La médina musarde
Pour s’immerger en médina, se laisser vagabonder nonchalamment
au gré des ruelles et venelles… Si vous perdez votre chemin, adressez-vous aux
passants, aux boutiquiers : ils se mettront en quatre pour satisfaire votre
quête.
Même si vous recevez différentes
versions, parfois contradictoires, ne vous alarmez pas ! L’amabilité du
Tunisois est légendaire : vous aurez gagné un petit moment couleur bleue à
l’image du ciel méditerranéen. La Medina n’a rien d’un traquenard. Vous êtes
hors temps ! L’heure tunisienne s’étire et prend ses aises.
Le
film de Moncef Dhouib, Ya Soltane El Medina, vous plonge directement dans cette
vie à portes ouvertes des oukalas et l’atmosphère mystérieuse et feutrée qu’on
voue aux médinas. Pour l’avoir parcourue en tous sens, sa dangerosité n’est qu’un mythe qui
perdure depuis les années du protectorat
français, associé aux foyers de résistance et à son apparence labyrinthique.
Mais elle reste surtout foyer de culture depuis le moyen-Âge et les anciens
palais et fondouks (entrepôts médiévaux) ont été réaménagés en lieux
artistiques.
Médina des terrasses |
Sur une population d’1,8 million habitants
que comporte la capitale, la médina en dénombre environ le 1/10ème ;
c’est sans compter sur les effets de l’exode rural et des marchands de sommeil
illicites qui entassent les nouveaux venus dans les oukalas (groupe de
chambres réparties sur un ou deux étages autour d'une cour centrale et où les
locataires se partagent la cuisine et les toilettes).
La cité originelle
Occupant
le sixième de la superficie urbanisée de Tunis, la Medina s’adosse aux collines
en pente douce qui entourent la capitale. Resserrée autour de la grande mosquée
Ezzitouna, elle fut édifiée vers 698, bien au fond du Golfe de Tunis. Alentour
des hauteurs de la ville, la Sebkha Sejoumi et celle de l’Ariana -cuvettes
salines localisées de part et d’autre- s’y enfoncent plus abruptement.
La
ville moderne par contre s’est répandue sur l’espace qui la séparait de la
lagune et s’arrête au lac de Tunis, ouvert en goulot sur la mer. Le port a pris
le nom de La Goulette, et appartient déjà à la banlieue nord. «La Goulette,
transcription française de l’italien Goletta, venu lui même de l’arabe halq
al-wadi (goulet) » a remplacé Carthage, détruite au début de la conquête
arabe.
La
population goulettoise, initialement turque, juive et arabo-berbère, s’accroît
vers 1830, d’Italiens, de Maltais et du quartier de la Petite Sicile. Métissage
désopilant, il entretient l’atmosphère bon enfant du film de Férid
Boughedir : Un été
à la Goulette.
Tunis : entre sebkha et lac |
Son aspect contemporain, la capitale le doit
à la destruction des remparts, à l’ouverture des portes de la médina au XIXème
siècle et au style colonial des bâtisses. La mutation s’est opérée avec le quadrillage
rectiligne de percées dont l’avenue principale : boisée, frétillante
d’étourneaux, elle y puise sa particularité de promenade au crépuscule. Cependant,
le revers de cette urbanisation prolifique a généré en périphérie l’apparition
des «gourbivilles».
Et la métropole ne cesse de jeter ses
tentacules et de gagner du terrain sur le lac qu’on assèche : après
l’aéroport, le quartier des berges du Lac à l’est ; au nord à l’assaut des
collines les quartiers huppés autour du parc du Belvédère ; et au
sud-ouest Mellassine (mellah, le sel) la mal famée, aussi salée que sa sebkha
mais qui tient aussi sa réputation de ces petits métiers issus de la
misère : ses kanoun (braseros) d’argile ou de métal de récupération.
Medina du patrimoine
La Medina ronronne avec son moutonnement de
coupoles et de ruelles couvertes, le tintement de ses artisanats, ses
esclaffements et son bagout méditerranéens, ses raclements de schlakas
(sandales sans attaches), le martèlement des sabots des ânes et des roues de
charrettes tirées à épaule d’homme. A peine y pénétrez-vous que le
bourdonnement des moteurs s’éclipse. Pas de place pour les véhicules, peu de
ruelles en quinconce qui s’y prêtent. Les murailles gardent encore les
éraflures de qui s’y est aventuré imprudemment.
Asfour Stah, l’enfant des terrasses |
Qui ignore encore que la médina se peut traverser d’une terrasse à
l’autre, depuis le film de Boughedir : Halfaouine,
l’Enfant des Terrasses (en tunisien Asfour Stah : L’oiseau des
Terrasses) ? L’horizon débouche sur le miroir et les effluves marines.
La contiguïté d’un habitat construit de tourbe
et de chaux lui confère cette allure ventrue. La pierre se réserve aux
monuments, mosquées, mausolées, palais et administrations, maisons cossues. La
fragilisation de l’habitat par capillarité a incité l’Unesco à inscrire la médina au patrimoine mondial en
1979.
Le petit peuple se contente de
demeures étranglées aux embrasures, aux pièces et aux échoppes étroites (3m2).
Le dar arbi, la maison arabe, se restreint souvent à une pièce principale en
longueur, coiffée d’une voûte en arc et bardée d’alcôves. Le carrelage et la
faïence des murs y perdurent depuis plus de
treize siècles.
Bir Lahjar, la reconversion d’une medersa |
Par chance, certaines maisons
retrouvent leur configuration de dar et distribuent les pièces autour d’un
patio ombragé d’arbres fruitiers : figuiers, orangers. L’arbrisseau de
jasmin y trouve une place de choix. Et si la porte reste souvent béante, l’intimité toute relative est
protégée du regard de la rue par un voile coloré à rayures. Car la dépendance
principale est celle de la rue : domaine des marchands ambulants, des eaux
déversées à flot, des déjections jetées par les fenêtres, du linge
pendouillant, des papotages et des chats faméliques.
Un foyer de culture
Foyer de culture islamique et profane intense depuis sa fondation, la
Médina rénove et diversifie son héritage. Sise dans l’ancien palais Dar Lasram,
l’Association de Sauvegarde de la médina fête en 2012, le 25ème
anniversaire de sa fondation. Ses écuries, restaurées ont vu naître le premier
Centre culturel de l’Indépendance : Le Club Tahar Haddad. Âtre du
féminisme, il le doit à son instigatrice Jalila Hafsia.
Les medersas (école de sciences
islamiques) ont changé de destination pour devenir centres artistiques,
poétiques ou petits théâtres. Les zaouya (petites mosquées) poursuivent leur rôle d’enseignement à côté
des grands monuments cultuels fort nombreux. Bir Lahjar (Puits en pierre)
est devenu un centre de concerts, d’expositions et de manifestations scéniques.
La mieux préservée du monde arabe, la médina allie bâtisses domestiques de toutes
conditions à édifices publics.
Associations, musées et ministères y trouvent gîte. Le palais Dar Ben Abdallah
abrite le musée des arts et traditions populaires ainsi que celui de la
céramique et le récent Théâtre d’Arts. Dar El Jaziri, renommé Dar
Chaar (Poésie) se consacre à la Poésie, véritable tradition orale qui alimente
nombre de rencontres publiques ou familiales. Dans une échoppe du Souk des
Chéchias, le Club Fouq Essour (au-dessus
des remparts) commente et crée des publications littéraires.
Café, souk El Blat |
Les petits cafés, aux tables installées en pleine ruelle témoignent de
cette fièvre créatrice : les poètes déclament et les musiciens grattent
leur oud (luth). Le Festival Dream City d’octobre y serpente entre
placettes, arcades, porches, courettes et Dars.
L’ambiance est à l’art architectural même dans les plus modestes logements.
La moindre porte, la moindre grille, la plus infime des colonnes ou des parois
de céramique sont de véritables petits chefs-d’œuvre que la plupart des
habitants semblent ignorer mais qui interpellent l’amateur d’Art.
La médina s’entoure de
faubourgs populaires près des portes (bab) : Bab Souika, Bab El Jazira, Bab
Souika et Halfaouine, en continuité avec les quartiers aristocratiques du Tourbet El Bey et de la kasbah
(centre administratif) datés du XVIIème au XIXème.
Une enfilade de souks
Ateliers minuscules, rabattant leur volet pour l’étal, ils s’accolent
suivant leur spécialité. Les artisans sont aussi vendeurs. Et leur activité
s’effectue sous le regard des passants.
Dans les ruelles aveugles |
Le Souk El Attarine (des parfums) exhale l’incontournable jasmin, la
rose, l’hibiscus, le henné mais aussi d’innombrables essences venues d’ailleurs
comme l’ambre. Lui succèdent le souk des étoffes (El Kmach), El Birka
(bijoutiers et brodeurs), de la soie, des fruits secs, des libraires et de la
laine (El Leffa : tapis et couvertures) et le souk El Grana (pour les
vêtements).
Les souks des chéchias
(Ech-Chaouachya), des tailleurs (souk Et Trouk), des tanneurs, des selliers (Es
Sarragine), des poissonniers, des potiers, des teinturiers (Es Sabbakhine) et des forgerons,
souk En Nhas (du cuivre) leur succèdent.
Le souk de la médina de Tunis |
Seul, le souk des esclaves a
disparu au XIXème siècle.
Un article de MonaK
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