homme que du respect du cadre de vie. Les brulots sont allumés.


Un FIFO tous azimuts
Le continent du bout du monde n’est pas si pacifique qu’il pourrait le paraître… D’une part, le déballage du sordide avec les séquelles de la colonisation, les indépendances ségrégationnistes : mais aussi un néo-colonialisme économique galopant, plus aisé, fraye en toute impunité sur les îles ! L’Océanie, une victime isolée qui n’en a pas fini d’en découdre avec les pouvoirs internes ou centraux. Des réserves aborigènes au citoyen à part entière, il est des gouffres infranchissables !

La résistance active, elle, se développe de façon non-violente, sous forme d’enclaves de réhabilitation culturelle ! Des terrains de liberté artistique en mode nomade maritime à la revalorisation d’un trait culturel spécifique éradiqué par les églises, le panorama est varié.

Les films qui font mal
Dans la série abus d’autorité, ségrégationnisme, relents de colonisation, spoliation des terres aux « natifs » et mesures « d’indignité humaine », en compétition et hors-compétition, il faut compter pas moins de la moitié des films (In, Hors et Off), soit, une vingtaine, traitant de sujets épineux. L’Australie figure en bonne place, suivie de peu par le Chili avec Rapanui. Même si d’autres Etats n’apparaissent pas directement, il semble que la situation soit commune à Samoa, à Hawaii et ailleurs, si vous voulez bien suivre mes sous-entendus.

L’actuelle génération des retraités australiens, celle qui est parvenue aux études et à l’intégration, le doit à des mesures d’enlèvement. D’origine aborigène, la juge pour enfants Sue Gordon a été arrachée à sa famille comme tant d’autres et placée en orphelinat, au seul motif de sa peau blanche !!! Le combat continue en plein 21ème siècle. Il est actuel. Ce n’est pas de la fiction. Sinon que le scénario de My Three Families (Australie – Todd Russel) suit pas à pas l’atrocité du traitement des autochtones ! Résultat : adultes complètement déconnectés de l’affectif.


Retrouver ses chemins spirituels…
Des conflits de territorialité et d’exploitation se soldent en majorité par des expropriations et le silence total sur des catastrophes industrielles. La disparition de Hela dans les hautes-terres et l’ensevelissement des victimes par une Compagnie d’extraction de gaz en Papouasie-Nlle Guinée n’émeuvent pas les autorités. Un très court-métrage d’Olivier Pollet (Papouasie – Nlle-Guinée- USA –France), intitulé When we were Hela nous est livré comme un faire-part de deuil.

Encore une belle figure de femme avec Baymarawongga, cheffesse aborigène (Big Boss de Paul Sinclair-France) qu’on voudrait priver de ses sites cultuels. Rapa Nui, l’histoire secrète de l’Île de Pâques, nous entraîne dans un goulag, aux relents d’esclavage à l’Antique ! La prostitution obligée ou la léproserie, les Chiliens : un summum ! Le tout sur une île que les ovins ont pelée, rasée… Toujours des Femmes dans Sovereignty Dreaming (de V. Escalante – France) refusant la profanation des « chemins de rêves » par l’installation d’une déchetterie nucléaire.

Un faire-part pour l’enfer
Qu’il existe des ghettos où sont parqués et maintenus les natifs dans un statut de non-droit pour la plupart des Etats océaniens (indépendants ou sous domination étrangère), on se croirait dans l’Ile du Docteur Moreau de H.G.Wells ! Sauf qu’il ne s’agit pas de science-fiction ! Le FIFO joue un rôle prépondérant dans cette divulgation des éradications programmées.

Les films entre deux eaux
Certains films nous laissent sur notre faim. A se demander si parfois le narcissisme du réalisateur ne l’emporte pas sur son sujet ! Dans d’autres cas, le documentaire n’apporte pas grand-chose à une simple émission de TV déjà rediffusée mille fois ! Certains documentaires se présentent comme un effeuillage de photos anciennes et une tentative d’y plaquer du neuf.

A Destremeau, un destin polynésien (Polynésie Française – Pascale Berlin & Steph. Jacques), les jeunes tahitiens interviewés, venus avec leur groupe de formation professionnelle,  se sentent étrangers. D’abord, parce que la population tahitienne aidant à la défense (notamment à monter les canons sur les pentes) est totalement absente ; ensuite, parce qu’on ne montre que des Tahitiens d’aujourd’hui ignares ; enfin parce que « c’est un règlement de comptes politiques exclusivement franco-français où l’avis de la reine Pomare est ignoré. »


Au bout de leurs rêves
Avec Les Horizons chimériques (Français – Gilles Dagneau) l’exotisme, ce goût pour l’ailleurs est-il agonisant ? Depuis l’Iliade et l’Odyssée en Occident, le mythe du voyage ancré dans le berceau des civilisations, est-il voué à l’échec ? La quête des valeurs simples est-elle perçue comme désaveu et répudiation de la mère-patrie ? Aboutit-elle forcément à la déchéance ? Le portrait de ces exilés tranche avec l’identité conformiste de l’Hexagone.

Totalement en rupture avec leur province d’origine ces SDF du Pacifique préfèrent mourir au soleil. Ils ne ressemblent pas aux conventionnels popa'ā farāni (étrangers blancs métropolitains) de Polynésie, issus de la colonisation ou de la fonction publique, souvent affublés d’a priori incongrus ou malsains. Le monde est-il tellement fermé qu’ils ne survivent qu’à condition de devenir transparents ? Le documentaire de la fin des utopies paradis-îles-cocotiers. Est-ce leur statut d’apatrides déclassés qui leur a fait remporter le 1er Prix du Jury de la 12ème édition du FIFO ?

Avec Bobby, le renouveau culturel polynésien (Polynésie française, Jeff Benhamza), après avoir entonné les musiques au début du film, le public tahitien s’en est retourné un peu frustré… Le rythme du documentaire, ses approches aplatissent la brillance d’une figure dont ils attendaient autre chose qu’un honneur trop révérencieux.

Les films qui font du bien
La découverte, la symbiose, l’universalisme : on ne sait plus ce qui touche. La vision d’une communauté à part, aux valeurs intactes ? On ne sait plus maintenant ce qui est le plus important : alerter ou réussir une action revendicatrice ?

Dans la catégorie prévention, le propos est plutôt mitigé avec  Tribal scent (carmelo Musca –Australie), entre l’exploitation coutumière et la rentabilisation industrielle du santal ; Life on the reef  (Nick Robinson- Australie) ne se prononce pas davantage sur ce soit-disant équilibre entre protection et destruction de l’environnement.


Des modèles atypiques
Avec Les Etoiles du Pacifique (France – Régis Michel), la tournée du Magic Circus de Samoa, ce n’est pas seulement la chronique d’une aventure mais le vécu d’une entreprise culturelle aux multiples nationalités de l’hémisphère sud. Une communauté qui prône ses valeurs humaines.

Mais, pour ce cirque nomade, la manière dont il gère son nomadisme maritime n’est pas sans rappeler l’odyssée du peuplement océanien. Renouant avec la tradition ancestrale des voyageurs, il a mis en place une solution contemporaine à l’isolement des îles. Ou comment véhiculer les œuvres artistiques sur ce continent qui comprend plus de mers que de terres.

Un trait entre le passé et le présent. Une réussite quant à l’équilibre de la narration entre aspects particuliers et grande galère du cirque. Mais le film reste inaperçu, bien qu’il témoigne du triomphe de l’humanisme dans une microsociété.


Le sport pour tous !
Out in the line up de Ian W. Thomson (Australie) brise  le tabou des sous-hommes. Le sport n’appartient plus à des sponsors qui défendent un certain conservatisme puritain. L’image pudibonde se vendant bien. Sujet extrêmement dérangeant dans l’Océanie du surf… il présente, dans sa structure même, la longue et pénible quête de la reconnaissance des surfeurs homosexuels. Trop de préjugés martelés, trop d’insultes inconscientes, tuent des générations de glisse par abandon ou suicide. Ce documentaire entre à plein dans la gueule du « Monster » de la Billabong à Teahupoo (Tahiti).

On applaudit au Fifo, après chaque séance. Sujets et réalisateurs étant dans la salle, ce fut une standing ovation pour Kumu Hina (Hawaii – Dean Hamer), le film et la personne éponyme. Une transgenre qui ne correspond à aucun cliché d’exhibitionnisme, de mode, qui ne cherche pas à séduire pour se faire accepter mais œuvre pour la réhabilitation des valeurs d’une culture souvent tronquée par l’évangélisation : une superbe leçon.

Elle est « elle », cet « être du milieu » comme elle aime le dire. « Ce n’est pas si simple ». Et bravo aux jurés qui lui ont attribué le 2nd Prix du jury et le Prix du Public… d’avoir approuvé à la fois les qualités artistiques, empathiques et émotionnelles du film. Et bravo encore aux deux jurys d’avoir accédé à cette liberté de la transgression !

Films qui fâchent ou réalité ?
Cette année, il semble que le FIFO ne se soit pas restreint au seul aspect attendu et habituel depuis sa création : l’image de l’Océanien d’origine. Il a sélectionné « la face cachée » de l’Océanie : celle qui est entremêlée, mixée, complexe.


Être soi-même…
L’avis des spectateurs ? Il est divisé ; parfois même opposé. Opinions personnelles rivalisant parfois avec ce que propose l’écran. Les mentalités, c’est ce qu’il est le plus difficile de faire évoluer. Il semblerait que les convictions, ancrées pendant l’enfance par l’éducation, restent inamovibles, quelles que soient les découvertes scientifiques récentes qui les réfutent.

Le film-documentaire, de par les sujets qu’il explore, jouera-t-il ce rôle de relais éducatif ? Est-il parfaitement avéré ou doit-on s’en méfier ? Actuellement rares sont les documentaires aux informations falsifiées. Vérifiées, elles peuvent juste être partielles… Tout dépend de l’éclairage du réalisateur : ainsi certains documentaires tentent de concilier les points de vue inverses.

Si dans Les Horizons chimériques (Gilles Dagneau) la transsexualité déclenche l’hilarité chez un public plus que quadragénaire, à la séance du lendemain, un père avait amené sa jeune fille voir  Out in the line up (Ian W Thompson), qui traite de sexisme et de machisme dans le milieu du surf. Il n’est jamais trop tôt pour prendre conscience de la loi !  


Au-delà des mots…
Sur fond de crise mondiale, les réalisateurs ne font pas de clivage pour les sujets de ces quelques dernières années entre les « pauvres blancs » et les aborigènes. La ségrégation ethnique relève d’aberrations, de critères dépassés dont il reste des traces douloureuses mais auxquelles il faut faire face. Le Festival du Film Océanien tient compte et rend visibles ces minorités. Les questions restent ouvertes.

Les spectateurs océaniens étant à la fois public et sujets des films, il n’est donc pas étonnant qu’ils assument leurs rôles de vivants sans restriction. Ainsi sont-ils garants de toutes les étapes du vécu. Les grands monopoles se font de l’argent sur les obsèques : secteur extrêmement juteux et inépuisable ! Ils en viennent à escamoter aux familles leurs morts comme leur capital-décès. Et pas de tabou pour la mort, pas de distance, on assume. Tender de Lynett Wallworth (Australie), est une autre forme de révolte pacifique.

Fidèle à ce qu’il avait annoncé, le FIFO 12ème édition s’est engagé dans un patchwork des plus imprévisibles. Il a surfé sur la vague de la transgression… au-delà même de ce qu’on pouvait imaginer !

Merci pour ces nouveaux repères. Ces images qui composent pièce à pièce le panorama insoupçonné de l’Océanie d’aujourd’hui, celle qui se fait maintenant… avec ses acteurs, ses témoins, ses visionneurs.


Un article de  Monak

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