Futur des langues polynésiennes
Signé Cybèle Plichart, "Te
Reo Tumu, la langue maternelle", le court-métrage
choc en ce mois de novembre 2016, poursuit « son combat
pour la sauvegarde du véhicule de l’imaginaire et de l’identité
du peuple polynésien » : les langues mā'ohi.
Speakerine à Polynésie 1ère, la réalisatrice, diplômée en études cinématographique et
en langue mā'ohi, boucle son film dans l’urgence pour célébrer "La journée
de la culture et des langues polynésiennes" (le 28 novembre). Ficelé en reportage rigoureux, efficace, suite
au cri d’alarme lancé par Jacques Vernaudon, maître de conférences en
linguistique générale et océanienne, il crée l’événement de ce début de saison
d’abondance : "si on ne fait rien, dans une génération
nous aurons affaire à une langue morte".
Les langues polynésiennes sur le plus petit des Continents… |
Le documentaire vit sa vie, après avoir été sélectionné au Off de la 14ème édition du Festival International du Film
Documentaire Océanien (FIFO), à Tahiti. Toujours disponible sur la toile, il va
pouvoir fêter son premier anniversaire.
Le fil rouge de l’enfance
Comme pour permettre
au spectateur de reprendre son souffle face à cette mort imminente, la
réalisatrice offre, en guise de fil conducteur, le vécu du jeune ’ōrero Vinitua,
praticien brillant de l’art oratoire en Reo tahiti : au sein de sa famille
aux Tuamotu, à Tahiti et à l’école. À 9 ans, il est représentatif de cette
tranche d’âge qui se trouve au croisement du parler (pa'umotu) de ses arrière-grands-parents,
de la langue véhiculaire tahitienne enseignée à l’école et de la langue
officielle, le français.
Mais tous les
enfants ne sont pas plurilingues comme lui. Beaucoup ne bénéficient pas du
programme scolaire ECOLPOM (école
Plurilingue en Outre-Mer), implanté depuis 2009.
Quand la langue n’attend pas le nombre des années… Vinitua |
C’est la génération
de ses aînés, des teenagers aux grands-parents, qui a subi cette vague de
déculturation, au cours même de leur scolarisation ! Ce qui déclenche
parmi les Associations culturelles ou chez les jeunes artistes, la décision de
réagir… de se réapproprier au plus vite la langue originelle. La Troupe de
Danse Manahau l’exprime ainsi que son ressentiment dans un
spectacle « L’outrage du silence », en langue tahitienne bien sûr…
Vol au-dessus d’un malaise existentiel
Amorcé par une plongée
rapide jusqu’au récif de Tahiti et achevé par un coucher de soleil sur le port…le
court-métrage de Cybèle Plichart, conduit avec précision, se révèle par un rythme
résolu et fluide. Après une séquence de micro-trottoir, il prospecte dans les
différentes couches de la population les symptômes du mal-être. La caméra
explore, en poussant les portes de ces structures administratives et culturelles
sensées sauvegarder la langue primordiale de la culture, l’entretenir et la
propager dans l’ensemble des archipels de Polynésie française.
Elle débroussaille
en parallèle les différents aspects d’une langue qui s’appauvrit, faute
d’utilisation et d’habitude au quotidien et établit sans état d’âme un état des
lieux consternant. Car, remarquons-le, Cybèle est vraiment une professionnelle
de l’image : elle maintient le direct en permanence, sans jamais
s’incruster.
« Te Reo Tumu » l’intégrale…
Elle met en exergue la
parole, le ressenti, de tout un chacun, avec beaucoup de respect, sans jamais
intervenir. Exercice de style tout à l’honneur du documentaire tel qu’il
s’entend. Au spectateur, ensuite, de se faire son opinion.
Le bémol !
À l’évidence, la
langue est véhicule identitaire… porteuse de la relation au monde, à la nature,
de l’imaginaire et de sa poésie, des origines et de la réalité culturelles, du
rapport à l’océan… Les arcanes de l’histoire franco-polynésienne ne sont pas
innocents… Rappelés à plusieurs reprises, en remonter le cours montre que la
réappropriation de la langue n’est pas si simple.
À Tahiti, qui
regroupe l’essentiel de la population grossie des différents exodes
économiques, plus que dans les archipels, « les locuteurs sont passifs,
baignent dans la langue, mais ne pratiquent pas »
Petit rappel historique concocté par « L’outrage du
silence »
Le concept est
lâché : ne pas parler est « une infirmité ». Flora Devatine l’exprime
en un sentiment de culpabilité dans sa « Lettre à mes enfants », bilingue,
lue par Chantal T. Spitz : « Pardon de ne pas vous avoir parlé en
tahitien… de vous avoir privés… de l’accès à mes ancêtres qui sont aussi les
vôtres… ». Mais le remède est déjà tangible : « verbaliser pour guérir ».
Le désamour…
Si la dimension
historique, linguistique, anthropologique est traitée dans le film, Chantal T.
Spitz, figure essentielle de la littérature polynésienne et co-fondatrice du
Mouvement et des publications « Littéramā'ohi », déplore que les
aspects psychologiques de cette perte n’apparaissent pas.
Dans l’interview*
qui suit l’écrivaine évoque, de manière flegmatique, cette « intériorisation et cette
épidermisation du complexe d’infériorité transmis par la
colonisation »… ainsi que sa
traduction linguistique actuelle, par une hiérarchisation des parlers, des
modes de vie, des valeurs…
Refouler sa langue : « une violence »
Effectivement, nous
sommes en situation où les ressortissants des « sociétés vidées
d'elles-mêmes » ont intégré et reproduisent inconsciemment le « mode d’appropriation symbolique du monde » du dominant, jusque dans sa manière
d’être, de faire, de se nourrir, etc.
Un tournage, une aventure…
Cybèle Plichart, se
prêtant à l’interview pour l’ouverture du FIFO 2017 dont l’extrait* suivant
montre le moment fabuleux où s’instaure un dialogue impromptu avec Chantal
Spitz, résume son rôle de réalisatrice à un « connecteur ».
Sans aucune fatuité,
elle ne prétend pas avoir accompli œuvre exceptionnelle. Elle axe ses réponses
autour de ce déclencheur « coup de cœur », et ne tarit pas sur la
richesse du cadeau que lui ont offert tous les interlocuteurs visibles à
l’écran. Et c’est cette chaleur humaine qui n’a cessé de lui provoquer un
surcroit d’émotion à chaque diffusion.
Un petit ou grand coup de langue ?
Les solutions
existent. Déjà la prise de conscience et les initiatives se multiplient, dans
les écoles qui se servent du film comme d’un outil pédagogique… Mais surtout ce
qu’il en ressort, c’est cette reconnaissance d’avoir traité d’un sujet épineux,
et en quelque sorte, d’avoir officialisé cette réhabilitation de l’intégrité
individuelle et collective.
Et maintenant ?
Près d’un an plus
tard, Jacques Vernaudon invite encore les adultes à dynamiser la pratique de la
langue tahitienne, à encourager les jeunes à produire en langue
maternelle : car « s’ils ne produisent pas, ils ne pourront pas transmettre ».
Langue maternelle, langue natale, celle de la communauté, celle des racines, celle
qui se transmet avec le lait… à ne pas confondre avec langue de la patrie,
langue nationale… un distinguo qui n’est pas sans conséquences !
« Le coquillage, symbole d’une punition pour parler Tahitien » in Manahau |
à n’en pas douter, les jeunes bilingues
font preuve d’une maturité incontestable. Pour le mot de la fin, ce ressenti de
Vinitua : « La perte du tahitien, ça me désole : c’est comme si
quelque chose en moi allait mourir… »
Un article de Monak
NB* : Que le
lecteur veuille bien me pardonner, mais je ne pouvais renoncer de vous faire
partager en direct ces moments d’échanges (au point presse du FIFO 2017) avec Chantal
& Cybèle : l’acoustique est déplorable… mais surtout, mon appareil a
vérolé la captation. Nous nous sommes donc rabattus dans ces deux vidéos sur un
montage-photo, en préservant l’authenticité des dires des deux interlocutrices.
Merci de votre bienveillance.
Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation de
l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur
Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
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