Le
Tourisme autrement
Loin des chaînes
hôtelières formatées, des prestations banalisées aux quatre coins du
monde ; loin des slogans accrocheurs vantant et vendant du fantasme à
portée de main pour mâle en appétit de goguette exotique…
Il est des foyers
de villégiature, les deux pieds dans la réalité, qui savent offrir
intelligemment, en un panachage entre cœur et culture, une image non-dévoyée de
la Polynésie.
Parmi
les professionnels du tourisme, ceux-là même qui actent sur le terrain et
assurent 24 heures/24 une hospitalité conviviale, il est des figures dynamiques
qui savent à la fois susciter les attentes d’hôtes éventuels et valoriser la
véritable prodigalité des habitants de Raïatea.
Le
tourisme c’est maintenant, c’est aujourd’hui. Patricia Russmann-Maurin,
Tahitienne, directrice générale de l’Hawaïki Nui Hôtel au sein de cette île,
vous fait part de son optique.
La passe entre récif corallien et motu |
Pour ma part, c’est en toute objectivité, car
je l’ai vérifié à plusieurs reprises lors de mes séjours à Raiatea, que je vous
livre les fruits de ma découverte et les propos enregistrés de Patricia sur
panoramas de cette unité d’hébergement à dimension humaine.
Un environnement en évolution
Prôner
un tourisme mixte, pour ne pas dire « fusionnel », c’est-à-dire à la
fois représentatif de l’âme d’un peuple et à l’unisson avec la curiosité dénuée
de préjugés de voyageurs attentionnés… Entretenir ainsi le sens du partage … Privilégier
un panel de villégiatures destiné autant aux autochtones qu’aux hôtes
internationaux, c’est tenir compte des nécessités et des aspirations insulaires
de ce territoire d’Océanie. Car, ne l’oublions pas l’île de Raïatea est le deuxième
pôle économique de Polynésie française.
Ce
noyau atollien draine, avec ses
activités agricoles « raisonnées » et ses productions industrielles
en pleine expansion, les populations des Îles-sous-le-Vent, mais aussi des archipels
proches. Il le doit à son unité hospitalière, sa capitale administrative, ses
collèges et son lycée, ses essences florales uniques (le tiare apetahi), son
capital halieutique, son marché lagonaire -incluant la vanille et la nacre de
Taha’a- et ses sites ancestraux.
Un hôtel au ras du platier |
Comment
adapter le tourisme pour qu’il soit partie intégrante des autres secteurs
d’activité ? Comment répondre aux intérêts divers que sont l’emploi,
les déplacements vitaux et le tourisme à vocation culturelle ? Comment
intéresser le touriste à la vie locale, l’associer aux vrais enjeux, ceux qui
ne soient pas dénaturés par le consumérisme ?
La
quête de cet équilibre semble avoir animé, sous différentes formes, l’aventure
de l’Hawaïki Nui, depuis sa création…
Il était une fois
Il
était une fois… une île. L’île de Ra’iātea. Elle aurait
porté le nom mā’ohi d’Hawaiki Nui ou Havai’i Nui, signifiant "l'île d'où l'on vient"
ou "Le grand paradis des âmes",
selon d’autres sources. Il était
donc, il ya très longtemps, l’île des origines.
Il était, bien longtemps
après… dans la baie de Tepua, au creux du lagon ouvert par la passe de
Teavipiti et face au motu de Taoru,
le premier site de bungalows hôteliers sur l’eau. Conçu par l’architecte
tahitien Gérald Garnier, il émane d’un trio de Californiens, les « Bali
Hai Boys » soit Hugh
Kelley,
Jay Carlisle et Muck McCallum. Implantés
au tout début des années soixante dans l’archipel polynésien de la Société, ils « seront les
vrais créateurs du tourisme des îles » :
de Moorea (1961) à Huahine
(1973).
Les Bali Hai Boys |
A
Raiatea (1966), ils « créèrent
un hôtel qui devint vite le centre social de l'île avec ses bringues tous les
soirs, ses tours de l'île en truck et ses promenades sur la pirogue "Liki
Tiki" (phonétiquement "tiki qui fuit" en anglais), le tout bien
arrosé.», nous avise la "philosophy" du Club Bali Hai.
Au menu du bain insulaire : gastronomie, danse, musique avec le chanteur
musicien paumotu et ex-pêcheur de nacres, Vilivala, …
C’était
l’époque où les charters déversaient de par le monde leurs lots de curieux.
Depuis et aujourd’hui encore, les taxes prélevées par le fenua polynésien,
grevant les Compagnies aériennes et les Tour operateurs, adieu le tourisme
culturel bon marché et bonjour la raréfaction des voyageurs !
Cependant,
le Bali Hai Raiatea sinistré par un incendie, vendu, devenu Hawaiki Nui Hôtel, dans
la seconde moitié des années quatre-vingt, se transmet le legs de « la Polynésie respectable, celle de l’âme
festive, de la belle époque de la fête et de l’ambiance », précise
Patricia R-M. L’héritage de la tradition familiale des veillées accompagnées de
chants, la fibre conviviale bon enfant que les Bali Hai Boys avaient su
comprendre et entretenir…
En toute cordialité !
L’une
des particularités de L’Hawiki Nui, vu la date de sa fondation, car il
figure parmi les plus vieux hôtels polynésien, reste ce lot de savoir-vivre et
de raffinement allié au charme de la simplicité. Pittoresque appariement d’une
fraîcheur incomparable !
Reste
aussi le cachet indiscutable de ces bungalows sur lagon, conçus sur le modèle. des fare
sur pilotis, propres à l’habitat ancestral littoral polynésien. Si ce prototype
de structure légère reste pionnier dans l’histoire du tourisme balnéaire
mondial, imité inlassablement depuis, il a fini par « se consolider », faisant corps avec le socle corallien. Il
abrite toujours les mêmes faune et flore aquatiques initiales sans dégradation.
« Les auvents munis de pareu rouges
sont remplacés par des baies vitrées, le plancher découpé de plexiglas, laisse
voir de nombreuses espèces, frayant au-dessus du platier, cet immeuble à
poissons », souligne Patricia.
Une aquarelle pour l’immortalité… |
« Si la ville s’est blanchie, si les
Polynésiens s’habillent en popaa, Raiatea fait preuve d’une autre mentalité,
celle d’une petite sous-préfecture tropicale. L’Hawaïki Nui, ici, c’est l’hôtel
des îles, l’hôtel de la gare
(maritime et aérienne). Uturoa, de par sa fonction administrative, mélange locaux
et touristes. » Toute
l’originalité est là ! « L’accès
n’est pas restreint. » A la différence des hôtels de luxe qui, craignant
la promiscuité, le froissement éventuel mais improbable entre les communautés,
préfèrent sauvegarder le caractère impersonnel de leur établissement.
“Joie de vivre” ?
L’Hawaïki
Nui, c’est l’hôtel typique. « Le
cadre que nous offrons, la dimension de notre unité hôtelière, permet le
côtoiement de groupes ethniques variés. Il prend en charge, il gère la
diversité de la clientèle. Il fédère les individus autour de la joie de vivre. »
Pourquoi gommerait-on cette humeur communicative ? « L’ukulele ou la guitare » n’occasionnent
qu’une contamination sans danger.
Encore heureux qu’il existe des lieux où
l’effusion soit admise ! Cette opportunité provient-elle exclusivement du
fait que la gestion soit autochtone ? Il est vrai que « la conception du service bénéficierait à
être révisée dans les grands hôtels polynésiens. Le personnel ne peut se traiter
comme une entité abstraite ou anonyme. Dans leur formation les gestionnaires
devraient passer par un sas : pour comprendre… qu’ils ont à faire
avec de “vrais gens”, qui véhiculent avec eux leur façon, propre à eux,
d’appréhender la vie.»
Des tempéraments aux grâces florales |
« Il est un principe tout polynésien qui
tempère la relation à l’emploi : les gens oublient qu’ils travaillent, ils
sont là pour faire plaisir. Ils ne travaillent pas par obligation, mais parce
qu’ils vous aiment. C’est la base. » Le devoir remplacé par le
sentiment, c’est tout un monde !
« Aimer, c’est respecter. La démarche est
réciproque. Aimer, c’est valoriser : reconnaître avant tout que nous
sommes face à des êtres humains, vivants, bruts, avec leurs problèmes, et que
notre tâche est de les personnifier.
« Le travail, c’est une maison où les
problèmes sont oubliés »
Un service à la polynésienne !
Privilégier
le tempérament de chacun, c’est juste un peu plus complexe, mais tout aussi
efficace : car fusent les prises en charge et les initiatives. C’est
accorder aux employés « la libre gestion
de leur temps, ce n’est pas la même logique ; mon côté cartésien
s’inquiète et se tord les entrailles ; mon côté polynésien me serine qu’il
faut savoir prendre patience. Tout se passe bien. »
« En quatre ans, je n’ai pas épongé de
problèmes. L’hôtel est approvisionné par les maraîchers et les pêcheurs locaux.
Une mama apporte chaque matin son panier de fruits de la passion. Les jus sont
pressés à la demande. On sert à la polynésienne (présentation végétale), on
mange polynésien. »
Côté bungalows… |
L’animation
fait appel quotidiennement aux artistes locaux et s’adjoint d’autres provenances le week-end, collaborant
avec les associations artistiques ou culturelles proches ou lointaines. Les
inspirations et les influences se métissent. La clientèle est choyée, venant
fêter un événement familial. Le bonheur, c’est communicatif.
J’ai
vu : « un personnel heureux ! »
Un tourisme interactif
La
démocratisation
du tourisme
reste-t-elle toujours entachée de relents péjoratifs et calamiteux ?
Continue-t-elle à faire de l’ombre aux monopoles du tourisme mondial, auprès de
qui peuvent se servir et spéculer quelque représentant des instances
publiques ? Toujours est-il que le « tourisme culturel », quand
il ne sert pas de panneau publicitaire électoral aux grands de ce monde, essuie
quelques difficultés pour sauvegarder son intégrité.
Ambiance fare et toit de niau
Replaçons
l’Hawaiki Nui dans son contexte : « Raiatea est une île de retraités ; de Polynésiens qui reviennent
sur leur terre après un long séjour de labeur à Tahiti, contraints et
forcés ; de retraités français aussi ; de fonctionnaires. Les jeunes
partent à l’Université (Tahiti encore) ou s’ouvrir l’esprit ailleurs » Le
tourisme n’y cible donc pas les jeunes.
« La baie
d’Uturoa attire plutôt les plaisanciers, les amateurs d’épaves et d’histoire,
les écolos : le site est protégé. L’île est spacieuse, facile à vivre,
bien desservie (3 à 5 vols par jour), pourvue des commodités nécessaires, tout
est à portée de main. Les motu sont aménagés et publics. »
Raiatea
ne se complait pourtant pas à la somnolence de son patrimoine immémorial et de
ses vestiges sous-marins… Raiatea est
une île qui bouge : sur la trace de ses ancêtres officiant sur les marae,
dans le sillage des trois-mâts gisant par 25 mètres de fond, comme le Norby visité
par le Club de plongée Hémisphère Sub, au large de l’Hawaïki Nui ; au son
de ses musiciens vénérables ou de ses nouveaux compositeurs comme le Manino
band… au swing de ses groupes locaux de danse ; à l’écume de cette course
annuelle en pirogue, l’Hawaiki Nui Va’a… L’île est prolixe.
Plonger pour l’histoire et le plaisir ! |
Quant
aux touristes : « On veut bien
les aimer, à condition qu’ils soient aimables ! Ils n’ont pas à être
désagréables, à faire des plaisanteries déplacées ; à nous servir le mythe
occidental de la vahine, plutôt gerbant, surtout pour les jeunes couples en
voyage de noces ! Cette image est totalement négative pour le tourisme. Ce
n’est pas parce qu’ils ont dépensé une fortune, qu’on leur doit tout. En grosse
majorité, ils ne sont pas déçus, plutôt contents. » Dépaysés d’une
certaine façon, mais sacrément entourés.
« Le
vrai tourisme, c’est ce brassage interactif.
Un avenir pour l’Hawaiki Nui ?
Bien
que les requins du tourisme mondialisent leur panoplie de loisirs et de
résidence en assortiments de plus en plus onéreux et extravagants en Polynésie,
la recette –dans tous les sens du terme- ne s’avère pas rentable ! Pire,
elle pousse cette activité à végéter car les clients s’en détournent. Chicanant
sur les postes budgétaires, ils se sont vu aux prises avec une grève, à Tahiti comme
à Bora Bora. Les grandes chaînes hôtelières continuent à fermer certains sites
et ne font pas le plein des chambres restantes !
Accueil en l’île. |
L’Hawaiki
Nui semble au contraire satisfaire un taux de fréquentation constant et
dynamique. Malgré les tribulations financières qui touchent, pour d’autres
raisons, son propriétaire actuel.
L’Hawaiki
Nui est-il réellement en danger ? Les bruits courent. Mais il serait
dommageable pour un hôtel, si bien inclus au cœur de la ville, de la vie, des
habitants de Raiatea, que la menace se confirme.
L’élégante dame aux pieds nus… |
Toujours
est-il que l’élégante dame aux pieds nus et aux multiples pareu assortis aux couleurs du temps… l’âme actuelle de l’Hawaiki
Nui, poursuit sans relâche son office de vestale des lieux.
Elle
y entretient la flamme de l’hospitalité sincère, de la prévenance, du goût, de
l’ardeur, de l’ouverture d’esprit, de l’allégresse et de la félicité. Une
véritable célébration du séjour idyllique ou du paradis sur terre, si vous
préférez…
Une
belle manière d’afficher sa polynésianité…
Un article de Monak
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de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur
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