Des martyrs à l’indépendance
La
« fête des martyrs » commémore les héros de la cause indépendantiste
tunisienne, victimes de la fusillade par les forces françaises installées en
Tunisie sous le régime du protectorat. Mais bien davantage encore : car ce
jour du 9 avril 1938 à Tunis inaugurait le véritable engagement du mouvement
national tunisien.
Alors
pourquoi le gouvernement provisoire actuel cherche-t-il à l’oblitérer depuis
deux ans ? Pourquoi réprime-t-il ce symbole de la libération d’un
peuple ? Justement au lendemain de la révolution de jasmin qui le délivrait
du joug de la dictature ?
2013 : le cérémonial tabou |
Il
est des signes qui ne trompent pas sur la santé d’une nation. Amnesty
International ainsi que la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) le
notifient en en appelant à l’opinion mondiale pour dénoncer les abus d’un
pouvoir qui en bafoue les principes légitimes. Le jour férié décrété national
depuis 57 ans de constitution républicaine ne semble pas du goût des nouveaux
potentats.
L’émergence
d’une nation
Ces « événements » (sic) font des morts sous le Protectorat
français. Le régime imposé à la Tunisie par la France depuis 1881 se
caractérise par son impérialisme. Le Front Populaire « évoque en
1937 la possibilité d’accorder aux Tunisiens une certaine forme d’autonomie
interne ». Sa chute verra les espoirs du Néo-Destour
déchanter face à une Résidence générale devenue intransigeante.
Suite à la grève générale du 8 avril 1938 et à la sommation à comparaître
du militant Belhouane, la manifestation du lendemain, bastonnée dans un premier
temps, se soldera par des émeutes réprimées à l’automitrailleuse au sortir de
la médina de Tunis.
Grève générale 38, devant la cathédrale |
Sont dénombrés officiellement 22 morts et 150 blessés face aux forces
coloniales : gendarmes, policiers, zouaves (dont un poignardé). L’état de
siège, décrété à Tunis, à Sousse et au Cap Bon s’accompagne de trois mille
arrestations. Cinq ans de prison pour Bourguiba, à la tête du Néo-Destour, qui
entre en clandestinité et radicalise sa lutte pour l’indépendance.
Une
question de nationalisme
L’idée
de modernisme n’est pas neuve en Tunisie. Elle flottait déjà chez les
intellectuels avant la colonisation. Le Néo-Destour s’inscrivait dans cette
mouvance ; ce n’est pas un hasard si l’identité tunisienne se démarquait
du reste du monde arabe ; et la
dictature Ben Ali n’aurait jamais touché aux bases de la Constitution.
En
cette treizième année du 21ème siècle, la société civile, les partis
d’opposition ne cessent de rappeler cette identité nationale, promue par
Bourguiba dès 1956. Elle devient dérangeante. En veut-on des preuves ? L’actuelle
Assemblée Nationale Constituante (ANC) voudrait en effacer l’existence, jusqu’à
celle de son promoteur. Et les signes
sont grossiers. Sa dernière statue, celle de son retour triomphal a
subrepticement et récemment disparu. Plus
d’image du « Leader », plus de constitution républicaine ?
Que
craint donc Ennadha, suite aux élections réfutées d’octobre 2011 qui l’asseyent
au pouvoir ? Que la date symbolique du 9 avril ne soit l’occasion pour le
peuple de désavouer le manque de considération dont sont l’objet les
« martyrs » de la révolution de Jasmin ? Que ne leur soit contestée l’exclusivité des
principes rétrogrades renvoyant à la chariâa ; ainsi que leur alliance avec
les états intégristes ou les groupuscules terroristes du Proche-Orient qui
financent et appuient son intronisation et son maintien ?
Le crime
politique et la négation de la démocratie
Dès
le début de son exercice du pouvoir, Ennadha n’a cessé d’accumuler les erreurs
tragiques. S’attaquant d’abord à l’intégrité corporelle, civique et sociale des
femmes en voulant instituer la pratique de l’excision, comme du tutorat
féminin : ce qui équivaudrait à la suppression du Code du Statut Personnel
(ou code du droit des femmes : 1956).
Face
au tollé général, n’a-t-il pas tenté de faire main basse par la force de ses milices
armées sur les Universités, la presse et les Arts, les banques et les mosquées,
n’hésitant pas ouvertement à faire des victimes ? Optant pour une
stratégie plus discrète, s’adressant aux moins cultivés, n’a-t-il pas quadrillé
des quartiers entiers, comme des villages excentrés, pour imposer un
endoctrinement coranique relayé par des imams poussant à la haine et au
jihad ?
La marche du Front populaire tunisien
N’a-t-il
pas infiltré les différents ministères, comme les administrations de pions à sa
solde ? S’octroyant le luxe de
prolonger leur mandat en toute illégalité ? N’a-t-il pas nommé des
décideurs ignares et incompétents ? N’a-t-il pas établi une répression et
une censure sans conteste ?
Enfin,
n’en est-il pas parvenu à l’enlèvement, à l’incarcération, à la torture et à
l’assassinat des opposants (Chokri Belaïd et d’autres encore… moins connus) ?
S’arrogeant même le privilège de continuer à menacer la population de
châtiments exemplaires !
Une cible à
l’obscurantisme ?
N’est-il
pas insidieux, voire humiliant, que ces soi-disant épris d’éthique se mettent à
étaler sur les bancs de l’ANC les dessous de ces dames, et pas dans un style des
« plus chics » (Cf. Gainsbourg-Birkin) ! C’était bien par-là
qu’il fallait les dégrader, leur dénier tout soupçon d’intelligence et de
suavité, en taxant l’intimité féminine de puanteur
et en jouant les éboueurs !
Faire
de la femme un objet d’abjection, c’était détourner toute une moitié de
population (les hommes : chômeurs) des vrais problèmes de crise et jouer
sur leur frustration ! Compte tenu du taux de réussite des jeunes filles,
après la politique prioritaire de scolarisation entamée par Bourguiba, dans un
contexte où, par coutume, les filles, sortant moins, réussissent mieux que les
garçons !
La résistance artistique féminine |
Car
il faut bien dire qu’une association gouvernementale féminine avait été créée
(dès 1956), ainsi qu’une fête officielle nationale (le 13 août). Il faut dire
aussi que l’âge de la majorité avait été abaissé, alors que les imams islamistes
veulent faire des femmes
d’éternelles mineures.
Vers un
cumul du non-droit ?
Pour
toutes ces fausses raisons, au premier anniversaire de la fête des martyrs,
suivant la révolution, les salafistes ciblent en priorité femmes, journalistes
tunisiennes ou étrangères, dans le cortège de commémoration ! Traumatismes
crâniens à la clé, les martyrs 2012 sont des sacrifiés à la cruauté et à la
répression gratuites.
« Cette
année, la Tunisie s’apprête à commémorer un 9 avril singulier, où l’on
commémore désormais, en sus de la Fête des martyrs, la dramatique répression violente du 9 avril
2012. Cette mise en abîme est
aussi le résultat de l’immobilisme d’une commission d’enquête parlementaire
impuissante et d’un ministère de l’Intérieur cultivant le secret ».
La
Commission d’enquête sur les violences infondées reste systématiquement
muette : les « ligues
de protection de la révolution », labellisées salafistes, totalement
hors-la-loi et totalement coupables et parfaitement « intouchables »,
sous la protection d’Ennadha.
La
surenchère ou Ennadha discrédité
Le
gouvernement Ennadha instaure la discrimination, dénoncée par l’actuel Front Populaire tunisien :
« Alors qu’il est censé, par sa
fonction, représenter tous les tunisiens, le président provisoire de la
République Tunisienne, Moncef Marzouki a déclaré à la chaîne Al-Jazeera, le 25
mars 2013 : «S’il vient à l’idée des
extrémistes laïques de chercher à s’emparer du pouvoir, on dressera des
potences et des guillotines et il n’y aura pas de sages, comme Moncef Marzouki,
Mustapha Ben Jaafar ou Rached Ghannouchi pour prôner la modération, le dialogue
ou la réconciliation nationale ».
Le pouvoir s’en prend au droit
d’expression le plus basique, constate Hassiba Hadj Sahraoui, directrice
adjointe du programme
Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International : « Prononcer une interdiction générale des
manifestations pour éviter d'avoir à faire aux manifestants est une infraction
flagrante au droit international. Les agissements des forces de sécurité
montrent bien qu'il est urgent de mettre en place une nouvelle législation qui
protège le droit de manifester pacifiquement en Tunisie. »
La Tunisie du jihad |
Le
terrorisme intégriste est commandité par le gouvernement, souligne
la LTDH : « La Tunisie a
connu le lundi 9 avril 2012, journée de la fête nationale des martyrs, une
journée noire pour les libertés, la démocratie et le respect des droits de
l’Homme… Les forces de police, aidées par des milices, tenant les mêmes propos
que des courants extrémistes et armées de barres de fer et de pierres, ont
violemment chargé des manifestants pacifiques venus commémorer la fête des
martyrs. Des journalistes bousculés, leurs matériels détruits, des députés de la
Constituante, des représentants des partis et de la société civile, des vieux,
des femmes, des jeunes ont été gazés par des lacrymogènes, souvent envoyés par
des tirs tendus, et sauvagement agressés et copieusement insultés, certains par
des groupes de miliciens sous le regard complaisant des forces de l’ordre. »
L’éradication des héros
Les
conseils municipaux sont privés
de leurs prérogatives. Menacés manu militari par le Ministère de
l’Intérieur, ils doivent se soumettre au diktat de la théocratie. L’avenue
« Chokri Belaïd », récent martyr politique pour ses idées de gauche,
sera inaugurée « virtuellement » à Sidi Bou Saïd. Pas de plaque, mais
un rassemblement témoigne de l’attachement de la Tunisie à ce grand humaniste
politique. En présence de son épouse Besma Belaïd qui énoncera un discours
poignant et militant.
L’indépendance,
c’est pour demain ?
Malgré
la discrimination
communautariste que veut imposer le parti intégriste, la scission sociale
que veut imposer Ennadha entre les partis hallal (autorisés parce qu’islamistes)
et haram (interdits parce que laïques), la commémoration du 9 avril 2013 s’est
effectuée dans une ville coupée en deux : la plus grande avenue de la
capitale devient tabou pour le citoyen.
La
jeune création cinématographique, elle, choisit son camp. Elle sort, après les
événements du 9 avril 2012, un court métrage, intitulé « Bousculades, 9
avril 1938 », réalisé par Saoussen Saya et Tarek Khalladi. Il est diffusé
aux Journées Cinématographiques de Carthage en novembre 2012.
« Bousculades » : les jeunes cinéastes s’engagent ! |
La
résistance, l’indépendance est autant artistique que politique et juridique :
la Tunisie a entamé sa révolte libertaire sur tous les fronts de la société… A
l’avenir de lui donner raison.
Un article de Monak
Voir
aussi : Le
ministère de l'intérieur empêche l'inauguration d'une avenue à Sidi Bou Saïd
http://front-populaire.fr/2013/04/09/
Tous
droits réservés à Monak. Demandez l'autorisation de l'auteur avant toute
utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet ou dans la
presse traditionnelle.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire
Cet article vous a fait réagir ? Partagez vos réactions ici :