L’Océanie en danger ?
L’euphorie de
l’image, une réjouissance de chaque FIFO. Comme annoncé par les organisateurs,
pas de censure, pas de restriction… Une programmation aux thèmes
contradictoires. Le passé est renfloué, le présent élargit son cap. Le
documentaire océanien serait-il objet de controverses ?
La
grande majorité des documentaires, au travers du découpage narratif de destins solitaires
et singuliers brosse une situation alarmiste, tant du point de vue des droits
de l’homme que du respect du cadre de vie. Les brulots sont allumés.
Un FIFO tous azimuts
Le
continent du bout du monde n’est pas si pacifique qu’il pourrait le paraître…
D’une part, le déballage du sordide avec les séquelles de la colonisation, les
indépendances ségrégationnistes : mais aussi un néo-colonialisme
économique galopant, plus aisé, fraye en toute impunité sur les îles !
L’Océanie, une victime isolée qui n’en a pas fini d’en découdre avec les
pouvoirs internes ou centraux. Des réserves aborigènes au citoyen à part entière,
il est des gouffres infranchissables !
La résistance active, elle, se développe
de façon non-violente, sous forme d’enclaves de réhabilitation culturelle !
Des terrains de liberté artistique en mode nomade maritime à la revalorisation
d’un trait culturel spécifique éradiqué par les églises, le panorama est varié.
Les films qui font mal
Dans
la série abus d’autorité, ségrégationnisme, relents de colonisation, spoliation
des terres aux « natifs » et mesures « d’indignité
humaine », en compétition et hors-compétition, il faut compter pas moins
de la moitié des films (In, Hors et Off), soit, une vingtaine, traitant de
sujets épineux. L’Australie figure en bonne place, suivie de peu par le Chili
avec Rapanui. Même si d’autres Etats n’apparaissent pas directement, il semble
que la situation soit commune à Samoa, à Hawaii et ailleurs, si vous voulez
bien suivre mes sous-entendus.
L’actuelle
génération des retraités australiens, celle qui est parvenue aux études et à
l’intégration, le doit à des mesures d’enlèvement. D’origine aborigène, la juge
pour enfants Sue Gordon a été arrachée à sa famille comme tant d’autres et
placée en orphelinat, au seul motif de sa peau blanche !!! Le combat
continue en plein 21ème siècle. Il est actuel. Ce n’est pas de la
fiction. Sinon que le scénario de My
Three Families (Australie – Todd Russel) suit pas à pas l’atrocité
du traitement des autochtones ! Résultat : adultes complètement
déconnectés de l’affectif.
Retrouver ses chemins spirituels…
Des
conflits de territorialité et d’exploitation se soldent en majorité par des
expropriations et le silence total sur des catastrophes industrielles. La
disparition de Hela dans les hautes-terres et l’ensevelissement des victimes
par une Compagnie d’extraction de gaz en Papouasie-Nlle Guinée n’émeuvent pas
les autorités.
Un très court-métrage d’Olivier Pollet (Papouasie – Nlle-Guinée- USA –France), intitulé
When we were Hela nous est livré
comme un faire-part de deuil.
Encore
une belle figure de femme avec Baymarawongga, cheffesse aborigène (Big Boss de Paul Sinclair-France) qu’on
voudrait priver de ses sites cultuels. Rapa
Nui, l’histoire secrète de l’Île de Pâques, nous entraîne dans un goulag, aux
relents d’esclavage à l’Antique ! La prostitution obligée ou la
léproserie, les Chiliens : un summum ! Le tout sur une île que les
ovins ont pelée, rasée… Toujours des Femmes dans Sovereignty Dreaming (de V. Escalante – France) refusant la
profanation des « chemins de rêves » par l’installation d’une
déchetterie nucléaire.
Un faire-part pour l’enfer
Qu’il
existe des ghettos où sont parqués et maintenus les natifs dans un statut de
non-droit pour la plupart des Etats océaniens (indépendants ou sous domination
étrangère), on se croirait dans l’Ile du Docteur Moreau de H.G.Wells !
Sauf qu’il ne s’agit pas de science-fiction ! Le FIFO joue un rôle
prépondérant dans cette divulgation des éradications programmées.
Les films entre deux eaux
Certains
films nous laissent sur notre faim. A se demander si parfois le narcissisme du
réalisateur ne l’emporte pas sur son sujet ! Dans d’autres cas, le
documentaire n’apporte pas grand-chose à une simple émission de TV déjà
rediffusée mille fois ! Certains documentaires se présentent comme un
effeuillage de photos anciennes et une tentative d’y plaquer du neuf.
A
Destremeau, un destin polynésien
(Polynésie Française – Pascale Berlin & Steph. Jacques), les jeunes
tahitiens interviewés, venus avec leur groupe de formation professionnelle, se sentent étrangers. D’abord, parce que la
population tahitienne aidant à la défense (notamment à monter les canons sur
les pentes) est totalement absente ; ensuite, parce qu’on ne montre que
des Tahitiens d’aujourd’hui ignares ; enfin parce que « c’est un
règlement de comptes politiques exclusivement franco-français où l’avis de la
reine Pomare est ignoré. »
Au bout de leurs rêves
Avec
Les Horizons chimériques (Français –
Gilles Dagneau) l’exotisme, ce goût pour l’ailleurs est-il agonisant ?
Depuis l’Iliade et l’Odyssée en Occident, le mythe du voyage ancré dans le
berceau des civilisations, est-il voué à l’échec ? La quête des valeurs
simples est-elle perçue comme désaveu et répudiation de la mère-patrie ? Aboutit-elle
forcément à la déchéance ? Le portrait de ces exilés tranche avec
l’identité conformiste de l’Hexagone.
Totalement
en rupture avec leur province d’origine ces SDF du Pacifique préfèrent mourir
au soleil. Ils ne ressemblent pas aux conventionnels popa'ā farāni (étrangers
blancs métropolitains) de Polynésie, issus de la colonisation ou de la fonction
publique, souvent affublés d’a priori incongrus ou malsains. Le monde est-il
tellement fermé qu’ils ne survivent qu’à condition de devenir transparents ?
Le documentaire de la fin des utopies paradis-îles-cocotiers. Est-ce leur
statut d’apatrides déclassés qui leur a fait remporter le 1er Prix
du Jury de la 12ème édition du FIFO ?
Avec
Bobby, le renouveau culturel polynésien
(Polynésie française, Jeff Benhamza), après avoir entonné les musiques au début
du film, le public tahitien s’en est retourné un peu frustré… Le rythme du
documentaire, ses approches aplatissent la brillance d’une figure dont ils attendaient
autre chose qu’un honneur trop révérencieux.
Les films qui font du bien
La
découverte, la symbiose, l’universalisme : on ne sait plus ce qui touche.
La vision d’une communauté à part, aux valeurs intactes ? On ne sait plus
maintenant ce qui est le plus important : alerter ou réussir une action
revendicatrice ?
Dans
la catégorie prévention, le propos est plutôt mitigé avec Tribal
scent (carmelo Musca –Australie), entre l’exploitation coutumière et la
rentabilisation industrielle du santal ; Life on the reef (Nick
Robinson- Australie) ne se prononce pas davantage sur ce soit-disant équilibre
entre protection et destruction de l’environnement.
Des modèles atypiques
Avec
Les Etoiles du Pacifique (France –
Régis Michel), la tournée du Magic Circus de Samoa, ce n’est pas seulement la
chronique d’une aventure mais le vécu d’une entreprise culturelle aux multiples
nationalités de l’hémisphère sud. Une communauté qui prône ses valeurs
humaines.
Mais,
pour ce cirque nomade, la manière dont il gère son nomadisme maritime n’est pas
sans rappeler l’odyssée du peuplement océanien. Renouant avec la tradition ancestrale
des voyageurs, il a mis en place une solution contemporaine à l’isolement des
îles. Ou comment véhiculer les œuvres artistiques sur ce continent qui comprend
plus de mers que de terres.
Un
trait entre le passé et le présent. Une réussite quant à l’équilibre de la
narration entre aspects particuliers et grande galère du cirque. Mais le film
reste inaperçu, bien qu’il témoigne du triomphe de l’humanisme dans une
microsociété.
Le sport pour tous !
Out in the line
up
de Ian W. Thomson (Australie) brise le
tabou des sous-hommes. Le sport n’appartient plus à des sponsors qui défendent
un certain conservatisme puritain. L’image pudibonde se vendant bien. Sujet
extrêmement dérangeant dans l’Océanie du surf… il présente, dans sa structure
même, la longue et pénible quête de la reconnaissance des surfeurs homosexuels.
Trop de préjugés martelés, trop d’insultes inconscientes, tuent des générations
de glisse par abandon ou suicide. Ce documentaire entre à plein dans la gueule
du « Monster » de la
Billabong à Teahupoo (Tahiti).
On
applaudit au Fifo, après chaque séance. Sujets et réalisateurs étant dans la
salle, ce fut une standing ovation pour Kumu
Hina (Hawaii – Dean Hamer), le film et la personne éponyme. Une transgenre
qui ne correspond à aucun cliché d’exhibitionnisme, de mode, qui ne cherche pas
à séduire pour se faire accepter mais œuvre pour la réhabilitation des valeurs
d’une culture souvent tronquée par l’évangélisation : une superbe leçon.
Elle
est « elle », cet « être du milieu » comme elle aime le
dire. « Ce n’est pas si simple ». Et bravo aux jurés qui lui ont
attribué le 2nd Prix du jury et le Prix du Public… d’avoir approuvé à la fois
les qualités artistiques, empathiques et émotionnelles du film. Et bravo encore
aux deux jurys d’avoir accédé à cette liberté de la transgression !
Films qui fâchent ou réalité ?
Cette
année, il semble que le FIFO ne se soit pas restreint au seul aspect attendu et
habituel depuis sa création : l’image de l’Océanien d’origine. Il a
sélectionné « la face cachée » de l’Océanie : celle qui est entremêlée,
mixée, complexe.
Être soi-même…
L’avis
des spectateurs ? Il est divisé ; parfois même opposé. Opinions
personnelles rivalisant parfois avec ce que propose l’écran. Les mentalités, c’est
ce qu’il est le plus difficile de faire évoluer. Il semblerait que les
convictions, ancrées pendant l’enfance par l’éducation, restent inamovibles,
quelles que soient les découvertes scientifiques récentes qui les réfutent.
Le
film-documentaire, de par les sujets qu’il explore, jouera-t-il ce rôle de
relais éducatif ? Est-il parfaitement avéré ou doit-on s’en méfier ?
Actuellement rares sont les documentaires aux informations falsifiées.
Vérifiées, elles peuvent juste être partielles… Tout dépend de l’éclairage du
réalisateur : ainsi certains documentaires tentent de concilier les points
de vue inverses.
Si
dans Les Horizons chimériques (Gilles
Dagneau) la transsexualité déclenche l’hilarité chez un public plus que
quadragénaire, à la séance du lendemain, un père avait amené sa jeune fille
voir Out in the line up (Ian W
Thompson), qui traite de sexisme et de machisme dans le milieu du surf. Il
n’est jamais trop tôt pour prendre conscience de la loi !
Au-delà des mots…
Sur
fond de crise mondiale, les réalisateurs ne font pas de clivage pour les sujets
de ces quelques dernières années entre les « pauvres blancs » et les
aborigènes. La ségrégation ethnique relève d’aberrations, de critères dépassés
dont il reste des traces douloureuses mais auxquelles il faut faire face. Le
Festival du Film Océanien tient compte et rend visibles ces minorités. Les
questions restent ouvertes.
Les
spectateurs océaniens étant à la fois public et sujets des films, il n’est donc
pas étonnant qu’ils assument leurs rôles de vivants sans restriction. Ainsi sont-ils
garants de toutes les étapes du vécu. Les grands monopoles se font de l’argent
sur les obsèques : secteur extrêmement juteux et inépuisable ! Ils en
viennent à escamoter aux familles leurs morts comme leur capital-décès. Et pas
de tabou pour la mort, pas de distance, on assume. Tender de Lynett Wallworth (Australie), est une autre forme de
révolte pacifique.
Fidèle
à ce qu’il avait annoncé, le FIFO 12ème édition s’est engagé dans un
patchwork des plus imprévisibles. Il a surfé sur la vague de la transgression… au-delà
même de ce qu’on pouvait imaginer !
Merci
pour ces nouveaux repères. Ces images qui composent pièce à pièce le panorama
insoupçonné de l’Océanie d’aujourd’hui, celle qui se fait maintenant… avec ses
acteurs, ses témoins, ses visionneurs.
Un article de Monak
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