La parole au public
“Ned
Choquitto ou l’autre Don Quichotte” poursuit
son bonhomme de chemin depuis cinq mois entre Tahiti et ses îles. Le spectacle
de la Cie “To’u Fenua e Motu” semble avoir remporté l’adhésion des spectateurs de
ces quelques représentations en Polynésie…
Pourquoi
une telle unanimité de la part d’une assistante hétéroclite et majoritairement
locale ? Les explications qui suivent, tirées directement des propos
glanés sur le vif ou sur la toile, ont juste été classées… Connaisseurs ou
profanes, érudits ou novices en arts scéniques, ils s’accordent tous à vanter
les mérites du spectacle et son impact affectif : « Scène habitée,
féconde, pêchue », « jeu vif, puissant, généreux, magistral »,
« contenu riche, bigarré, frappant », « le plaisir des sens est
au rendez-vous ».
« … si nous vivons toi et moi… » |
Les
acteurs, Dylan Tiarii et Maki Teharuru, pour leur première prestation
professionnelle auraient-ils rencontré leur public ? Ainsi s’exprime l’un
de leurs admirateurs : « Ce qui nous reste quand l’anecdotique est
décanté, c’est qu’il s’agit de nous, Polynésiens. Cette parabole dénonce, dans
ce panorama du non-droit banalisé qui traverse les siècles, comment notre
peuple, dépossédé de sa culture, décide de se la réapproprier. »
En
accolant plusieurs opinions : « Mémorable, cette pièce fait date, elle
aborde notre essentiel. Passés les rires, reste le problème crucial qui nous tatoue.
De chancelants, les personnages retrouvent leur équilibre… leurs racines »
Couleur locale et jeune public…
« Tout
Cervantès est là… délocalisé à Tahiti ! », déclare une prof
d’espagnol. Les quelques accents lyriques du roman initial ont certainement
induit les passages au 'ōrero et au haka.
« Pas de folklore, au mauvais sens du terme, mais une continuité.
Après tout, les jeunes en* sont imprégnés et les pratiquent à l’école comme
dans leurs loisirs.»
« …il peut bien se faire que je gagne » |
« Sentiments
mis à nu, incarnés de façon poignante, déferlement d’images… L’histoire nous
ramène à nos choix de vie et aux voies sans issue. Ce qui m’a complètement retournée :
trop secouée pour en dire plus… », témoigne une trentenaire.
« Moi, j’ai vite décroché de la Mancha
pour squatter à Moruroa, et me laisser prendre par les clochards de To’ata,
leur soif de justice. Une histoire qui s’inscrit, pour ma génération, sur la plateforme
corallienne et les îles irradiées évacuées. Ça m’a fait d’autant plus
mal ! »
Avec
la rythmique polynésienne du phrasé français, « la diction très naturelle
des acteurs m’a épatée. Peut-être n’existe-t-il pas trop d’écarts entre la traduction
du 19ème siècle et une langue qui, de la même époque, est usitée par
les différentes confessions. » Dont le catéchisme des frères de
Picpus, congrégation opérante dans la transposition scénique comme dans la vie
courante actuelle des archipels polynésiens.
« Pourquoi ris-tu Sannos ? » |
Destinée
initialement à une tranche d’âge dépassant la douzaine d’années… vu la
gymnastique mentale requise pour extrapoler de l’Espagne des Conquistadors à la
condition de SDF sous l’alizé… la pièce a suscité un vif intérêt chez les
scolaires à partir de 7-8 ans. Plus tôt, ce sont de mémorables
« Oh ! »… « Même pas peur ! ». Nous le devons
certainement à l’aspect spectaculaire du jeu, une scène mouvementée qui
sollicite l’imaginaire et le goût de l’aventure. Un petit mélange entre
légendes contemporaines à la Harry Potter, magie et connexité entre chevaliers
médiévaux et héros mā'ohi.
Qu’ils
soient en difficultés scolaires, déscolarisés ou bons élèves, les jeunes
spectateurs collent au texte et le répètent en écholalie ! Se projetant
dans « ces héros en chair et en os », le jeune public, popa'ā ou
polynésien, adhère à « leur bravoure, à leur sens de la solidarité ».
Certains s’identifient à « cet 'aito charpenté à la Moana, ce Ned Choquitto, alias Dylan Tiarii ».
« …cette fameuse salade, cet armet enchanté… » |
énorme surprise
pour les deux acteurs qui se trouvent encouragés chaleureusement par des
exclamations tout au long du spectacle !
Parlons genre… et jeu
« Farce
burlesque et tragique à la Beckett, j’ai pensé à l’inventaire des Beaux
Jours et à l’attente tragique de Godot… Jeu remarquable d’acteurs,
expressifs et bouleversants. » « Production locale
« Les thèmes abordés dont le réquisitoire
contre les dignitaires abusant de leur fonction, l’exclusion, les moyens
fantasmés par l’un, mis en œuvre par l’autre, pour évacuer la réalité sordide
et se reconstruire par le détour d’un univers idéalisé, nous interrogent, nous
prennent par le cœur. »
Cascade d’images à l’emporte-pièce.
« De
Cervantès à Ned Choquitto, même combat parodique contre les institutions qui
écrasent : la noblesse-la raison d’État, l’Inquisition-l’évangélisation,
l’argent-les retombées du nucléaire et la paupérisation qui s’ensuit. Les
double-sens, savoureux tout ça ! »
« Le jeu est excellent. Les acteurs le
vivent à fond », « très belle performance », « Rien à jeter
! J'ai tout aimé : le jeu, le rythme, les images, les arrêts sur images, les
prouesses acrobatiques… Impressionnants ! »
« Félicitations
aux deux talentueux comédiens ! », commente le service communication
du Petit Théâtre de Te Fare Tauhiti
Nui
Un comique grinçant…
« Succulente,
cette adaptation nous suggère la période dite "de contact" entre l’Occident
débarquant et les insulaires du Pacifique… suite d’expéditions militaires ou
missionnaires aux 18-19èmes siècles. Facile pour nous d’endosser les costumes
d’antan… et de nous plonger dans ces allusions qui font encore partie de notre
quotidien, de façon insidieuse. On rit, mais on rit jaune ! »
« Gens de l’autre monde, gens diaboliques... ! » |
« Dans
ce combat contre les mentalités rétrogrades, les ambitions démesurées, les abus
de pouvoir, c’est le flambeau du petit qui s’allume… nos moulins à vent à
nous ! »
« Le décalage entre cette langue tenue et
les tocades que développent les personnages pour travestir et supporter le réel
retentit sur l’ensemble et lui prête un ton à la fois facétieux et pathétique. »
« Le comique n’a pas besoin d’être vulgaire »...
Et si nous bousculions le metteur en scène ?
Reste
cet écart, rarement contrôlable, entre les intentions du metteur en scène et la
réception du public. Véritable énigme qui laisse perplexe Julien Gué :
« Mon travail appartient désormais aux spectateurs… il n’est plus en ma
possession ».
« Que votre Grâce, mon bon seigneur Ned Choquitto… » |
Et
les spectateurs de répondre : « Excusez-moi de l’interpréter à ma
sauce : Moi, qui ne suis pas-du-tout-théâtre, je ne me suis pas ennuyé une
seule seconde… Très visuel, très suggestif… Et si tu ne l’as pas mis
directement dans le dialogue, émerge ce profond bouleversement de notre société
tahitienne… Un tour de force !»
« Je ne savais pas trop à quoi
m'attendre, mais j'avais décidé de prendre un billet en soutien à la culture
"indépendante". Un grand bravo pour la mise en scène originale et aux
deux jeunes comédiens qui m'ont bluffée. Et vraiment que d’émotions fortes !
« Prenez garde mon frère » |
Par
contre, j'ai été déçue que la salle ne soit pas pleine. Dommage pour votre
formidable travail. Où était l'intelligentsia tahitienne qui aime faire la
belle au Fifo et certainement le lendemain à Pīna'ina'i. Elle se targue
de mā'ohitude, mais là ce que vous nous avez offert vendredi soir m’a fait
penser à Henri Hiro et aux 'arioi. »
Les coups d’encensoir
Pas
d’avis défavorables à l’horizon : c’est rare. « En général les
comblés et les râleurs se partagent la toile ! ». « Merveilleuse
soirée… pièce exceptionnelle… originale… héroï-comique », « scotché par
ce duo carabiné de comédiens bien trempés ! »
« Ô Dame de mon âme, Tetua Dulcinée de Tiputa ! » |
Les
deux jeunes acteurs, le même mois sont pressentis par le réalisateur de Fenua Image MB, Maki pour un court-métrage,
Feti’a, qui remporte le Grand prix
T-Tahiti film festival 2017 et celui de meilleur acteur ; Dylan pour le clip
de Teiva LC – Ino
te ta’ata.
Au-delà
des ovations qui ont couronné les différentes représentations, les acteurs se
sont fait empoigner en de longues embrassades ponctuées de larmes. Quand la
parole fait place à l’enthousiasme : Mission accomplie ! Que demander
de plus que cette communion prodiguée autant par les proches, que par les
inconnus, les pros, les critiques !
Un article de Monak
*
"au 'ōrero" et au "haka" : Adresse oratoire et
défi scandé qui marquent l’identité de la culture orale polynésienne.
*
Pour en savoir
davantage sur les acteurs et le metteur en scène de la Cie “To’u Fenua e motu” :
Tous droits réservés à Monak & Julien Gué.
Demandez l’autorisation des auteurs avant toute utilisation ou reproduction du
texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
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