Un parfum de liberté
Que
notre siècle en soit venu à ajouter « pour tous » à « égalité »
c’est le comble ! Le comble de la tautologie, du bégaiement de notre
culture. Reste que depuis le vote de la loi Taubira souffle comme un vent de
liberté. A fêter, sans nul conteste.
Ce
soir c’est la fête au Kim Ba, tout comme dans trois arrondissements contigus de
Marseille qui comptent d’autres bars Gays, Lesbiens et Trans : « Apéro
de l’égalité », ça ne s’invente pas. La pression de ces dernières semaines
vient de tomber. Reste la suite, qui ne sera pas plus simple à gérer.
Au quartier des artistes |
Sophie
Roques, responsable du groupe HeS (Homosexualités
et Socialisme) Marseille, en collaboration avec la LGBT (Lesbiennes Gays Bi
Trans) joue la DJ au patio et l’hôtesse entre rue et comptoir. Car il faut bien
le reconnaître, l’accueil est convivial. Chacun vient à la rencontre de
l’inconnu. Serait-on en terre de fraternité ?
Flânerie nocturne
J’aime les villes, la nuit… (Ce n’est pas de moi, si,
enfin, bien sûr*, avec les réminiscences d’un ailleurs)… cet air léger, cette
haleine chaude du sud flottant du sol au crépuscule. Cet après-midi, c’était t-shirt
plein soleil, comme pour marquer une nouvelle ère. Une saison imprévisible,
fragile : le couple homo passe la grande porte des droits.
Même s’il y a eu bousculade à l’entrée, ce soir on
se lâche. On badine, on s’égaie. Entre
préjugés et clin d’œil, on caricature, on « galège » ! Ce n’est
pas tant le « cérémonial, ni l’institution, sa musique et
ses flonflons… mais ce qu’elle représente : la grande maison de la mairie
qui vous reluquait de travers. Le gars à l’écharpe tricolore… » (me
souffle A), il martèlera d’un grand coup de tampon encreur, les « noms
paraphés au bas du parchemin* ».
Marianne fête
l’égalité
Ce n’est pas non plus que l’homosexualité se sente
obligée d’abandonner l’amour libre… mais l’important c’est « d’avoir le choix », comme tout un chacun. « C’est aussi qu’en cas de séparation,
on arrête de nous faire le coup de l’humiliation condescendante… comme si
c’était une dégradation que de passer d’un mariage hétéro à un PACS homo…
Beaucoup se sont vu sucrer la responsabilité (des gosses)… » confient
Al et Ph. Condamnés pour non-délit, c’est comme si on accusait Marianne* de ne
pas aller à la messe !
Impressions d’un promeneur solitaire
Du vieux port, j’ai remonté la Canebière, grimpé par
le quartier Noailles vers Notre-Dame-du-Mont, accédé au Cours Julien. Un climat
artiste, bohème, entre Beaux-Arts et Musique, terrasses sous les arbres,
ouvertes à la nuit. Depuis hier, mais n’est-ce qu’une impression ? On
aurait dit que la « clandestinité »
de ces derniers mois s’est enfin dissipée. La tension de la haine a enfin lâché prise… juste pour une nuit ? Les voix se font à nouveau entendre, sans
crainte de représailles.
Je les entends, un peu plus audibles dans les
magasins, depuis cette fin de matinée où tout a été joué, se programmant une
grande bouffée festive. C’est fou tous ces couples homosexuels que je viens de
croiser… sur le chemin de « chacun sa fête ». En cette soirée
historique, quelles que soient les annonces UMP
2017 de tentatives d’abrogation.
«Apéro de l’égalité», la coolitude… |
Ce soir, Marianne accepte d’embrasser la République à
pleine bouche et ce ne sera plus indécent. Ce soir, on jouera la parodie du
saccage des bars Gays métropolitains de ces dernières semaines. Sans trop y
croire, car Marseille, plutôt bonhomme, n’a pas connu le déferlement homophobe
de ses voisines à l’Est. « Des
incidents, oui, qui ne sont pas pilotés par des ligues déclarées ». Mais
tout le monde connaît la dangerosité des phénomènes de groupe, surtout en
matière d’agression ; combien le collectif déresponsabilise l’individu, caché
derrière l’anonymat, et annihile tout sursaut de conscience.
L’école de la république
Marianne s’est remise à l’école de la
république où l’intégrité de la personne constitue l’un des principes
fondamentaux : « L'égalité
ce sont les mêmes droits pour tous, quels que soient son sexe et son
orientation sexuelle, tel est le sens du 31ème des 60 engagements pour la
France présentés par François Hollande. »
Eventail de sympathisants
plutôt éclectique au Kim Ba : à l’instar
de l’Association promotrice de l’événement, composés d’hétéro et d’homo. « Eh oui ! Preuve qu’on n’est pas
à côté de la plaque ! », « On
fait même excellent ménage ! », galège-t-on. Les membres Hes sont
des individus (d’appartenances politiques ou associatives différentes ; 40
Hes Marseille / 800 pour la France). Coordonnés avec les associations
homologues européennes, ils se réunissent pour résilier les discriminations.
Ils y planchent depuis 1983, date de la fondation de l’association.
L’émotion du 23 avril avec « Hes Marseille »
« La
tâche n’est pas facile. On a beaucoup galéré. A chaque fois qu’un gouvernement
de gauche soulève des questions de société ou d’éducation, c’est le tollé à
droite. Qu’on se souvienne des manifs pour l’école sous Mitterrand ! » explique un militant.
Echos de comptoir
Du zinc au trottoir, le courant passe. La blague du
moment, c’est de lancer à la cantonade : « A quand le mariage ? », « Vive les mariés ! »… Et chacun de pouffer de rire.
Car rien ne sera vraiment mis en place avant juillet. Il est long le parcours
d’une loi ! Et si l’atmosphère est à la réjouissance, pour l’instant
Marianne n’a que des prétendants.
Elle
ne s’en plaint pas d’ailleurs. Toute curieuse de savoir comment vont évoluer
les regards. Quelques trente ans depuis sa dépénalisation et l’Homosexualité n’a
pas essuyé que de l’innocence ! Certains ne le découvraient que cette
année ! Plus pesant que les mentalités, il faut vraiment chercher. « La culpabilité qu’on voudrait nous
coller est vraiment tenace !», «Sans
parler de la honte ! »
On
admet que « ça » n’arrive pas qu’aux autres. Mais le dialogue avec
les parents reste souvent impossible. « En
fait, on ne le dit pas, on l’avoue ! » Et le baiser est encore
entaché de répulsion : « Quand
on n’a pas la beauté des dieux ou le look d’un top model on est taxé de grand
dégoûtant ! »
Impressions d’égalité |
« On y
est venu en famille, déclare N., exprimant
par-là, la reconnaissance des tendances de son jeune fils adolescent. Il n’y a pas d’âge pour se définir comme
citoyen à part entière. C’est à lui
de se déterminer par la suite. En toute connaissance de cause ! »
« C’est tout de même plus sain que
de faire semblant », déclarent-ils de concert. « Moi, je veux vivre, c’est tout ! Vivre, ça veut dire au
grand jour ! »
Dernier regard sous la lune
Ma
pérégrination s’achève sur les sentes d’une ville presqu’endormie posant un
regard lunaire et froid sur les soubresauts d’un monde irrationnellement et
inutilement divisé. Un clan appuyé par des institutions qui sacrifierait la
moindre parcelle de sentiments. Une minorité soumise à leur bon vouloir. Un
chaos où seraient tués ceux qui s’aiment. Un monde où ce qui est humain deviendrait étrange et
étranger*. Et l’amour m’est plus qu’humain et si proche !
Peut-être
avait-elle fait l’école buissonnière, Marianne, depuis 1791… Est-elle à ce
point inattentive qu’il ait fallu redéfinir le mot égalité et les droits qu’il
recouvre ? Quant à ses devoirs vis-à-vis de tout citoyen, soit elle les
avait bâclés, soit elle avait fraudé. Corriger ses erreurs, n’est-ce pas la
remédiation ?
…nuit câline « pour tous » |
Au
retour de ma déambulation nocturne, la ronde de nuit d’une voiture de sécurité.
J’ai flashé des camionneurs en goguette, cinq SDF squattant les marches d’un
édifice, trois mineurs chantant dans un bout de square, une ombre en kamis, un
dromadaire en paréo. Marianne, encore longue d’inégalités, ta traversée du
désert !
Un article de Monak
*C’est
beau une ville, la nuit : livre (1988) et film (2005) de Richard Bohringer
*Brassens :
La non-demande en mariage(1966) : « J’ai l’honneur de ne pas te
demander ta main, Ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin »
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