Un parfum d’agrumes
Pas plus de 70
km de long et 40 km de large, le Cap Bon, à la pointe nord de la Tunisie,
s’étire vers la Sicile. Bordé par le Golfe de Tunis (à l’ouest) et le golfe de
Hammamet (à l’est), ce minuscule appendice n’en est pas moins l’une des cartes
de visite de la Tunisie.
Déjà
les rivages sont en odeur de brises légères et résonnent de la douce ambiance
des stations phares du tourisme tunisien. Les plateaux intérieurs (culminant à
quelques 600 m) se colorent du croquant des cultures maraîchères et pétillent
en aromes d’agrumes, de jasmins et du nectar des vignes.
Et la terre se magnifie |
Le jardin de la Tunisie jouit d’un microclimat et de
paysages idylliques, bénis par les dieux de la mer depuis l’Antiquité.
« Chôra » (ou terre fertile) punique, « promontoire de
Mercure » pour les Romains, la région servit d’isthme aux invasions venues
de la Méditerranée du nord et d’ultime refuge à l’allemande Afrikakorps, avant
sa capitulation en 1943. Mais ce ne sont que minces ridules qui ont à
peine égratigné la sérénité de tant de siècles !
Le verger prospère, du fait peut-être de sa
situation excentrée. Ce n’est vraiment qu’au 20ème siècle que la
région fait office de pont avec l’Europe, en tous points conforme aux flashs
publicitaires. De mars à octobre, une saison édénique s’offre à la floraison
des orangers.
Un calendrier festif
Chaque
village vit au rythme de ces efflorescences. Nabeul, comme Menzel Bou Zelfa,
clôt la saison des agrumes avec sa « foire des fleurs et des orangers ». Elle
rassemble, au souk El Felfel en avril, des fantasias, des spectacles, des étals
de poteries et de sparterie de Nabeul. Elle distille la nouvelle eau de bigaradier
-zhar-, pour couronner une année de labeur. La tradition s’évente un peu mais
se maintient avec moins d’éclat.
Un festival qui prône la protection des espèces |
El
Haouaria célèbre l’épervier en un festival qui concorde avec les pauses
migratoires de ces rapaces (mai-juin). Les scènes de chasse font perdurer un
patrimoine bien lointain : la caille pour l’épervier et la perdrix pour le
faucon borni. Originaire de l’époque carthaginoise, ainsi que l’attestent les
mosaïques locales, cette célébration prend des allures de tourisme écologique.
Qui
dit verger évoque oiseaux : Hammamet est la ville des colombes (hammama), comme
des bains (hammam). La proximité marine se conjugue avec l’art de la volerie.
La fête du thon à Sidi Daoud (mai-juin) figure en bonne place. L’halieutique,
ainsi que toute activité concernant l’environnement, fait partie des
préoccupations de la Tunisie, en cette époque de disparition des espèces
animales.
Le
petit port, dont l’origine serait andalouse, attend inexorablement l’arrivée du
banc de thons providentiel, pour s’adonner à la « matanza », entre filets et
plateau continental corallien.
La « matanza » à Sidi Daoud
Hichem
Ben Ammar relate cette tradition de la pêche artisanale dans le court-métrage
Raïs Labhar (Ô Capitaine des Mers, 2002). L’écrivain Hedi Khelil, dans le
journal La Presse le commente ainsi : «… exaltation d’un métier qui est sur le
déclin. Le vieil homme, handicapé par un rhumatisme ravageur occasionné par
l’eau de mer, affirme que sa destinée se dirige naturellement vers ce qu’il
appelle « le cimetière des éléphants » où sont et seront enterrés les
derniers guerriers de la matanza. Le jeune homme, barbu, toujours sous le
charme hypnotique de la mer, récitant par cœur dans ses heures perdues, les
vers des grands ténors de la poésie érotique arabe classique, dit, avec la
ferveur et la surexcitation d’un hédoniste amoureux, qu’il ne mourra que dans
la mer. Le film prend fin, d’ailleurs, par le plan stylisé d’un grand plongeon
qu’il fait du haut de la falaise. »
A
ces fêtes populaires du corps et de l’exploit inscrit à l’ordre d’une nature
prégnante, s’ajoute le festival des Arts vivants de Hammamet (juillet-août).
Prisé autant par les artistes tunisois que par les familles du coin, il mêle
œuvres d’avant-garde et spectacles folkloriques. Toujours dans la tradition du
pays
et des amphithéâtres romains, la scène, construite en 1964, est de plein-air.
Au bonheur des corps et des sens
La
mer, la pureté de l’eau, cette blancheur de colombe et des rivages marquent
l’harmonie de la côte est. La zone hôtelière s’étend sur plus d’une vingtaine
de kms entre Hammamet et Nabeul.
Elle
doit sa flambée touristique à un milliardaire roumain, Sebastian, se faisant
bâtir une villa avec dépendances sur un terrain littoral en 1920. Il y invite des
artistes comme Gide, Roger Martin du Gard, Bernanos, Klee et F. L. Wright. Et
le lieu devient foyer culturel. Il attire, dans les années 60, d’autres célébrités
qui s’installent saisonnièrement à proximité. A sa mort, Sebastian lègue la
propriété à l’Etat. Le domaine est aujourd’hui un Centre Culturel
International.
Dar Sebastian, Centre Culturel International, fait
bouger Hammamet
La
ville se répartit, à partir des sites antiques de Siagu et de Pupput, entre une
minuscule medina entourée de remparts pieds dans l’eau et une ville plus
moderne, enserrant des monuments du XVème siècle -grande mosquée et
sanctuaire-, ainsi que des galeries d’art.
A
l’autre bout de la chaîne, Nabeul -anciennement Néapolis- perpétue ses poteries
artisanales jaunes et vertes rehaussées de motifs géométriques et floraux. Des
fabriques plus modernes se lancent dans la céramique culinaire et artistique. Le
musée archéologique, lui, regroupe les mosaïques de la région. Longue
continuité depuis les carrières d’argile sises de part et d’autre de la ville.
Au cœur des mutations
Ce
qui caractérise le Tunisien, c’est sa mobilité : empreinte d’un atavisme
nomade, sans doute. Si l’époque de l’Indépendance des différents Etats du
Maghreb a fixé des frontières infranchissables et a arrimé les populations par
une politique de sédentarisation, les stigmates en sont encore bien repérables.
Sources guérisseuses ou aïn cheffa |
L’approvisionnement
des marchés freine l’engouement des familles à venir s’approvisionner à la
source, ce qui expliquerait la baisse de fréquentation des festivals
populaires. Mais le déclic fonctionne encore autour des eaux florales : l’eau
de rose (ma warda) pour hydrater et
rééquilibrer l’épiderme et l’eau d’églantier pour le tonifier (nesri en langue tunisienne). Et, pour
faire bonne mesure, le nesri parfume
les gâteaux domestiques comme le ka’ak (sorte de biscuit dégusté en le trempant
dans de la citronnade).
L’activité
du Cap Bon se consacre aussi à d’autres formes de bien-être. Deux stations
thermales regroupent une multitudes de sources chaudes, à flanc de coteau comme
en bord de ce littoral ouest escarpé : Aïn Oktor et Korbous. Déjà fréquentées
par les Romains, délaissées après la conquête arabe, elles sont réhabilitées
par Ahmed Bey, au XIXème siècle. De tous temps (ou presque) les vertus des «
sources guérisseuses » (aïn cheffa) attirent un tourisme thermal.
Les sources chaudes de Korbous, un bienfait
La
région connut bien des va-et-vient et des brassages de populations avec les
carrières de Ghar El Kebir. Même les pierres ont voyagé à dos d’esclaves, pour
édifier les monuments de la capitale, depuis les Carthaginois.
La
ville punique de Kerkouane entretient son énigme et la question reste entière
de cette brutale désertion inexpliquée : pourquoi le site s’est-il vidé de ses
habitants ? La vie y paraissait florissante comme semble le prouver cette
baignoire, installée à une fenêtre avec vue sur mer.
Le
port de Kelibia, survit, quant à lui. Sa forteresse byzantine abrite des
vestiges de citernes, le tracé d’une église. Lieu magique de spectacles sous
les étoiles, tout comme son vis-à-vis, sur le golfe opposé, Korba.
Au parfum de nesri (églantine) |
L’orange ?
Un fruit qui fait voyager. Introduit en Perse, en Egypte et au Maghreb par les
Arabes, elles se distinguent en deux grandes familles : les sanguines et
les blondes. Tiens ! Un parfum de réminiscence… Pas vous ?
Quant
à Gisèle Halimi, elle publie en 1988, Le Lait de l’Oranger. Un mythe bien contemporain à découvrir…
Un article de Monak
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