De zoos et d’autres…
S'il fallait définir la session 2019 du FIFO à Tahiti, admettons et à juste titre, qu’elle
est devenue l’espace des revendications océaniennes : le Grand Prix en est
la preuve. Le documentaire, avec le sérieux de ses informations, le choc de ses
images a rempli sa mission de tribune médiatique, face au monde qui l’ignore.
« Justice ! » est l’appel que lance
l’Océanie, sur tous les fronts. « Justice climatique », dans
l’immédiat : elle dépasse les cris d’alarme, lancés précédemment et restés
sans réponse. Le déluge est en cours, il se nomme montée des eaux. Les « réfugiés climatiques » ne sont
plus une prévision de savants fous, mais la réalité que porte à l’écran
Matthieu Rytz dans Anote’s Ark, l’Arche d’Anote. En effet, Anote (Tong), ex-président des
Kiribati, porte à bout de bras sa république, œuvrant pour la solution
ultime du transfert des populations, les pieds dans l’eau de l’océan.
Un grand-prix emblématique |
“Justice historique” invoque l'Océanie : quêtant la
réhabilitation du soi-disant “sauvage”, dans sa pleine et entière dignité
d’être humain, quand le mythe du “monstre cannibale” justifiait la supériorité
ethnique et la conquête coloniale des grandes puissances occidentales, à coups
d’exhibitions foraines. Ce n’est pas
tâche facile et Pascal Blanchard, co-réalisateur avec Bruno Victor-Pujebet de Sauvages,
au cœur des zoos humains, ne le
sait que trop ! Contesté pour avoir décrypté le langage d’une trop longue
époque (1810-1940) et en avoir déballé l’idéologie rampante, qui contamine
encore les sociétés d’aujourd’hui.
« Justice sociale,
économique », réclame l'Océanie : pour tant de minuscules îles, tributaires du système
coercitif de la mondialisation. « Justice culturelle », proclame l'Océanie : pour avoir été trahie par les critères, les
exactions, les manipulations de certains ethno-voyageurs qui refusent de
renverser leurs perspectives, mais s’accaparent les biens sacrés et les
dépouilles de leurs hôtes.
« Justice identitaire », supplie l'Océanie: pour le 3ème genre et les
minorités.
Au pire du réchauffement climatique
L’Arche d’Anote, Anote’s Ark, n’est pas celle de Noé. Elle n’est pas accompagnée des
bénédictions des tout-puissants de la planète. Les îles coralliennes des Kiribati, loin de pouvoir exploiter une quelconque
activité industrielle, paient les pots cassés des monopoles pollueurs de la
planète.
La voix d’Anote pour la survie de son peuple et de
sa culture, n’est pas vraiment entendue par les instances internationales. Son combat ne dérange pas
outre mesure les aventuriers des industries fossiles. C’est aujourd’hui, et
demain est déjà trop tard.
“Justice climatique
!”
Désespérant que de voir deux atolls inoccupés, déjà
engloutis… et la lutte pour la consolidation des rivages habités par des sacs
de sable, tient du mythe de Sisyphe.
Restent les pays environnants comme asiles, la Conférence des Nations
Unies sur le changement climatique (2015) se montrant inapte à résoudre la
crise ! Quant aux tribulations du réalisateur, ceci est une autre
histoire.
Au pire du racisme...
Étonnant que les pays dits "civilisés”, aient
reproduit, malgré les écrits sur la tolérance de Montesquieu et de Voltaire (in
Candide, le Nègre
de Surinam, 1579), ces marchés de la
« monstration » si populaires au Moyen-âge ! Ces pervers
plaisirs de cour qui enchantaient nos monarchies enfin déchues par la révolution. Bien des penseurs ne l’avaient
pas admis, même dans le contexte de "la peur de l’Autre", qu’il soit
étranger ou difforme. Décrypter le langage de l’opinion publique, Pascal
Blanchard n’a pas eu tort de le faire, même s’il a été controversé sur ce
point.
Rappelons tout de même qu’à l’origine de notre langue, le
"monstre", c’était celui que l’on "monstrait (devenu montrait
ensuite)", comme une bête de foire. Pour rassurer le quidam de ses grandes
peurs : celles de la naissance, de la mutilation, de la
femme-sirène, de la bisexualité refoulée… de l’anomalie (nain, bossu,
bouffon de cour, géant, infirme…). Le discours religieux l’avait entériné depuis
longtemps, avec les ethnies bizarroïdes (noires, voire albinos !), estampillées
sataniques ou descendants maudits de
Caïn, de Cham ou des filles d’Eve…
A l’ère de la Révolution industrielle et
scientifique, pouvait-on accepter de telles superstitions, sauf pour défendre
une politique d’expansion coloniale ? L’infériorité ethnique, joua à plein
son rôle dogmatique. Ahurissant tout de même que ce soit la Reine Victoria qui,
la première (1885), ait interdit « les exhibitions de phénomènes humains,
pour immoralité » ! Et si le documentaire ne relate pas la curiosité
que suscita le Tahitien Omaï à la cour d’Angleterre, c’est qu’un
siècle plus tôt, la donne se serait posée autrement. Entre autres figures de
ces déportations lucratives : le Kanak
Marius Kaloïe et… la cage aux singes du Bronx pour pas mal de victimes.
“Justice historique
!”
Ils l’ont fait ! Ils ont osé, de 1810 à 1940 !
Ils ont étalé leurs fantasmes exotiques en orchestrant la représentation de nos
semblables, arrachés de leurs terres natives, dénudés, gesticulant, forcés de
se nourrir de viande crue, mimant des scènes de cannibalisme dans des ménageries glaciales ! La
révolution des mentalités n’a pas vraiment eu lieu, celle du "triple
décentrement ", proposée par le structuralisme anthropologique de
Claude Lévi-Strauss qui déclarait en 1955 :
« car les voyages nous montrent finalement… notre
ordure lancée au visage de l'humanité ».
Documentariste, un métier sans repos...
Pour les réalisateurs de documentaires, la passion
d’informer prime sur des conditions plutôt précaires. Soit vous avez votre
propre tremplin de diffusion, soit vous dépendez de producteurs et de
diffuseurs qui vous imposent leur format, leur correctifs, leur budget, soit
vous êtes en butte aux autorités locales ou judiciaires. Vous risquez
l’intermittence, évidemment. Sachant que les heures de préparation, d’écriture
ne sont en rien comptabilisées… « à vot’ bon cœur, M’sieurs’Dames ! des
Médiathèques et des Festivals documentaires ». Donc, très peu de liberté
créatrice et en dehors des plates-formes télévisuelles, peu de visibilité.
Où passe donc le documentaire d’auteur ? Libre d’écriture, celui qui ne rentre pas
forcément dans le moule préfabriqué des systèmes de communication audiovisuelle
attendus. Le documentaire paraît souvent conforme à un genre prédéterminé. Ce
qui devient lassant, tant leur structure est mondialement standardisée.
La porte du virtuel, une réalité ? |
L’Océanie, monde multiple, ne possède-t-elle pas en elle, sa propre façon de se
raconter ? Ne génère-t-elle pas
des modes singuliers, fondés sur ses propres critères culturels et la
rencontre avec un réalisateur dont les points de vue se conjuguent avec la
réalité, avec les modes d’expression spécifiques des êtres qu’il
contacte ? Des symbioses à l’infini, en quelque sorte. Des conjonctions de
sensibilité… L’avenir pourra-t-il le dire ?
Un article
de Monak
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