Marché de l’amour ou de la
haine ?
A la
Saint-Valentin, les amoureux de toutes obédiences, ou sans, se délectent en se
déclarant leur flamme. Les nations en guerre la revendiquent comme une trêve ou
un armistice : un acte de résistance comme en Palestine… en passe de le
devenir en Tunisie !
L’amour
semblerait plus que jamais antinomique, à en croire nos amoureux, avec nos
sociétés. A en bannir totalement le marketing
ainsi que les prêches religieux, un peu partout répandus. Point n’est besoin de
recourir aux forcenés de la publicité pour constater que l’amour est un marché entretenu
par ceux-là même qui en dénoncent l’immoralité.
L’Amour mythique, Qays et Layla…
Bien
que l’amour éternel, platonique, se trouve au cœur des légendes d’orient et
d’occident, Tristan et Yseut, Qays et Layla, se voient troquer leur aura par un
homme d’abstinence. La fête comme le Saint se trouvent différemment tiraillés,
sans parler de ceux qui en revendiquent indifféremment les reliques ! Face à ce gag hautement
dilatatoire de nos zygomatiques, je n’ai pu résister à la tentation de faire
partager mon hilarité.
Un saint, deux reliques, un sceau : « Ton Valentin »
On
le fait naître sous le règne de l’empereur romain Claude II (Marcus Aurelius Claudius Gothicus ; 10 mai 214 - août 270), dit Claude le Gothique, mais surtout,
l’empereur-soldat. Prêtre (chrétien), Valentin brave l’interdit et marie la
soldatesque.
Incarcéré, condamné à être décapité, Valentin
(de Rome) aurait adressé un dernier sceau à la fille d’un aveugle à qui il aurait
fait recouvrer la vue : « Ton Valentin ». Canonisé en 1496 « pour
son courage et sa lutte pour le mariage », il est devenu le patron des
amoureux.
Mais il n’est pas le seul du nom à avoir été
béatifié. Son prénom signifiant « santé », le statut n’est pas signe
de longévité. Les martyrs foisonnent : Valentin de Terni (273), de Viterbe (304, fête le 3 novembre),
de Ravenne (IVème siècle, 16 déc.)… et d’autres, un évêque de Strasbourg
(Vème), Valentin de Griselles (4 juil.), etc…
Un saint martyr de l’amour profane |
Ainsi l’authentification du patron des
amoureux oscille entre le Valentin de Rome et celui de Terni. On n’assiste pas vraiment
à une querelle de reliques. Sauf du côté d’Athènes en 1990 et
de St-Pierre-du-chemin à Rome. Celles de Terni se fêtent à Dublin le 14 février
depuis le XIXème siècle. Celles de la collégiale
Saint-Jean-Baptiste de Roquemaure (Gard) auraient été importées de Rome
et auraient sauvé les vignes du phylloxera en 1868.
Certains
revendiquent l’origine
berbère de cette fête en occultant l’existence de Valentin et en rappelant
que le pape Gelase
1er qui l’a instituée en 495 était originaire de Kabylie, de la
tribu des Djelass. Toujours est-il que la Méditerranée antique était un vrai
miracle de tolérance et d’intégration !
Entre paganisme et chrétienté
Comme
un hommage au printemps, débutant le 5 février chez les Romains de l’antiquité,
« chaque année le 15 février, les Romains rendaient un culte païen à la
louve romaine qui avait allaité Romulus et Rémus dans la grotte de la Lupercal ».
La fête très populaire des lupercales (Lupercalia) était
un hommage à Faunus, dieu de la nature et de la fertilité, appelé également
Lupercus.
Après
le sacrifice d’un bouc, un tirage au sort, tous les 15 février, pour désigner
le couple de jeunes gens qui passera l’année ensemble. La fête consacre la
fertilité.
Faut-il
rappeler que l’Empire Romain, à cette époque païen, s’étend
sur tout le pourtour de la Méditerranée : Afrique du nord bien
comprise jusque dans ses déserts entre Maurétanie (Tingitane Maroc-Algérie),
Numidie + Afrique proconsulaire (Tunisie-Libye), Cyrénaïque (Libye-Egypte)
Judée, Arabie, Syrie, Cappadoce + Bithynie (Turquie), Macédoine, Germanie,
Gaulle, Brittanie, Lusitanie avant de devenir chrétienne sous Dioclétien
(306-337).
Un pape kabyle de la tribu des Djelass (Gelasio 1er) |
En
conséquence, la célébration est christianisée : « En 495, le pape
Gelase 1er décida de célébrer en grande pompe la fête de Saint
Valentin, le 14 février, un jour avant la fête des Lupercales !!! ».
La fête de l’amour prend naissance.
Mais
il en est tout autrement en Angleterre. Geoffrey Chaucer au XIVe siècle, auteur
de cet hymne à l’amour épicurien des Contes
de Canterbury, rappelle la croyance tirée des bestiaires médiévaux (fables)
de La Dame à la Licorne : le 14
février était le jour où s’appariaient les oiseaux. Reviviscence de l’amour courtois : « fol’amor, fin’amor »
(XIIème siècle) : le profane entre en lice.
Le poète Othon de Grandson, auteur de La Complaincte amoureuse de Sainct Valentin
Gransson et autres ballades élégiaques sur le sujet, exilé en Angleterre, est magnifié un siècle plus tard par Charles
d’Orléans (XVème siècle), pour cette tradition qu’il entretient.
Elle passa du monde anglo-saxon au monde latin. Valentin fait son entrée
dans la littérature.
L’amour, une échappée à Gaza ? |
Sans
cesse ce besoin de spiritualité des sentiments. Et le XIXème siècle, avec le
romantisme, entérine le phénomène.
La Saint- Valentin tunisienne pour « mettre fin à
la haine »
Si
la coutume de la Saint-Valentin en Tunisie remonte au siècle dernier, elle est
totalement laïque, à l’instar de la fête des mères. Bien entendu, comme elle ne
concerne que les couples elle n’a aucun retentissement familial.
La fête des amoureux au minaret... |
Ainsi
que le notifie la presse tunisienne depuis plus d’un quart de siècle,
consacrant un article ou parfois un feuillet de son magazine dominical, la fête
des amoureux est entrée dans les mœurs, au bonheur des commerçants. Ce jour-là,
dans les années 90 déjà, si vous n’aviez pas réservé dans les restaurants,
inutile de penser pouvoir disposer d’une table !
Cette
année (2013), après les condamnations wahhabites intempestives et les violences
qu’a connues le jour de l’an, le mufti
de la république, à la tête des affaires religieuses islamiques, lui donne
le feu vert !
Même
si cette fête ne faisait pas partie des habitudes du plus petit hameau perdu
dans la montagne, même si elle ne semble pas concerner tout le monde, il semble
qu’avec ce coup de projecteur médiatique elle ait attiré de nouveaux
pratiquants. Il serait difficile d’en donner le pourcentage exact.
Des roses* pour les martyrs de Syrie |
Mais
la clique des rétrogrades, prohibant toute autre réjouissance que celles
inscrites dans les pratiques religieuses, s’est largement ridiculisée. Les
quotidiens ne sont jamais autant intervenus pour le signifier. Et les
interviews consacrées à ce sujet se sont largement divisées en avis des plus
contradictoires.
Faut-il
préciser que l’histoire de la Tunisie définie par les wahhabites, à entendre
tout le petit monde qu’ils endoctrinent, commence au Prophète (632), alors que
l’invasion arabe ne touche la Tunisie qu’à partir de 647. J’ai entendu ces
derniers jours, un adulte d’une trentaine d’années affirmer qu’avant l’an 0 de
l’Hégire, en Tunisie, c’était la Préhistoire !
Le Folklore des mythes
Berrichon,
le petit village
de St-Valentin, existe vraiment. On y vient en pèlerinage depuis
1965 ; de tous les continents de l’hémisphère nord. Il s’offre même le
luxe d’être jumelé avec une ville japonaise et autrichienne du même nom ! En
Autriche, à Saint-Valentin, le prosélytisme bat son plein.
Les sonneurs du Berry
A
contrario, le cérémonial clérical de bénédiction des couples dans l’église consacrée
au saint a disparu. Certainement suite à la décision par le Vatican de l’éradication
du calendrier des saints de légende. Cependant perdure un rituel laïque :
promenade dans le jardin des amoureux sous les feuilles en forme de cœur de « l’arbre
des cœurs éternels », certificat en mairie assuré, balade incontournable
devant une niche
à la Peynet, bisou au-dessus de la margelle du puits.
Le
mythe s’y est donc installé. La société, que dis-je ? Le monde « se
l’est approprié », dirait Roland Barthes dans Mythologies. Et combien peut-il se fonder sur « n’importe quoi » :
« Chaque objet du monde peut passer d'une existence fermée, muette, à un
état oral, ouvert à l'appropriation de la société. »
L’arbre des amoureux à Saint-Valentin en Berry |
Fait-il
partie de ces mythes fondateurs de la « conjugalité », de cet éternel
recommencement d’une humanité qui ne change pas ? Nous voilà du moins dans
cette éternité de l’amour que chantait Piaf, cet antidote du divorce, cet exorcisme
de l’amour malheureux. (Faut-il préciser que les statistiques de l’illettrisme
en France nous offre pour le département de l’Indre un taux de 14,5% en
2008 ?)
Entre
Cupidon, Peynet et ses « amoureux » qui font fureur depuis 1942, si
nous assistons à une infantilisation des représentations de l’amour, ne
serait-ce du fait que notre humanité, sempiternellement en quête de son enfance
perdue, en soit restée à l’âge du hochet ? Parallèlement, il semble
notoire que les religions aient fort à faire pour tenter de rénover leur stock
de jouets.
Plus
généralement, dans le contexte des théocraties exacerbées, la jeunesse, lassée
des appels à la haine, revendique et accomplit par toutes sortes de symboles
cette fête de l’Amour : car dénuée de tout élément mercantile (en zones
occupées ou en guerre), bardée d’interdits au nom de la guerre sainte (jihad),
elle a pris un sens bien révolutionnaire : celui de la survie. Pour
paraphraser la Femen
Amina : « Mon cœur m’appartient et il aime. »
Un article de Monak
*note photo
« Des roses pour les martyrs… », en guise de Saint-Valentin en Syrie
2013 : « Pour une Syrie libre.
Nous sommes désolés, nous n'avons plus de roses pour la Saint
–Valentin ; elles ont toutes été épuisées sur les tombes des martyrs.»
(Traduction de la pancarte)
-
Pélerinage à
Saint Valentin (Indre),
Tous droits réservés à Monak. Demandez l'autorisation
de l'auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur
Internet ou dans la presse traditionnelle.
continue à nous instruire.... la connaissance du passé nous aide à comprendre le présent....fb
RépondreSupprimer