La Musique des pulsations
Le groupe Manino
est à l’image de son île originelle, Raiatea : accessible et en symbiose avec une
nature encore inviolée. Comme ses habitants, ses cinq membres sont restés spontanés,
sincères, audacieux, énergiques et cependant réservés.
C’est
que l’atmosphère raromatai (nom
initial de l’archipel des
Îles-sous-le-vent) protège ses valeurs de simplicité et de naturel, à
l’encontre de l’île capitale, Tahiti. Les 210 kms de mer qui l’en séparent ne
font qu’accentuer cette divergence. Ici, tout se joue au microcosme.
Le Quintet Manino : Taiau, Heiarii, Martial, Taaroa, Clavery |
Intégrés à la vie locale de par leurs
professions, nos musiciens en sont l’émanation : ils transcrivent dans
leur allure comme dans leurs compositions l’esprit des lieux et les liens de
bon voisinage de ceux qui les entourent. C’est avec famille et fans que vous
les verrez assurer leurs prestations. Ils animent au pied levé les fêtes
privées des amis bien plus qu’ils ne se produisent en concert. En cela, ils
répondent à une longue tradition qui n’est pas encore perdue : une
certaine solidarité sociale…
Cette cordialité les distingue mais elle
ne leur assure pas le pain quotidien convoité par tout musicien de métier.
Les cinq doigts de la main
« Manino »
tire son nom du tahitien et signifie « mer calme ». Mais le groupe y
associe, en jouant sur les mots : Man « homme » en anglais et Ino «
mauvais » en tahitien. Bad men ou
« Mauvais garçons », leur convient bien, car leurs chansons relèvent
les travers socio-politiques et ne sont pas particulièrement sucrées. Ils sont
tous paroliers et compositeurs.
«Fa'aitoito atu»(Courage) de Martial, un hymne |
Jouons
encore les symboles : ils sont cinq, comme les pétales du tiare apetahi,
cette fleur unique au monde, jaillie de la terre comme une main ouverte, espèce
endémique qui ne se rencontre que sur un seul des sommets de leur île et en
butte à l’extinction.
Teihotu
Taiau, guitariste et parfois soliste, Brander Taaroa, guitare et basse, Dangel
Heiarii, guitare et basse, Terou Clavery, batterie et percussions, et Sommer Martial, le guitariste soliste :
tous choristes, ils appuient de leur polyphonie des morceaux très harmonieux.
Ainsi sont-ils en plein accord avec le fond musical indigène et les accents de
la pop music, du rock et du reggae à la polynésienne.
Vivre de son art, une illusion ?
Avec
une population insulaire dépassant la douzaine de milliers, même avec Taha’a, la petite sœur du
même lagon (cinq mille habitants) on a vite fait le tour du public. Raiatea
n’est pas un pays de Cocagne : on y travaille dur pour peu de revenus. De
plus, malgré les initiatives municipales ou associatives, la politique
culturelle n’est pas une priorité du pays qui n’a pas su allier arts et
tourisme. « Manino ne vit pas de sa musique ».
Une atmosphère mā'ohi «sensitive», chante Taiau
|
Plutôt
minces et nerveux, ils ne peuvent renier leurs rudes conditions de vie. Ils
sont artisans pêcheurs, tatoueur, restaurateur et prof de cuisine. C’est avec
la même endurance, le même souci de faire sortir leur île de l’anonymat
provoqué par la mondialisation et ses effets de crise que leurs compositions livrent
les clés des espoirs et des angoisses d’un petit peuple voué à l’économie de
survie.
C’est
le poids de l’insularité dont ils tentent d’atténuer les effets en faisant
voyager avec les sujets de leurs chansons, car en sortir autrement est
impossible pour la plupart. Et de raconter leur île, les battements de son
cœur, le dénuement des habitants et la beauté des paysages, et d’en appeler à
leurs lointains auditeurs, parce qu’ils sont d’ailleurs, de venir les voir.
Aux signes écolos affiche Clavery sur son T-shirt |
Ce
va-et-vient est vraiment une notion qu’il faut saisir si vous voulez les
comprendre. L’isolement ne les rend pas narcissiques, au contraire, leur
sensibilité est captée par le vaste monde.
.
Qu’est-ce qui fait chanter Manino ?
Le
groupe, fondé en 2009, vous dira que « la musique est une passion, le
moyen de se retrouver ensemble, de partager, de s’évader. Le
trip ! ». D’un côté, ils sont envoûtés par un cadre dont la
respiration avec la nature se ressent fortement, le lyrisme d’une culture qui
n’en finit pas d’émouvoir, de communiquer de façon invisible ; de l’autre,
avec l’instrument c’est le bouillonnement, la connivence, le dépassement.
Mer, résonnances & tātau* : la Polynésie… |
Dans
leur île, « radeau frêle sur
l’océan » où le regard s’hyptnotise à force de fixer l’immensité étalée
à perte de vue, tout geste humain prend de l’importance. Car il s’inscrit sur
la force impressionnante des éléments. La musique est chez eux un mode de
communication et non d’assourdissement, ni même un dérivatif ou un prétexte à
s’étourdir. C’est au croisement du fond musical polynésien et des influences
universelles qu’ils se situent : à l’intuition, au feeling, au cœur, à
l’oreille. « La musique est généreuse, elle nous laisse tout
faire » !
«Fa'atura*» à la barre des fans de Heiarii |
Leur
raison d’être est là : donner de soi « pour changer un peu »
disent-ils modestement. En réalité, c’est le ressenti de la musique qu’ils
proposent, contrant ainsi la mode des incontournables boîtes à rythme
commerciales, des musiques scratchées par DJ ; évacuant la mécanique des loops rythmiques (des rythmes en
boucle), ils privilégient le mélodique.
La musique se dit…
« Rien
de tel que la musique pour faire passer des messages » disent-ils, petits
bonheurs et angoisses. « La vie en Polynésie, l’amour, les bons comme les
mauvais côtés » sans négliger le fiu :
la lassitude, le désespoir de ceux qui triment en vain. Sur ce thème, Faaitoito atu (Courage …), composition
du soliste Martial, lance sa clameur aux cieux qui veulent bien
l’entendre !
Reggae men, Va’a* men, Bad men |
Au
cœur de leurs préoccupations, dans un espace que la planète folle prédestine à
la montée des eaux et aux retombées atomiques, toutes les formes de pollution
et leur prévention : « l’écologie, la religion, la corruption
politique… Là encore, les bons et les mauvais côtés »
Et
ils n’oublient pas… autant ils savent protester contre les travers de nos
sociétés… autant ils savent remercier ceux qui les ont aidés. L’association
culturelle et écolo Tuihana « pour
les avoir lancés », le groupe musical Toa'Ura qui
« leur a offert leur première grande scène »… et puis « tous les
musicos qu’on a rencontrés depuis le début, nos familles… nos fans (s'il y en
a! lol) ! »
Belle
déclaration d’amour !
Le cœur encore…
Chantres
de la consécration de la terre dont ils sont héritiers, de leur berceau et de
« la sauvegarde des sites naturels, culturels et cultuels » de
l’archipel, à l’instar de Tuihana,
dont la formule citée ci-dessus, vaut le détour, ils n’ont pas fini de
s’exalter…
Un «bœuf» Queer* des plus étranges |
Et
je ne résisterai pas à vous livrer ce petit moment, exceptionnel pour nous mais
courants pour eux, d’une soirée à l’Hawaïki Nui hôtel. C’était « alerte
orange » au cyclone sur l’île. Les arbres menaçaient les chaussées, la mer
était démontée, les routes submergées, la population conviée à se barricader
chez elle en certains points de la côte. Seuls, les plus proches résidents ou
les plus téméraires avaient affronté pluie et vent.
Manino,
venu tôt, assurait son rendez-vous… sous la bourrasque, les coups de vent qui
s’infiltraient dans le grand hall, le tambourinement entêté de la pluie sur le
toit… Les bougies disposées sur les tables en cas de panne de secteur…
Regardez…
Des accents Manouche, des grattes* façon Santana... c'est Manino…
« Manino »,
c’est cet esprit… où chacun est le bienvenu, où la parole donnée est honorée,
où même les plus petits ont leur place, où chacun peut venir chanter avec eux…
Et
ça ne s’oublie pas.
Un article de Monak
Leurs titres phares* :
- Pohe ha'avare (sensitive) & Te hia'ai nei (envier)
de Taiau
- Pi'i no tua (appel de l'océan) & Faahuehue (foutre la merde) de Taaroa
- Fa'atura (respect)
& Ua ao Ua po (le jour, la nuit) de Heiarii
- Toparaa mahana (coucher de soleil) & Faaitoito
atu (courage) de Martial
Un peu de ma’ohi* & autres langages :
Fa'aitoito :
Courage !
Fa'atura :
Honorer, exalter, respecter…
Tātau :
tatoo, tatouage.
Va’a :
pirogue à balancier (voir sur photo : va’a à Mahina- Tahiti)
Gratte :
guitare
Bœuf : improvisations
musicales entre deux groupes
Queer :
étrange… avec le duo King’s Queer en tournée dans les îles
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