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Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

vendredi 3 mars 2017

″Ned Choquitto″ ou l'autre Don Quichotte





Une enquête peu ordinaire


Tout a commencé quand les muto’i ont débarqué sur la terrasse, accueillis par un féroce ‘aito, couvert de sueur et javelot au poing. « Ils déclarent être en répétition de théâtre : Dylan Tiarii, Maki Teharuru et leur metteur en scène Julien Gué. Aucun blessé. », transmet par radio portative, Māheata à son unité.


Māheata, dont le prénom signifie qui déchire les nuages , préposée à la sécurité du district, vient en effet d’apporter toute lumière et tout apaisement, sur ce que les voisins présumaient être une bagarre rangée. Il est exactement 9h.00 d’un matin pluvieux, au creux de la vallée de Matatia qui, creusant ses berges en cette saison des pluies, a emporté la veille son unique pont dans le lagon. Mais Māheata, dont la curiosité s’est éveillée, vient irrégulièrement, à ses heures de pause, sous prétexte de grignoter son sandwich près de la source, poursuivre son enquête clandestine.

Châteaux en Espagne, le théâtre ?
« Ned Choquitto ? C’est l’anagramme de Don Quichotte, comme Sannos Pacha pour l’écuyer Sancho Pansa », apprend-elle. « Le fameux duo du roman picaresque de Cervantes, je me souviens vaguement l’avoir entrevu, dans mes années-lycée : une fresque colorant la salle attenante à l’amphi de La Mennais. Moi, j’étais dans ma période Stargate ! Le genre chevalerie de science-fiction. »

Le Miguel de Cervantes Saavedra ayant consommé ce 22 avril 2016, son 4ème centenaire, six pieds sous terre, elle allait renoncer : effectivement, pourquoi « se battre contre des moulins à vent » ?

Prémonitoire, cette fresque ?
« Pourquoi transposer ces losers en Polynésie ? » s’étonne-t-elle. « Trop lointain, je pensais le mythe définitivement enterré : quand je reçois ce coup de semonce en décembre, avec la fameuse Association des enfants de Don Quichotte, squattant les berges du canal St-Martin à Paris. Le plateau de scène ressemblant à un taudis du quartier sensible de Paraita, je décide de m’adresser aux intéressés : vivent-ils là ? C’est tout comme. »

Qui sont-ils ?


« Dylan Tiarii & Maki Teharuru, disent entamer leur 3ème année de pratique des planches. C’est dans la logique de leur cycle secondaire au lycée Aorai. Internes, ils y passaient des heures, des soirs, pour assurer un ou deux spectacles annuels, dans le cadre de leurs études, d’ateliers scolaires ou extérieurs. Issus des sections-théâtre avec la note maximale au Bac pour leur épreuve scénique : l’un dans le registre comique, le second dans la tragédie grecque, ils se disent atteints du virus théâtral. Unique remède, la scène : et on n’en guérit pas, m’affirment-ils. Pour un spectacle professionnel, ce sont des heures de répétition, au moindre temps libre, durant leurs congés ; ils ont fait la croix sur leurs week-ends. Professionnels ? Mais ils m’assurent ne pas être salariés pour ce travail. Allez comprendre ! Tout de même, je me demande pourquoi ce cursus ne se prolonge pas à l’Université de la Polynésie française. Eux, ils sont en droit. » Pour Māheata, ça se complique, va lui falloir sortir sa loupe.

Dylan en échauffement dans la vallée
« Les deux acteurs entrent dans leur monde comme s’ils avaient toujours vécu dans un tel chantier. Bien sûr, j’y reconnais les rues de Papeete, quand on fait des rondes à la nuit noire, et d’autres îles encore… à la réputation ravageuse. Mais ils m’ont demandé de taire ce sujet épineux. Les coups de semonce des 'ōrero : j’comprends que les voisins soient intervenus ! Ils ont l’air à l’aise, grandis comme au Heiva. Et s’ils ne dansent pas, ils occupent l’espace comme des guerriers, des cascadeurs sur un rythme d’enfer : le Ned, il a du sang polynésien ! Ils ne se ménagent pas. Et quand ils s’arrêtent, ils massent leurs bosses. Qui disait que cette addiction, n’était pas sans danger ? Pas pour le spectateur, car ils contrôlent leurs attaques ; j’ai testé, c’est rassurant !

Maki, l’Apollon du Bac…
« Pourtant l’un se dit timide, l’autre extraverti : j’ai du mal à les croire. L’expérience, mon cher Watson ! …qu’ils me disent. On commence petit, on se frotte à différents groupes : pour tenir un rôle manquant dans les autres classes, pour remplacer un absent, pour collaborer aux épreuves d’examen des camarades, s’associer avec des adultes en ateliers. Ça forge, disent-ils. Utilisant leur moindre loisir à l’exercice du jeu théâtral, ils citent leurs professeurs : Olivier et Vaiana qui les a encadrés pour écrire leur premier texte dramatique, joué en public, s’il-vous-plaît. Ils me confient que leur personnage actuel est à contre-emploi : là, j’avoue que je ne m’en suis pas aperçu. Qu'importe le flacon pourvu qu'il soit livresque, me sortent-ils en souriant. Va falloir que j’me mette au parfum des dernières directives en matière d’alcoolémie ! Imperturbables, ils me font signe qu’on a assez péroré et qu’ils vont se remettre au travail.»

Que font-ils ?
« Ils m’invitent à suivre la mise en place d’une nouvelle séquence. Là, ils me font pénétrer dans le saint des saints. Pour se remettre dans le bain, l’un entre en transe, l’autre entonne Dalida, puis direct enfile sa tirade. Pas le temps de souffler, style ping-pong endiablé, la répartie fuse. Les actions synchrones, ils ont tôt fait de déménager tout ce qui leur tombe sous la main. Accalmie, fausse pause, j’éclate de rire, m’applique les deux paumes sur la bouche : pas dérangés, ils enchaînent. Moi, j’n’ai pas vu le temps passer, d’ailleurs je vais être en retard. C’est loufoque, bourré de gags, prenant, poignant aussi. Ils me renvoient à notre société, aux questions que je me pose sur ma mission quotidienne… aux idéaux balayés par l’âpreté de la vie, aux désillusions qui me guettent… Bonsoir, je file ! »

Ombre au plateau…
« En route vers le poste, je fais le point. Combien de fois ont-ils repris un bout de phrase, un geste, une intonation ; ça y est, j’suis contaminée, j’parle comme eux. C’est qu’ils m’ont ouvert leur boîte à outils, comme dirait Julien Gué, et que j’y puise effrontément. Çui-là, rien ne lui échappe, il te resserre les boulons et tu vois la différence. Avec son air de pas y toucher, c’est un stratège : il donne du mou, t’as l’impression qu’il a oublié ses consignes et il te les ressert discrètement, pour que les gars arrivent pile à ce qu’il escomptait. Il n’a rien d’un chef borné. Il connaît ses lascars, sait comment les encourager : il leur laisse la bride sur le cou, leur donne libre champ pour qu’ils proposent, adopte leurs proposition, les intègre dans son fil conducteur… et ça fonctionne. J’peux en parler, j’ai vu avant et après. Il te dira Ces jeunes ont du talent… ils ont l’intelligence du texte, un vrai sens de la scène. Un imaginaire qui les fait rebondir.

 « Plus ils réussissent dans l’accomplissement du spectacle, plus ils manifestent, en paroles, leur fragilité : Normal me dit l’un d’eux, c’est le doute qui fait avancer !″ J’me dis qu’on devrait s’appliquer ce genre de formule pour faire changer les choses. Oui, je reconnais être sous l’emprise du discours ou du thème du spectacle. J’sais plus. Ned Choquitto, à ce point de sa gestation (oui, je sais, je suis une femme), nous envoie en pleine figure, comme une seconde lecture explosant en étincelles, les problèmes et les obstacles que nous rencontrons chaque jour : les dépossessions de terre, l’exode des îles dépeuplées vers la capitale, la morale officielle et l’usage qu’en font les élus, le poids des croyances, de la propagande, la crise économique, les laissés pour compte… Ce n’est pas dit, mais moi, c’est ce que j’ai compris. C’est que j’en ai balayé des illusions !

Lumière d’ambiance...
« Complexe, le Ned ChoQ, quand on déboulonne le tout, mais le résultat est fluide. J’aurais pas assisté aux coulisses du spectacle, j’m’en serais pas aperçu. Juste pour s’en tenir au jeu : il est à égalité ; c’est ça l’une des clés de l’adaptation ; je m’avance peut-être, mais... les deux personnages m’intéressent autant. Le chevalier, sans cesse tiraillé par ses utopies humanistes, ricoche comme une fronde au bout d’un élastique et décoche des événements tous azimuts.  Son écuyer, les pieds sur terre, est le maître d’œuvre des entreprises de son seigneur, assure l’intendance et sa faisabilité, à sa manière, qui n’est pas toujours désintéressée. Ils cohabitent, sont complices et s’opposent ; du sort de l’un dépend celui de l’autre. Les deux faces inversées : l’un brave, l’autre le protège…

Que veulent-ils ?
« Les compagnons de cette aventure ont vraiment les pieds dans le 21ème siècle de nos îles. L’un, justicier des temps modernes, s’échappe dans des châteaux en Espagne, comme on dit ; l’autre s’évade dans des plans pour faire fortune. Crédules et terre à terre à la fois, ils se laissent embarquer par ce que nous proposent les attrape-nigauds commerciaux : la chance, la bonne étoile, les honneurs, le succès… Quand on est en situation de survie, on ne fait plus bien la part des choses entre ses rêves et la réalité.

« Moi, j’m’y reconnais. C’est sans folklore, sans images pour touristes. On est dans l’essentiel. Pas de fioriture. Juste qu’on croit à l’histoire. C’est la nôtre, et ces jeunes-là, ils sont en plein dedans.

La fine équipe
« Comme ils ne se voient pas, mais nous font voir et que le mot de la fin appartient au metteur en scène qui joue de toutes les cordes de son instrument pour transmettre au mieux ce qui se joue… je l’ai entendu dire qu’  à aucun moment de ce travail de mise en scène, il ne s’était senti fiu ; comme il arrive parfois d’éprouver de la lassitude, de l’indigestion ou de la nausée, à cause de blocages ou d’inconvénients divers en cours de montage. Qu’au contraire, ce travail le portait″. Comme j’ai pas tout compris et qu’en fait ça ne change en rien au cours de mon enquête, je la livre telle quelle.



Un spectacle annoncé



« Finalement, ni délit, ni inculpé, je tire un trait sur toute cette affaire, avec un de mes romanciers préférés : Dans un mauvais polar, le coupable n'est jamais loin, c'est l'auteur. (Robert Sabatier) »



Un article de   Monak
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-          Le théâtre de Julien Gué
Les enquêtes de Maheata… À suivre


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